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On ne joue plus avec la confiance

Publié par Clément Fages le - mis à jour à
On ne joue plus avec la confiance

La confiance est un pari, rappelle la théorie économique. Pari que les consommateurs, de mieux en mieux informés, ont l'impression de perdre de plus en plus souvent, ce qui se traduit par une défiance croissante envers les grandes marques internationales, au profit des acteurs locaux.

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Fin 2018, seul un Français sur deux déclarait faire confiance aux marques, selon les résultats du Trust Barometer International d'Elan Edelman. Mais pas que : Gouvernements et partis politiques, médias, ONG ... nul n'est à l'abri de la crise de défiance qui agite notre société, alors que, respectivement, 32 %, 36 % et 52 % seulement des sondés disent avoir confiance en ces institutions. Dans le détail, la défiance touche surtout les plus gros acteurs, comme l'explique Amélie Aubry, brand managing director chez Elan Edelman : " En 2018, le regain de confiance concerne principalement les petits acteurs, plus locaux, plus proches. Les entreprises familiales ou celles qui appartiennent aux employés sont plus crues que celles qui sont cotées ou qui ont leur siège à l'étranger. Ce regain de confiance est aussi lié aux actions des marques, qui ont pris à bras-le-corps cette problématique l'an dernier. Néanmoins, le mouvement des Gilets Jaunes entraîne une remise en cause du système au sens large, avec deux tiers des Français qui pensent que ce dernier joue contre eux. "

Vers une confiance de proximité

Un phénomène bien identifié par Philippe Moati, professeur d'économie à l'université Paris-Diderot et coprésident de ­l'ObSoCo, selon qui la confiance en une entreprise va se fonder sur plusieurs critères : " Nous allons d'abord juger de la compétence d'une entreprise : est-elle capable de tenir ses promesses ? Vient ensuite la question de l'intégrité : est-elle honnête avec moi ? Enfin, se pose celle de la bienveillance : mon intérêt est-il semblable au sien ? Est-elle capable de sacrifier son intérêt au profit du mien ? Si les marques sont souvent expertes de leur métier et tiennent leurs promesses, reste encore une asymétrie de l'information et des intérêts. Depuis la crise de la vache folle, une succession de scandales a convaincu les consommateurs que les entreprises cherchent leur profit avant de défendre l'intérêt de leurs clients, quitte à mentir ou à tricher. Par effet de halo, toutes les marques payent aujourd'hui collectivement les dérapages de certaines d'entre elles, analyse-t-il. Mais il faut desserrer la focale et prendre en compte l'ensemble de la société : il existe une défiance générale envers le système. Grandes marques, grands partis politiques... tout ce qui semble nous surplomber, tout ce qui est vertical est suspecté de ne défendre que ses propres intérêts. Au contraire, les petits, ceux sur qui nous pouvons mettre un visage, ceux dont l'organisation est plus horizontale et ancrée dans notre réalité, notre territoire, nous semblent plus dignes de confiance. On n'aime pas la grande distribution en général, mais on apprécie le magasin où l'on fait ses courses. On fait moins confiance aux grandes entreprises, mais on a confiance en son employeur... "


La plupart des études récentes sur le sujet confirment cette évolution, dont les conséquences ne sont pas à prendre à la légère. Selon Kantar, une perte de confiance se caractérise par une baisse ou même l'arrêt complet de l'achat de la marque dans respectivement 24 % et 53 % des cas. 29 % des sondés déconseillent la marque à leur entourage, et 11 % le font même savoir en ligne ! Et si Kantar indique que les avis sur Internet n'entrent en jeu que chez 42 % des sondés dans la confiance portée à une marque, ils participent à la construction de l'image de celle-ci en ligne : " À l'origine, la marque est un dispositif de réputation dans un monde où l'information est incomplète. Le consommateur pense que la construction d'une marque est un gros investissement pour l'entreprise. Celle-ci n'aura donc pas intérêt à mentir ou à tricher, sans quoi elle risque d'abîmer ce capital. Mais Internet permet de diffuser l'information plus facilement, grâce notamment aux avis des consommateurs. De plus, les réseaux sociaux font office de caisse de résonance pour les scandales ! L'info se transmet de façon horizontale, et semble donc plus crédible ", avance Philippe Moati. Il ajoute : " La confiance est un pari. Si on savait tout, pas besoin d'avoir confiance. Elle se fonde souvent sur les expériences passées, qui semblent préfigurer l'avenir. Mais elle peut aussi naître du bouche à oreille, dès lors que la source nous ressemble et partage une relation de proximité. "

