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[Entretien] Michel Campan, sur les marques de luxe : "La Chine est à portée de clic"

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[Entretien] Michel Campan, sur les marques de luxe : 'La Chine est à portée de clic'

Digitaliser les marques de luxe et les aider à percer sur le marché chinois, c'est le défi qu'a relevé Michel Campan en créant l'agence Same Same But Different. Après un brillant parcours chez l'annonceur, le "monsieur Digital" d'Hermès, Lancôme et Dior met son savoir au service de ses clients.

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Aujourd'hui, en 2015, le luxe est-il encore un pré carré français?

Le secteur du luxe est très particulier. Cela reste un secteur très hexagonal; puisque 50 % des entreprises de luxe au monde sont françaises. Dans notre pays, le luxe fait partie du patrimoine, avec des marques qui rayonnent toujours dans le monde entier, comme Louis Vuitton, Cartier, Chanel ou encore Dior. Si l'on assiste à l'émergence de nouveaux acteurs, notamment aux États-Unis et en Chine, il y a une culture, un ADN, un savoir-faire de compétences et de "marketing du luxe" authentiquement français. Mais en fait, quand on est dans le luxe, on est prioritairement tourné vers l'international, on ne vend pas (ou très peu) à des Français.

Comment, notamment par rapport à un marché comme la Chine, une marque de luxe doit-elle appréhender sa stratégie digitale?

C'est le paradoxe: l'approche doit être à la fois globale et locale. Il faut bien comprendre que le monde digital est coupé en deux. Il y a tout d'abord un digital mondial, global, dans lequel nous vivons (à travers des groupes ou des sites comme Facebook, YouTube, Google ou Twitter), et concernant la Chine (mais c'est aussi le cas pour d'autres marchés), il y a, en l'espèce, un digital chinois, un monde extrêmement fermé, extrêmement particulier, qui a inventé ses propres règles avec ses propres acteurs. Un monde avec une vision du digital qui est beaucoup plus imprégnée dans la société qu'elle ne l'est en Europe. Il ne faut jamais oublier que la Chine est le premier pays au monde en nombre d'internautes. Ce sont 800 millions de personnes connectées dans un pays qui, après avoir été longtemps très fermé, s'est brutalement ouvert entre 2004 et 2006, avec une formidable envie de se développer, de créer, d'inventer de nouvelles pratiques et de communiquer. Pour dire les choses simplement, si l'Europe a appris la communication et le marketing via la télévision et les journaux, la Chine est entrée directement dans l'ère des médias sociaux.

Une appropriation soudaine, qui s'est accompagnée de nouveaux outils et de nouvelles pratiques...

Dans un contexte et sur un marché où Facebook et Google ne sont pas du tout présents, nous avons, en effet, vu naître de nouveaux services de référence, comme Weibo (Sina Weibo), Kaixin (le Facebook chinois), WeChat (un outil formidable pour le secteur du luxe), Alibaba (aujourd'hui côté à la Bourse de New York), ou le moteur de recherche Baidu avec, il est vrai, des pratiques qui, de prime abord, peuvent surprendre. Prenez le cas de Baidu : sur ce moteur de recherche extrêmement puissant, qui est l'équivalent local de Google, le référencement naturel est très peu présent. Il occupe tout au plus 30 % à 40 % des résultats affichés sur une page. Le reste, c'est-à-dire la majorité des liens présentés, ce sont des liens sponsorisés. Et cela ne choque pas les Chinois car, pour eux, c'est celui qui a investi le plus qui doit être le plus visible.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter l'article suivant: 5 caractéristiques sur le marketing digital du luxe en Chine

Michel Campan, l'homme qui a digitalisé Hermès

Michel Campan est diplômé de l'Institut français de la mode. Il a commencé sa carrière au sein de grands groupes de communication comme DDB et Altedia. En 1996, il fonde ETC, l'une des premières agences internet à voir le jour en France. Entre 2000 et 2006, il est le "monsieur Digital" d'Hermès et bâtit le réseau d'e-commerce de la prestigieuse maison aux États-Unis, en Europe et au Japon. Il rejoint ensuite le groupe L'Oréal pour diriger la stratégie internet et CRM de Lancôme. À ce titre, il lance le premier site de vente en ligne d'une marque de luxe en Chine. En 2008, il rejoint Dior Couture (groupe LVMH) et met sur pied la première opération de "brand content" d'une maison de couture : The Lady Noire Affair - un film réalisé par Olivier Dahan avec Marion Cotillard. En 2009, il fonde Same Same But Different, une agence implantée à Paris, New York, Shangai et Hong Kong. Devenue une référence dans son domaine, elle accompagne de grands noms du luxe, parmi lesquels Lancôme, Porsche, Van Cleef ou Bonpoint.


Quelle perception les Chinois ont-ils du luxe?

C'est une question très stratégique ! Chez Cartier, par exemple, 60% des clients finaux sont chinois. Or, aujourd'hui, si les Chinois connaissent bien les marques présentes de longue date sur leur marché comme Dior, Chanel ou Louis Vuitton, pour beaucoup d'autres acteurs, tout reste à faire. Avec, parfois, une perception très singulière du luxe... Je me souviens d'une étude qui révélait que les Chinois plaçaient Nike parmi leurs dix marques de luxe préférées!

Existe-t-il une typologie du client chinois?

En Chine, les consommateurs de luxe sont beaucoup plus jeunes qu'en France. Ce sont souvent des trentenaires qui ont réussi et dont la fortune est, d'ailleurs, assez solide. Ils voyagent beaucoup et effectuent la moitié de leurs achats durant ces déplacements, dans les aéroports mais aussi et surtout à Paris, qui reste leur destination favorite.

