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[Entretien] Frédéric Messian, président de l'agence Lonsdale : "Le marketing ne fait pas vendre, il fait préférer".

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[Entretien] Frédéric Messian, président de l'agence Lonsdale : 'Le marketing ne fait pas vendre, il fait préférer'.

A 53 ans, la plus ancienne agence de design français est en pleine croissance et valorise le brand design. Explications et analyse avec son président.

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L'homme est bavard et se définit comme "totalement impatient". Il ne répond pas à des questions mais raconte des histoires. Tour à tour journaliste économique (on saisit alors mieux cette posture !), expert en communication finan­cière, créateur d'agences (W&Cie, M&Associés), il est aujourd'hui à la tête de Lonsdale, l'agence de brand design qui monte, 100 % indépendante. Sa marge brute a été multipliée par dix en sept ans. Au premier semestre 2014, 28 nouveaux budgets ont été remportés pour 1,5 million d'euros de new business autour des trois métiers digitalisés de l'agence : le corporate, le consumer et le retail. 130 personnes croisent leurs regards sur un portefeuille de clients pérennes, éclectiques et denses. Les marques Orange, Nicolas, GDF Suez, BNP Paribas, Nickel, La Halle, Etam, Nestlé ou Buitoni -pour ne citer qu'elles - font confiance à Lonsdale pour raconter ce qu'elles sont et ce qu'elles font. Rencontre vitaminée.

Vous avez intégré une directrice de la marque Lonsdale. Ce type de profils est plutôt rare, en agence, n'est-ce pas ?

C'est même une création de poste. Nous essayons d'appliquer à nous-mêmes ce que nous conseillons à nos clients. Si vous voulez que l'on parle de vous, que l'on vous choisisse et que l'on vous recommande, seul un professionnel du marketing peut le faire. Lorsque j'ai racheté l'agence Lonsdale en 2007, c'était d'abord et avant tout une marque. L'entreprise était en souffrance après des rachats successifs peu concluants. Créée en 1961 par Richard Lonsdale, c'est la plus ancienne agence de design française. Soit une légitimité créative patrimoniale. La bouteille PET d'Evian, Le logo de Baccarat ou celui de la Caisse d'Épargne, mais les marques La Vache qui Rit ou la Vizirette - cet ancêtre des doseuses pour lessives - ont été imaginées par Lonsdale. La directrice de notre marque est la garante de notre histoire, de notre état d'esprit, que nous voulons savants, sans être péremptoires.

En sept ans, vous avez d'abord réussi à sauver l'agence, puis à multiplier votre marge brute par dix. En 2013, Lonsdale a même été élue Agence design de l'année. Y a-t-il une méthode Messian ?

Non. Je suis seulement le dépositaire temporaire de cette marque référente. Elle existait bien avant que je la rachète, en 2007, et nous mettons tout en oeuvre pour qu'elle perdure... après nous ! L'objectif est de multiplier par trois nos résultats d'ici à cinq ans. Pour y parvenir, nous comptons pour deux tiers sur une croissance organique et, pour l'autre tiers, sur des acquisitions. En effet, quatre agences nous ont rejoints. Steaw, en 2014, pour l'expertise digitale, Western Design, il y a deux ans, pour l'architecture commerciale, Loop, cette année, pour le shopper marketing et le packaging (NDLR : ex-Sitecom, rebaptisée Loop, pour Lonsdale Opérationnel) et Peter Pen, en 2013, agence spécialisée dans les contenus. Enfin, une division luxe "Beautiful brands", pilotée par Xavier Poggi, enrichit notre approche croisée des clients.

Cent trente personnes, venant d'horizons très différents, travaillent sous une signature d'agence commune, "Donner des repères, créer de l'envie". Concrètement, qu'est-ce que cela signifie ?

Alors, dans ce cas précis, il y a une méthode ! Nous partons du constat qu'aujourd'hui, les marques sont matures, et que pour émerger, il faut un degré de décalage. Notre méthode, c'est un point de vue transversal avec tous les métiers de l'agence. On décloisonne, on croise, on débat. Nous sommes tous consommateurs et avons donc tous à ce titre un avis, une idée et des émotions à partager. Une "créative revue", en interne, permet de synthétiser et de partager nos coups de coeur, notre sourcing. Pour un pack, par exemple, nous invitons les experts en retail, en digital ou en corporate à donner leur avis. Pour Saupiquet et son nouvel habillage en "fashion sardines" c'est ce que nous avons fait, par exemple.

Après le travail sur la marque Lonsdale, l'autre chantier de l'agence, ce ne sont pas les ressources humaines, mais une direction des talents pour insuffler un désir collectif. En croisant une réalité (la marque) et une vision (les usages). Le design est un levier de management et de changement. Quand une marque, dans son expression, opère un changement en revêtant de nouveaux habits ou adopte un nouveau langage, par exemple, c'est l'entreprise, ses salariés et ses clients qui changent. C'est réussi quand tous adhèrent en comprenant l'intention de départ. Quand GDF Suez, alliance de Gaz de France et de Suez, nous demande de réfléchir à la construction d'un langage commun, c'est une nouvelle culture que nous devons créer de toutes pièces en nous appuyant sur ce qui existe déjà. Et c'est passionnant !

Vous employez très souvent le mot "courage" pour parler des marques. Pour quelles raisons ?

