[Exclusif] Philip Kotler: l'avenir est dans la convergence des technologies marketing
À 86 ans, Philip Kotler, l'un des six penseurs les plus influents selon le Wall Street Journal, publie Marketing 4.0. Et prouve que l'inventeur des 4 P est bel et bien encore à la page !
- Vous publiez Marketing 4.0 six ans après votre précédent ouvrage, Marketing 3.0. Entre les deux, en quoi le marketing a-t-il été bouleversé?
Le marketing, d'abord axé sur les produits (1.0), a été, ensuite centré sur le client (2.0) pour enfin s'attacher à l'humain (3.0). Depuis, la transformation notable n'a pas été l'apparition des technologies, qui existaient déjà, mais plutôt leur convergence qui tend à rapprocher le marketing traditionnel du marketing numérique. Car plus nous nous intégrons socialement, plus nous recherchons des attentions particulières. Or, ce que permettent les technologies, c'est justement, via l'analyse d'un volume considérable de data, la personnalisation des produits et des services.
Par ailleurs, cette convergence a fait émerger de nouvelles tendances telles que l'économie du partage, l'intégration omnicanale visant l'augmentation des ventes, le marketing de contenu pour faciliter le dialogue avec les consommateurs, ainsi que la gestion sociale de la relation client. Dans ce contexte, les marketers "à l'ancienne" ne pourront être performants que s'ils se forment aux nouvelles règles imposées par les applis, par Facebook, par Google et par les usages des smartphones. Et je leur donne ce conseil: recrutez des millennials, digital natives, et laissez-les expérimenter... avec un budget associé !
- Le sous-titre de votre livre est "Le Passage au digital". Cela revient-il à signifier que les entreprises n'ont pas achevé leur transformation digitale?
Le message que nous voulions délivrer est plutôt la nécessité, capitale, d'infuser des pratiques digitales dans chacune des actions déployées. Aujourd'hui, la principale difficulté est de capter l'attention. L'utilisation dite traditionnelle des médias papier, magazine, télé ou affichage n'est plus suffisante, car tout l'enjeu est d'envoyer le message adéquat non seulement à la bonne personne, mais aussi au bon endroit et au bon moment. Et la seule manière d'y arriver est de se baser sur les data pour prédire et sur l'analytics pour mesurer.
- Après les 4 P (Produit, Prix, Promotion et Placement), qui ont fait votre gloire, vous inventez les 5 A - Awareness, Appel, Ask, Act and Advocate -, soit, en français, découvrir, intéresser, questionner, acheter et s'engager. Les deux sont-ils compatibles?
La fidélité se définit aujourd'hui comme la volonté de défendre une marque.
En effet. Les 5 A offrent même un riche canevas pour mener à bien le troisième P, celui qui concerne les stratégies de communication. Ils représentent parfaitement le parcours client à l'ère de la connectivité. Ce dernier doit, tout d'abord, refléter la montée en puissance des réseaux sociaux qui façonnent aujourd'hui l'attrait premier d'une marque. Autre évolution: la fidélité ne se définit plus par la fidélisation et le rachat, mais plutôt comme la volonté de défendre une marque.
Par ailleurs, à l'heure de la connectivité, le parcours client se doit d'intégrer la connexion des consommateurs entre eux par le biais de forums, d'échanges et de conversations. C'est parce qu'ils prennent en compte ces nouveaux paramètres que les 5 A sont plus complets que le modèle AIDA, inventé par E. St. Elmo Lewis, qui, longtemps référent, n'englobait que l'attention, l'intérêt, le désir et l'action.
- Le marketing semble dicté de plus en plus par la maîtrise des technologies, et finalement moins par l'excellence du produit ou du service. Partagez-vous ce constat? Et si oui, est-ce une erreur?
La première décision d'une entreprise compétente en marketing sera de concevoir le bon produit au bon prix, et de manière beaucoup moins déterminante, de déployer les stratégies optimales de distribution et de promotion. Des stratégies qui peuvent gagner en performance sous l'effet d'une expertise technologique. Mais si, à la base, il n'y a pas un produit ou un service efficace, ce sera en pure perte!
- Pourquoi n'avoir consacré aucun chapitre de votre ouvrage, Marketing 4.0, aux data?
Car nous mentionnons la data et les méthodes analytiques un peu partout dans notre ouvrage. Et c'est ainsi que doivent, dorénavant, s'envisager les stratégies marketing.
- L'une des tendances fortes que vous repérez concerne le content marketing. Quels conseils donneriez-vous aux marketers pour réussir en la matière?
Déjà, il est important qu'ils réalisent la nécessité d'un marketing de contenu ou stratégie éditoriale efficace. Pourquoi? Car les consommateurs sont de plus en plus exaspérés par les techniques de vente agressives. D'ailleurs, de plus en plus de téléspectateurs enregistrent leur programme pour éviter les publicités. Avec YouTube TrueView, les pubs peuvent être ignorées après cinq secondes. Ce "skippable world's five-second challenge" établit un défi sans précédent: le consommateur peut la rejeter s'il n'y adhère pas.
