Jacques Lenormand MMA « Proposer des services bonheur, pour rendre la vie plus facile »
Les Mutuelles du Mans, devenues cette année les MMA, sortent du rouge. Elles parient sur une gamme de produits allant de l'assurance basique à très bas prix aux services à forte valeur ajoutée. Pour, au final, aller vers une assurance plus sociétale qui veut, selon son directeur général Jacques Lenormand, évoluer de “l'anti-malheurs vers l'anti-aléas”.
Je m'abonneComment les MMA font-elles face à la vague de regroupements entre banques et assurances ?
La taille n'est aujourd'hui ni un
handicap, ni un gage de succès. La première question à se poser est : y-a-t-il
des effets de taille en matière de réseaux de vente ? Est-ce que cumuler les
points de vente, même si cela accroît le chiffre d'affaires, permet ou non des
économies d'échelle ? Cela reste à prouver. Les seules domaines où ces
économies sont réelles sont la communication et la publicité, parce
qu'effectivement chacun fait sa pub. Or, que l'on ait 1 000 ou 5 000 points de
vente, la pression publicitaire est la même en termes de GRP. Sur le reste, je
considère qu'il n'y a pas de réelles économies d'échelle. En informatique, que
vous informatisiez 1 000 ou 3 000 points de vente, les coûts sont pratiquement
les mêmes, puisque, ensuite, ce sont des coûts fixes par point de vente.
Vous vous êtes rapprochés de la Maaf... Dans certaines zones, allez-vous faire des choix entre l'une ou l'autre des enseignes ?
Aujourd'hui, les MMA n'ont pas assez de points de vente dans certains endroits.
Elles sont surreprésentées dans l'Ouest, insuffisamment dans l'Est et dans les
grandes villes. Mais c'est du géomarketing. On peut fermer à certains endroits,
ouvrir à d'autres. Chacune des marques peut donc tout à fait garder ses propres
points de vente.
Où se réalisent les économies d'échelle ?
Essentiellement dans la partie traitement, dans les usines de
back office. Là, la taille est un facteur-clé de succès. Maaf et MMA vont, par
exemple, avoir le même réseau de garagistes-réparateurs, les mêmes outils
informatiques. Ce qui permet de négocier avec un potentiel de 3,5 millions de
véhicules, au lieu d'un million. Même chose en informatique. Ce qui est cher,
ce sont les grands spécialistes, les ingénieurs système ; les ordinateurs, eux,
sont rarement saturés par la taille. Une salle des machines est très coûteuse.
Le fait d'en avoir une seule et un seul pôle d'ingénieurs en télécommunications
permet des économies considérables. Le troisième pôle sur lequel nous avons des
effets de taille critique à travailler en commun, ce sont des segments de
marchés bien identifiés. Les flottes automobiles par exemple. Sur ce secteur,
on a à peu près 6 à 7 % de parts de marché pour les MMA, 4 % pour la Maaf. Si
l'on réunit tout cela avec nos filiales, on arrive à 12 %. Nous avons donc
intérêt, sur des segments tels que les flottes, les courtiers, la réassurance
et les assurances collectives, à créer des filiales communes.
Le fait d'être une mutuelle est-il un handicap ?
Ce n'est sûrement
pas un inconvénient. Certes, cela ne nous donne pas la possibilité d'avoir des
échanges d'actions : on ne peut pas faire d'OPE ou d'OPA sur une mutuelle. En
termes juridiques et financiers, les rapprochements sont plus compliqués parce
qu'ils reposent sur des accords entre les personnes et non sur des échanges
d'argent. Cela demande plus de temps de préparation mais après, c'est plus fort
parce qu'une fois que les hommes sont d'accord, cela se passe très bien.
Les deux sociétés ont-elles la même culture...?
