[Tribune] Comment (re)donner du sens et une raison d'être à la marque
Drivés par la Génération Y, les consommateurs d'aujourd'hui sont en quête de sens. Quand dans les années 2000, le luxe, le mass tige et le bling-bling créaient la tendance. En 2015, l'engagement pour la sauvegarde de la mangrove indonésienne, ou le soutien aux petits producteurs du terroir suscite engouement et adhésion. Les valeurs sociales et sociétales d'une marque sont ainsi devenues aspirationnelles !
Élevés avec la crise et le marketing, les Yers posent un regard désabusé sur la société de consommation et ses dérives. Cette génération veut consommer, certes, mais avec des valeurs humanistes, écologiques, éthiques, responsables... Et loin d'être naïve et idéaliste, elle croit fermement que c'est possible ! Quand ses aînés ont décrété que cela relevait plutôt de l'utopisme.
Oui, les Yers veulent changer le monde !
Ou plus précisément, ils veulent que les marques-entreprises prennent leurs responsabilités et changent le monde à leur place. Elles qui font partie de leur quotidien : ne doivent-elles pas assumer leurs responsabilités et créer de la valeur non seulement pour elle, mais aussi pour tous ?
- 91% des internautes dans le monde attendent que les entreprises fassent plus que générer du profit.
- 73% des Yers pensent qu'elles doivent partager un point de vue sur les problématiques sociétales.
Ces conso-citoyens attendent ainsi de la marque qu'elle porte des valeurs spécifiques, une vision propre, un combat défini... Bref, qu'elle ait une raison d'être - autre que commerciale bien sûr - et qu'elle agisse en ce sens. Certaines marques l'ont bien compris et affirment leurs valeurs à travers des actions (des actions intrinsèquement liées à leur coeur de métier : nous ne parlons pas ici de philanthropie, mais plutôt de Responsabilité Sociétale des Entreprises).
Il y a les marques qui agissent pour la planète ou la société
Intel a mis en place des filières pour sourcer les minéraux qui composent ses produits : la marque refuse ainsi Tungstène, Étain ou Or issus de zones de conflit, notamment en République du Congo où cela finance des groupes rebelles violents et génère catastrophes humanitaires et environnementales. La marque adopte ainsi un comportement de leader en montrant l'exemple, et en appelant toutes les industries utilisatrices de ces minéraux à revoir leurs pratiques.
De son côté, Tesla, le constructeur de voitures électriques, passe ses brevets en copyleft* : l'opportunité pour la concurrence de s'appuyer sur sa technologie, mais surtout de l'améliorer pour une progression collective de notre Société vers le transport électrique. Une façon pour la marque d'affirmer son engagement pour la mobilité durable, et de nourrir (et prouver) sa mission de marque.
L'intérêt de leurs consommateurs avant le profit...
C'est le cas de Tesco au Royaume Uni, qui a supprimé les confiseries en produit d'appel à la caisse dans le cadre d'un engagement global pour une offre alimentaire plus saine.
Ou de la chaine CVS Caremark aux Etats-Unis, qui prend un virage stratégique santé en se rebaptisant CVS Health et en supprimant la vente de tabac... malgré l'anticipation d'une perte de 2 milliards USD de CA annuel ! Mieux encore, elle lance une campagne pertinente à destination de ses consommateurs pour les aider à arrêter de fumer : #OneGoodReason ou comment mettre en avant les bénéfices de la vie sans tabac (plutôt que de rappeler une énième fois les risques encourus). Montrer l'exemple, puis accompagner ses consommateurs : une règle imparable pour provoquer le changement, et être une Marque qui compte (une "Meaningful Brand" comme dirait Havas).
Les résultats pour CVS sont probants :
- Une annonce saluée sur les réseaux sociaux, notamment par Monsieur et Mme Obama!
- Une amélioration significative de la réputation de CVS : de la 31ème place à la 25ème (Most Reputable US Companies report)
- +12,9% de profit sur les 3 premiers mois suivant l'arrêt de la vente de tabac, et une action très en forme, surpassant les prévisions des analystes.
Etre "consumer first", une démarche qui a du sens et qui paye
Pour aller plus loin, certaines marques s'engagent sur des notions de service public. Une tendance émergente qui répond à un constat pragmatique : les Etats ne peuvent pas tout assumer. 73% des Yers ne pensent pas que les gouvernements puissent résoudre seuls les problèmes d'aujourd'hui et 83% veulent que les entreprises s'impliquent davantage...
Certaines marques se mobilisent sur des enjeux publics
Depuis plusieurs années, Ikea met son expertise au service du Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations Unis et produit des abris provisoires en kit (pratiques, peu chers, et qui durent... du Ikea quoi !)
La chaine anglaise E4, constatant que plus de la moitié des moins de 25 ans n'avaient pas voté aux dernières élections, s'est mobilisée pour les inciter à aller voter : campagne de sensibilisation, promotion de débats de jeunes politisés, et interruption volontaire de ses programmes le jour J !
La marque Dettol (produits désinfectants et antiseptiques) s'est elle rapprochée du ministère de la santé nigérien pour éduquer à l'hygiène face à la propagation du virus ebola. Au-delà des spots TV et plateformes digitales classiques, la marque a distribué des échantillons dans les taxis et formé les chauffeurs pour qu'ils sensibilisent leurs passagers.
D'autres, anticipent leurs métiers demain et participent à leur construction.
Volvo s'est ainsi associé avec les Autorités de Transport suédois pour développer des routes rechargeant les véhicules électriques. L'appli Waze s'est associé à certaines grandes villes pour mutualiser la data et offrir aux utilisateurs un service plus performant.
Google et Facebook planchent sur la connexion internet des 2/3 de la population mondiale qui n'y ont pas encore accès. L'un envisage des ballons stratosphériques, quand l'autre, plus pragmatique, propose déjà internet gratuitement, mais sur une sélection de sites...
Des initiatives qui ne sont bien sûr pas totalement désintéressées
Au-delà de prendre une longueur d'avance, ces marques créent une forme de marché captif, qui élimine de fait la concurrence...
La sincérité de la démarche peut donc être questionnée. Naomi Klein dénonçait déjà l'ingérence des marques dans No Logo en 1999. Mais il n'empêche que ces initiatives, mises en perspective avec les attentes des conso-citoyens promettent une révolution du rôle de la marque qui a aujourd'hui l'opportunité de prendre une vraie place dans la vie de ses consommateurs : être un acteur du changement et définir les pratiques du futur, assumer une mission citoyenne qui dépasse la notion de profit, et in fine avoir un impact positif concret sur la Société. Et vous, quelle est votre raison d'exister ?
Laura Chatain, planneuse stratégique de l'agence de Branding Pixelis a travaillé sur une analyse de 5 grandes thématiques qui structurent les tendances socio-marketing actuelles : une grille de lecture de notre société, des marques, des consommateurs et des citoyens, à découvrir ICI sous forme de Slide Share.
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