Sans doute parce que le marketing, au sens large, en manque. La culture du risque est aujourd'hui, en France, assez peu développée. Il faudrait parfois que vous assistiez à un brief pour mieux comprendre... Changer une identité peut parfois se transformer en affaire d'état ! Faire comprendre que le design n'est pas un dessin mais un dessein est un travail de marathonien. Les chefs de produits sont souvent jeunes et choisissent l'option la moins engageante pour faire évoluer la marque... sans penser que c'est surtout celle qui la fera le moins progresser. Ils se cachent derrière des études, qui signent trop souvent la mort de la créativité. Une étude peut éclairer, mais ne peut en aucun cas arbitrer. En cas de progression, notre chef de produit pense qu'il ne sera ni remercié ni augmenté. Mais en cas d'échec commercial, il songe qu'il sera le premier fautif et qu'il risque de perdre son emploi. Le courage est plus rare que l'intelligence dans les métiers du marketing. Le brand design doit être porté par le dirigeant, cela simplifie les chemins décisionnels.

Il y a pourtant beaucoup de marques, qu'elles soient petites, grandes, locales ou globales, qui sont -remarquables d'agilité créative. Quelles sont celles qui vous surprennent ?

Spontanément, émotionnellement et irrationnellement parfois, je citerai Hermès, qui demeure fidèle à ce qu'elle est, en restant très exigeante. Une maison qui sait aussi dire "non" à une demande client lorsqu'elle ne correspond pas à ce qu'elle est en capacité de faire. Elle impose son rythme. Un temps long. C'est rare, aujourd'hui ! J'aime les marques sincères, en réalité. Rien de plus triste qu'une marque malhonnête... Je pense aussi à Apple, Google, Michel & Augustin, Bic, Monoprix, Chez Jean, Kiehl's, Prada, Louis Vuitton ou encore VanityFair. Des marques non substituables, en somme. Qui ne se contentent pas de faire des "coups". Le marketing ne fait pas vendre, il fait préférer, c'est totalement différent. Les individus sont avant tout des êtres sensibles, dotés de radars émotionnels qui détectent désormais très bien les ficelles, les grosses cordes oserai-je même dire, du marketing du XXe siècle. Et si le mot même de "marketing" est discrédité et sonne comme une technique manipulatoire, c'est avant tout à cause de l'opportunisme qui a caractérisé l'hyperconsommation de nos sociétés de l'après-guerre. Mais le banquet est fini, les convives s'en sont allé.

À titre personnel cette fois, qu'est-ce qui, dans votre expérience de journaliste, vous permet d'être meilleur dans votre costume de patron d'agence ?

La curiosité et la rigueur. L'extrême rigueur, devrais-je dire, même ! J'ai appris à creuser les sujets jusqu'au magma des choses. À appréhender un sujet sous plusieurs dimensions (macro et micro) et à en saisir toutes les conséquences (économiques, financières, sociales, culturelles). Et aussi à recommencer encore et encore. S'il subsistait un doute, une approximation, une information non vérifiée, il fallait alors tout reprendre. Cela m'a donné un mélange d'humilité vis-à-vis des sujets traités et d'ambition pour en fournir l'analyse la plus pertinente, mais aussi le sentiment de travailler pour un seul patron, légitimement exigeant : le lecteur ! C'est à L'Expansion, aux côtés de Jean Boissonnat, que j'ai acquis cette rigueur. Mais la grande chance que j'ai eue alors, c'est qu'il était permis, voire chaudement recommandé, d'être curieux et créatif. Un enseignement difficile mais redoutablement structurant pour un début de carrière.

En termes de croissance à la fois organique et externe, comment appréhendez-vous l'international ? Est-ce un passage obligé pour atteindre une taille encore plus critique et raisonner "glocal" pour vos clients ?

Ce serait mentir que de dire que nous n'y pensons pas. Nous réalisons déjà 20 % de notre chiffre d'affaires à l'international (NDLR : 15 millions d'euros en 2013 et un objectif annoncé de 40 millions d'euros en 2020). Soit une progression de plus de 22 % ces deux dernières années. Mais nous ne sommes pas à l'affût d'agences à racheter. Et nous ne comptons pas installer de filiales Lonsdale sur d'autres continents. Nous avons beaucoup grossi ces deux dernières années, nous gagnons des budgets tous les jours et c'est, pour l'heure, ce qui nous importe et garantit l'emploi au sein de l'agence. En revanche, avec la direction des talents, nous recrutons des profils venus de la planète entière pour enrichir notre expertise, notre vision... Nous avons récemment intégré des profils ayant fait carrière au sein d'agences internationales et accueilli des designers venant des États-Unis et d'Asie... Notre ambition est d'avoir au quotidien, une vision globale des problématiques de marque.

L'autre casquette de Frédéric Messian

Le président de Lonsdale est également président de l'ADC (Association des agences de design conseil) depuis deux ans. Il sera probablement reconduit à ce poste prochainement. Sa feuille de route ? Il doit participer à l'amélioration des relations entre agences et annonceurs pour une meilleure compréhension réciproque des enjeux, avec notamment "La belle compétition". Une charte de bonnes intentions pour les appels d'offres, amorcée au printemps dernier.

Au menu : transparence, responsabilité, sincérité... Pour un sujet tabou et très polémique dans les métiers de la création. Cette prise de conscience est effectuée conjointement avec l'AACC, l'UDA, l'ANAé, l'Udecam, le Syntec RP et l'ADC. La charte concernant les appels d'offres (www.labellecompetion.fr) fonctionne pour l'instant comme une plateforme qui énumère (selon 36 critères) les règles de bonne conduite... sans pour autant envisager de sanctions pour les abus. Les agences peuvent y témoigner sous la forme du volontariat. Un premier suivi, sous la forme d'un baromètre, est prévu pour la fin de l'année 2014. " C'est la première fois qu'un dialogue est amorcé avec l'annonceur. On est dans une démarche de progrès " explique Frédéric Messian, qui prépare pour 2015 un guide de bonnes pratiques à l'attention des annonceurs et des agences avec l'UDA. À suivre.

 
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