Héla Chérif-Ben Miled, maîtresse de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et ­spécialiste de la confiance dans le marketing, tire le même constat : " L'usage d'Internet a modifié le rapport entre marques et consommateurs. Avant, l'asymétrie d'informations bénéficiait aux premières, mais désormais, grâce à l'action de communautés comme celle derrière Yuka ou aux réseaux sociaux, les consommateurs sont mieux informés. " Cette approche communautaire est ­centrale quand on parle de confiance : " Le concept de confiance est présent en économie au travers des théories de l'agence ou des jeux, mais c'est également une notion importante en sociologie, en psychologie ou en management, dès lors qu'il y a des interactions entre humains. En marketing, cette notion a aussi un poids croissant. Le fait que Philip Kotler ajoute deux P, ceux de People et de Politic, dans son fameux modèle des 4P l'illustre : l'approche humaine, relationnelle, est de plus en plus centrale, malgré le développement du numérique ", ajoute-t-elle, dressant ainsi la cartographie du terrain où va se livrer la bataille de la confiance ces prochaines années.

Entre label et cocréation

Une marque qui fait de la publicité, et qui est reconnue comme telle par le consommateur, inspire moins confiance qu'une marque qui ne fait pas de pub ! C'est ce que nous apprennent les panélistes de YouGov que nous avons interrogés. De quoi pousser les annonceurs à trouver de nouvelles façons de communiquer : " La communication est essentielle dans le rétablissement de la confiance. Il faut montrer que la satisfaction de ses clients l'emporte sur la rentabilité de son entreprise, indique Héla Chérif-Ben Miled. Le mieux est donc de proposer des produits ou services de qualité, mais en cas d'insatisfaction, l'ouverture du dialogue, et donc la communication, va être essentielle. Notamment quand on sait qu'un consommateur insatisfait le fait savoir en moyenne à douze personnes, contre seulement cinq pour un consommateur satisfait. "

L'intérêt de prendre un autre consommateur pour tiers de confiance peut, dès lors, se révéler à double tranchant pour la marque, mais s'avérer une bonne opportunité selon la maîtresse de conférences : " Les entreprises disposent de plusieurs leviers pour renouer avec les consommateurs, dans le cadre du marketing relationnel ou communautaire. Je pense à la cocréation, qui donne un rôle actif au consommateur et qui est indispensable dans un cadre d'open innovation. Ces rencontres entre employés et clients permettent d'humaniser la marque et de développer un lien affectif. Mais le développement d'une communauté ne permet pas seulement de créer des contenus ou des produits : elle donne à la marque des ambassadeurs qui vont porter sa voix et devenir l'équivalent de tiers de confiance, et cela est aussi valable en BtoB qu'en BtoC. "

Une approche mise en pratique par Elan Edelman, en septembre ­dernier, pour son client Danone, qui a envoyé en rayon près de 2 000 employés pour faire connaître aux consommateurs les engagements de la marque en faveur d'une agriculture biologique. Mais Amélie Aubry veut aller plus loin dans la cocréation : " Je crois au marketing participatif. Demander aux consommateurs quelles sont les actions que la marque doit privilégier : Faut-il relocaliser sa production ? Lutter contre la pollution ? Mener des actions contre les inégalités ? Une entreprise ne peut pas mener tous les combats de front, et les prioriser est une forme d'honnêteté envers le consommateur. " Une façon de lui démontrer qu'ils ont des objectifs communs. " Comment redonner confiance ? Pas besoin de tout miser sur la transparence. Il ne s'agit pas de tout montrer, mais d'être le plus sincère possible, et d'exploiter au mieux les convergences d'intérêts, soit les éléments où l'intérêt de la marque rejoint celui de ses clients. Quant au fait de donner des preuves, il ne faut pas s'attendre à un effet immédiat : il faut du temps pour que les gens changent d'avis tellement la défiance est profonde ", avance Philippe Moati.

Héla Chérif-Ben Miled conclut : " La confiance n'est pas nécessairement le résultat d'une relation sur le long terme. Certes, il y a une confiance individuelle qui, basée sur nos propres expériences, va peut-être mettre du temps à se construire. Mais on peut penser qu'il y a une sorte de confiance collective' qui peut se dégager d'une communauté de clients, et créer la confiance dès la première interaction avec une marque, tout comme il y a une confiance institutionnelle : c'est le Politic', après le People'. Tout comme on fait confiance aux lois, on va faire confiance aux normes, aux labels et autres garanties mises en place par des Etats ou des associations interprofessionnelles. "

 
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