La raison en est simple: il est moins cher d'acheter à Paris qu'en Chine, où les produits de luxe sont lourdement taxés. Ils ont des moyens économiques bien supérieurs à ceux des Français. Je pense au récent voyage à Paris de la femme d'un industriel chinois qui a fait fortune dans la sardine. En trois jours, elle a dépensé près de 20 millions d'euros. Aucune marque ne peut se permettre de négliger une telle cliente! Les Chinois sont très exigeants, ils veulent comprendre la marque et, en même temps, veulent vivre une expérience unique. Pour une marque, il sera donc important, si ce n'est prioritaire, de communiquer sur son image, d'expliquer ses valeurs. Et cela passe par une maîtrise des outils digitaux locaux.

Quelle est la différence principale entre les marchés français et chinois?

Les Chinois sont demandeurs de service, un domaine où nous ne sommes pas toujours très bons, il faut le reconnaître. Et, tout (ou presque) se passe sur le smartphone. Quand on parle Internet en Chine, on parle smartphone! Le client chinois veut pouvoir parler à quelqu'un 24 h/24 h, demander un renseignement et que l'on lui réponde dans la minute, être capable de voir quelqu'un dans une boutique, de négocier à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Et quand il s'agit de luxe, il ne comprend pas la posture parfois quelque peu attentiste de certaines maisons européennes. C'est une population qui se sait riche et puissante, qui maîtrise les réseaux sociaux et n'hésite pas à s'en servir pour exprimer son mécontentement.

Comment éviter les dérapages?

Il n'y a pas de miracle. Cela passe par un bon produit et un bon service. Les Européens ont beaucoup vécu dans l'idée que la marque suffisait, qu'il suffisait de faire du "branding", de vendre et que le reste n'était pas grave. Cela ne marche pas du tout comme ça. En Chine plus qu'ailleurs, la mission du community manager est capitale. C'est une fonction stratégique, dont la mission s'inscrit dans la durée et fait appel à des équipes possédant une compréhension profonde de leur marque. À l'opposé de ce que l'on peut voir en France, en Chine, on fait confiance au community manager pour être très réactif et délivrer un message spontané, en phase avec les valeurs de la marque. Dans notre pays, certaines entreprises investissent des fortunes en publicité et, pourtant, confient la gestion de leur image sur les réseaux sociaux à un stagiaire... C'est, pour moi, un grand paradoxe!

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter l'article suivant: Marché chinois du luxe : le client veut la qualité avant la marque

En Chine, pour exister sur les médias sociaux, une marque doit être très active, et poster de grandes quantités de messages. Comment faire face à cet impératif?

En Chine, le message passe essentiellement par le texte, plus que par l'image ou la vidéo. Par ailleurs, la classe moyenne chinoise, qui vit majoritai­rement en ville et part peu en week-end, est friande de poésie et de naturalité. Une marque doit savoir saisir ces envies. Je pense à ce message, d'une simplicité extrême, posté par Van Cleef & Arpels et qui a connu un succès phénoménal : "Je me lève à Shanghai. Ce matin, il fait très beau." À y regarder de plus près, ce message dit beaucoup de choses, il parle de soleil, dans un environ­nement où la pollution est omniprésente. C'est un message humain. C'est ainsi que doit parler une marque.

Vous évoquiez l'apparition de nouveaux outils au succès fulgurant. En quoi sont-ils essentiels pour les marques de luxe qui souhaitent s'imposer sur le marché chinois?

Prenons l'exemple le plus emblématique, celui de WeChat. Développé par le groupe Tencent, c'est une messagerie comme WhatsApp, mais dans une version beaucoup plus évoluée, dans laquelle les marques sont présentes. Contrairement à un Facebook, où la commu­nication se fait en mode "one-to-many", WeChat n'est pas un réseau social: la commu­nication s'y opère en "one-to-one", c'est-à-dire directement entre le client et la marque. Les marques ont leur page sur WeChat. C'est le cas de Lancôme : les clientes peuvent scanner un produit pour en demander le prix, commander et acheter en ligne... WeChat, au final, c'est presque une nouvelle manière d'utiliser Internet. Un Internet construit autour des besoins des gens, d'une véritable person­nalisation de la relation client.

Les marques de luxe s'aventurent-elles aujourd'hui à vendre tout ou partie de leurs produits sur un site comme Alibaba, l'équivalent chinois d'Amazon?

Le sujet est délicat car en Chine, la copie est culturellement acceptée. Or, sur Alibaba, comme sur d'autres sites, la présence de produits contrefaits reste un énorme frein pour les marques de luxe. Or, Alibaba, pour l'heure, n'opère pas de nettoyage à ce niveau. Les choses vont peut-être évoluer prochainement : Burberry, par exemple, a décidé de travailler avec Alibaba sur des produits d'entrée de gamme pour drainer du trafic vers son site internet, où l'ensemble de sa collection est disponible.

Quels conseils donneriez-vous à un entrepreneur désireux de partir à la conquête du marché chinois?

Tout d'abord, je dirais qu'il faut faire confiance aux Chinois, à leur créativité, et, quand on est français, arrêter de se penser comme étant le centre du monde. Par ailleurs, c'est un marché en demande de nou­veautés, il ne faut donc pas avoir peur de se confronter à la réalité et d'y aller person­nellement pour incarner sa marque.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter l'article suivant: Quand la Chine s'éveille à la qualité

 
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