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Avec le content marketing, la promesse est différente car il transforme le rôle des marketers d'un rôle de vendeur à celui de rédacteur, de celui de promoteur de la marque à celui de conteur. Mais demeure un danger, celui de transposer la manière de s'adresser aux consommateurs via les médias traditionnels à ces nouveaux canaux de diffusion que sont les plateformes sociales. Une étude menée par Google en 2015 sur les publicités YouTube TrueView montrait que l'intégration d'un logo dans les cinq secondes augmentait la mémorisation de la marque, mais réduisait le temps de visionnage.
Parmi les annonceurs ayant réussi leur stratégie éditoriale figure KLM, avec son magazine Ifly ou son assistant de recommandations de voyage.
- Comment une marque peut-elle embrasser ce que vous appelez l'économie de l'immédiateté?
Dans cette "now economy", les services visent à répondre, instantanément, aux besoins des consommateurs: le contenu n'est plus roi, mais la commodité le devient. Et pour répondre à ce nouvel adage, les entreprises doivent développer le commerce mobile, faciliter le web-repérage dans les magasins et encourager le furetage en magasin lors des achats virtuels.
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- Vous croyez en la loyauté des consommateurs. Comment l'obtient-on? Et de quelles marques les marketers devraient-ils, à ce niveau, s'inspirer?
Il existe plusieurs moyens, mais le plus efficace est d'offrir "plus pour moins". Telle est la vision de Walmart et Costco. Les compagnies aériennes prévoient, elles, des miles pour fidéliser, sur leurs lignes, les passagers. La chaîne de magasins Nordstrom essaie, de son côté, de bâtir des relations personnalisées avec chacun de ses clients, en leur faisant des recommandations, dans l'objectif de leur offrir un tel service qu'ils reviendront. Et ce dans l'espoir que certains deviennent des ambassadeurs qui propagent, d'eux-mêmes, la bonne parole sur la marque et l'entreprise.
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- J'entends souvent dire: "Le marketing à la Kotler est mort". Comment réagissez-vous?
Ceux qui disent cela ont probablement appris le marketing, il y a 40 ans, avec mes ouvrages Marketing Management ou Principles of Marketing. Ils se sont familiarisés avec le marketing d'avant Internet, lié aux anciens médias. Depuis 2000, mes livres apprennent à se servir des nouveaux canaux de communication, et à mesurer la performance. Tant et si bien que ceux qui m'ont suivi savent bien que Kotler, dans ses dernières réalisations, forme au marketing digital... et dans son plus récent ouvrage enseigne théories et pratiques aux nouvelles générations!
- Quelle marque a, selon vous, vécu l'échec marketing le plus cinglant?
Kodak est un bon exemple. L'entreprise avait déjà inventé l'appareil photo sans pellicule. Mais, pour ne pas faire disparaître ce marché, elle a préféré enterrer ce projet, exploitant le filon jusqu'à la fin. Fuji, son concurrent principal, en pleine décroissance également, a préféré capitaliser sur ses expertises liées à la chimie pour conquérir un nouveau marché, celui des cosmétiques. Et cela lui a plutôt réussi, contrairement à Kodak qui a presque disparu...
- Quels sont vos auteurs préférés dans le marketing?
Deux figures me sont très chères. L'un est Peter Drucker, le "père" du management qui a aussi beaucoup écrit sur le marketing. Parmi ses nombreuses citations inspirantes, figurent les trois suivantes:
"The aim of marketing is to know and understand the customer so well the product or service fits him and sells itself."
"The business enterprise has two - and only two -basic functions : marketing and innovation. Marketing and innovation produce results : all the rest are costs."
"The best way to predict the future is to create it."
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Mon autre auteur favori est Ted Levitt. Outre son brillant essai Marketing Myopia, il a également écrit Creativity if Not Enough, Marketing Intangible Products and Product Intangibles, The Globalization of Markets, et After the Sale is Over.
- Quels patrons trouvez-vous les plus inspirants?
Je serais très heureux de travailler avec Howard Schultz de Starbucks, Elon Musk de Tesla, Jeff Bezos d'Amazon, Jack Ma d'Alibaba, ou encore Mark Beniof de Salesforce. Pourquoi? Car tous sont créatifs et il est certain que j'apprendrais, de chacun d'eux, beaucoup sur comment commencer et gérer un business!
- Quelle tendance transformera le marketing?
Un sacré battage est fait autour de la réalité virtuelle. Et c'est vrai que nombreux sont ses atouts: démonstration produits, création d'expériences inédites et immersives, et j'en passe...
- Coca-Cola a remplacé son CMO par un Chief Growth Officer. Cela va-t-il se généraliser selon vous?
J'ai toujours pensé que le Chief Marketing Officer était, justement, le Chief Growth Officer. Et ce parce que justement, il est en contact perpétuel avec non seulement les clients, mais également les équipes commerciales, l'IT, tout en ayant un oeil sur les changements économiques et sociétaux. Il s'agit juste de préférer une appellation à une autre... D'autres parlent bien de Chief Revenue Officer!
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