Oui,
c'est ce que l'on appelle l'économie sociale, c'est-à-dire tout ce qui fait
qu'il n'y a pas de contraintes capitalistes. Il faut gagner de l'argent, les
fameux 15 % de retour sur action. On peut se les imposer à nous-mêmes mais nous
n'avons pas d'actionnaires qui font pression à court terme, ce qui peut aussi
être un handicap pour les entreprises capitalistes. Elles peuvent réduire leur
capital, ce qui est une tactique pour améliorer le retour sur action, mais
elles sont aussi amenées à ne pas faire des choix à long terme parce qu'elles
savent qu'ils ne rapporteront que dans trois à quatre ans. Le management se dit
alors : “si je fais ces choix, cela va coûter beaucoup d'argent sans me
rapporter dans l'immédiat et les fonds de pension vont me virer parce que je
n'aurai pas d'assez bons résultats...” Un des avantages de l'économie sociale,
c'est que nous disposons d'un espace-temps différent. Si le projet en vaut la
peine, on peut accepter de diminuer ses résultats parce que l'on sait que l'on
retrouvera notre investissement. Les entreprises capitalistes le font parfois,
mais c'est plus difficile à expliquer aux actionnaires...
Comment le “redresseur de sort” que vous êtes a-t-il abordé le cas MMA ?
Il était clair que sans rien faire, en 2006, nous allions dans le mur. Il
fallait réagir très vite et isoler les sources d'hémorragie. Et en même temps
se dire : quelle est la décision existentielle à prendre avant toutes les
autres ? On a identifié de façon très simple le cœur de la clientèle - les
particuliers -, et des produits - auto et habitation. A partir de là, tout a
été mis en œuvre pour sortir une nouvelle gamme, une nouvelle campagne, pour
reprendre la main sur ces produits et repasser à un chiffre d'affaires
positif.
Quelles étaient alors la notoriété et l'image de l'entreprise ?
Nous avons étudié les trois axes du triangle
magique : suis-je connu ? Aimé ? Choisi par les clients ? Première nouvelle pas
très bonne : le taux de notoriété était, en top of mind, de 3 % seulement ; et,
pire encore, de 75 % en assisté. 25 % ne connaissaient donc pas du tout, ce qui
est énorme. Quant à l'image, nous n'en avions pas. Nous n'avions qu'une
réputation. Une réputation institutionnelle, de gens solides, sérieux. Une
image respectable de notables. Mais, côté commercial et qualité des produits,
c'était plutôt négatif. Quant au troisième critère : “suis-je choisi ?”, le
constat des pertes quotidiennes suffisait... Il a fallu travailler très vite
sur ces trois éléments. Nous avons donc créé une nouvelle gamme de produits, un
nouveau logo, une nouvelle communication. Tout cela en trois mois.
En quoi ces gammes se distinguent-elles ?
Pour l'auto,
l'originalité est d'avoir proposé une montée en gamme très forte. Pour la
première fois, on a joué des produits mini-prix et des produits maxi-services.
On a un produit qui est le “droit de rouler” et le “droit de se loger”, des
produits anti-pack, très simples et discount. Le maxi-service en automobile,
c'est “zéro jour sans voiture quoi qu'il vous arrive”. Si votre voiture ne
démarre pas, on s'engage à vous livrer un véhicule dans l'heure qui suit ou un
taxi que l'on vous rembourse... D'autres produits autour du principe de la
fidélisation sortiront à la fin de l'année.
Quel est selon vous l'avenir de l'assurance ?
A terme, c'est du service, de
l'assistance, la prise en compte des problèmes des gens. Moins assurer le
risque que rassurer. On assurait des risques et des biens et donc le malheur
qui peut arriver. De plus en plus, on va devoir proposer des services bonheur,
pour rendre la vie plus facile. On sera de plus en plus réassureurs de
services. Cela implique que la logistique va être de plus en plus importante
avec au milieu une informatique très puissante permettant de gérer en direct
sur les plates-formes. Plus que jamais, la clé du succès dans le métier va
consister “à taper dans le M.I.L.E.” : Marketing, Informatique, Logistique,
E-mail. Cette fonction d'ensemblier du service va être difficile à réaliser.
C'est une révolution car les assureurs sont habitués à gérer deux événements :
envoyer la quittance et gérer un sinistre. Je caricature mais c'était
essentiellement les deux cas de rencontres client/assureur. L'assureur
anti-malheurs va devenir un assureur anti-aléas. On peut prévoir qu'au XXIe
siècle, il va nous falloir réinventer la matière assurable. Les gens supportent
de moins en moins l'incertitude. Malraux disait que le XXIe siècle serait
spirituel. Derrière cette formule très utilisée, se cache peut-être la future
matière assurable : l'impondérable, face au pondérable d'hier. On assure déjà
l'image de marque d'une entreprise, des cellules de crise pour des incidents
comme ceux de Perrier ou Coca-Cola. Tout cela est immatériel, on ne peut ni le
chiffrer, ni le prévoir. Dans le cas de Coca-Cola, il n'y a pas eu de
préjudices, on n'a pas réussi à prouver un lien réel de cause à effet entre le
produit et les malaises. On est donc même amené à assurer ce qui n'est pas
réellement prouvé. Parce que médiatiquement, c'est un aléa que les gens ne
tolèrent pas et qu'il faut bien que quelqu'un paye. A la limite, vous êtes
responsable en tant qu'assureur même si vous n'êtes pas coupable. La matière
assurable évolue vers une responsabilité sociétale.
A terme, les points de vente ne sont-ils pas voués à disparaître ?
C'est toute
la théorie de la différence entre “services achetés” et “services vendus”...
J'ai l'habitude de dire que le client est un “schizo-client”. Vous pouvez être
un consommateur de McDo le midi, et le soir aller à la Tour d'Argent. Dans la
banque ou l'assurance, c'est exactement pareil. A certains moments, le client
veut le service McDo et à d'autres le service Tour d'Argent. Pour les services
achetés, on peut passer par le Minitel, par Internet... Pour les services
vendus, il y aura toujours besoin du contact, peut-être pas du face à face
physique, cela peut évoluer. Aux Etats-Unis, Charles Schwab couple l'achat
d'actions sur Internet avec la possibilité d'être en contact avec un conseiller
en ligne. Je crois à ce couplage de conseil et de self-service. C'est pour cela
que nous développons en ce moment un site web qui sera un vrai site de conseil
et pas seulement une vitrine. En fait, l'important c'est de savoir
industrialiser les bonnes idées de façon fiable. Mieux vaut parfois refuser
l'innovation si vous n'êtes pas sûr de sa fiabilité. Car les gens exigent de la
qualité industrielle dans les produits.
Quels seront les médias de l'assurance moderne ?
Il va y avoir des révolutions avec la
troisième génération du téléphone portable qui devient le terminal commun. Il
va falloir réinventer un mode de communication. Pour l'instant l'e-business
s'apparente à la ruée vers l'or au siècle dernier : cela enrichit plus les
fabricants de pelles et de pioches que les chercheurs d'or eux-mêmes ! J'ai
l'intuition qu'avec des produits “plug and play” comme le Webphone d'Alcatel,
on va entrer dans la véritable révolution du service en ligne, car elle passera
par la révolution des terminaux. Beaucoup de gens oublient que la qualité du
terminal, son accessibilité, son ergonomie sont des données fondamentales. Le
portable et des appareils comme le Webphone, sont de vraies offres grand public
qui vont nous permettre d'innover et d'avoir des liens plus permanents avec nos
clients.
Biographie
Jacques Lenormand a 52 ans, il est marié et père de deux enfants. Après une licence en Droit privé et un DESS en Droit et économie bancaire, il est maître auxiliaire à l'Education nationale de 68 à 73. Il travaille pendant quatre ans (74-78) à la banque Monod La Hénin et à la banque Vernes. De 78 à 91, il est successivement au sein de la Caisse Nationale du Crédit Agricole : responsable du marché des particuliers et des professionnels, directeur central, directeur de la communication, puis membre de l'inspection générale. Directeur général délégué en charge des clientèles financières et du réseau grand public, il est la cheville ouvrière du redressement de la Poste de 91 à 98. Depuis décembre 98, il s'est attelé à celui des MMA dont il est le directeur général.
L'entreprise
Les MMA ont 171 ans, 4 725 salariés et 1 352 points de vente. Elles comptent 2 millions de sociétaires et 3,2 millions de contrats : dont 1,016 million “autos particuliers”, 845 000 “habitation” et 533 000 “contrats vie”. Elles ont enregistré en 98 un CA de 23,5 milliards de francs (dont 15,85 en assurances dommages et 7,65 en assurances vie), et près de 100 milliards de francs d'actifs gérés, ce qui les place au dixième rang sur le marché français. Depuis octobre 1998, elles se sont rapprochées de la Maaf. Ce qui place l'entité en quatrième position de l'assurance-vie et risques.