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DossierLes nouveaux grands-parents, génération transmission

Les grands-parents : comment cette nouvelle cible, correspondant à un Français sur quatre, est aujourd'hui exploitée.

Publié par Catherine Heurtebise le
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Les nouveaux grands-parents, génération transmission

1 À quoi ressemblent les nouveaux grands-parents ?

Envolée, l'image du grand-père autoritaire et de la grand-mère gardienne de la morale et des bonnes manières. En 2009, Findus jouait encore (au second degré !) sur cette image négative, avec sa campagne "Les frites de mamie sans aller voir mamie". Deux ans plus tard, la psychologue clinicienne et thérapeute familiale Anne-Solenn Le Bihan éditait un ouvrage au titre éloquent : "Si tu dis non, je vais chez mamie !" (éditions Larousse Pratique). Augmentation des familles recomposées, allongement de l'espérance de vie, "vieilles" mamans et "jeunes" grands-mères... Dans notre société en mutation accélérée, les aïeux représentent la force du lien. Avec la cohabitation de trois, quatre, voire cinq générations, ils sont au coeur des solidarités familiales. Ils doivent, de ce fait, encaisser le choc d'être promus au rang "d'ancêtres", alors qu'ils n'ont plus rien de commun avec cette représentation.

Il n'y a jamais eu autant de grands-parents en France(1), une évolution due tout à la fois au vieillissement des nombreux individus nés après la guerre et à l'allongement de la durée de vie. Cependant, même si la majorité des grands-parents ont 70 ans et plus, on en trouve de plus jeunes en âge et surtout dans leur tête et dans leur corps (on a gagné 15 ans en deux générations !). Et ce n'est qu'à partir de 75 ans, en général, que l'on bascule dans ce que l'on appelle le quatrième âge, avec son cortège de problèmes de santé et le manque d'envie de consommer. Les Mamie Nova et Papy Brossard ont donc disparu. Les nouvelles icônes s'appellent Carole Bouquet (55 ans), Jim Carrey (grand-père en 2010, à 47 ans). Cécilia Attias, grand-mère pour la première fois à 50 ans, Christine Bravo, à 53 ans...

Mais la société et les médias sont encore timides face à cette nouvelle donne. Grand-parent signifie encore trop souvent senior +. Alors que les nouveaux aïeux représentent la génération des baby-boomers (devenus "papy et mamie boomers"), qui s'implique différemment auprès de ses petits-enfants. Les mamies contemporaines de mai 68 ont vécu la révolution des moeurs des années soixante-dix. Sur les 6,3 millions de femmes âgées de 50 à 64 ans, 56 % sont actives(1). Et, avec le recul de l'âge de départ à la retraite, les grands-parents sont, pour certains, encore actifs et doivent jongler entre leur vie, celle de leurs enfants, de leurs petits enfants... Ils sont plus "branchés", partagent davantage de choses, ou en tout cas de façon différente, avec leurs petits enfants, aident leur progéniture... mais peuvent aussi faire preuve d'égoïsme, soucieux de profiter de la vie. Pour ceux qui le peuvent, car il existe bien sûr des inégalités sur ce point également. La cible transgénérationnelle des grands-parents étant, à l'instar de la famille, polysémique.

Les aïeux sont en première ligne de la solidarité inter­générationnelle. " Imagine-t-on une grève des grands-parents ? Rien ne marcherait plus ", interrogeait Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l'autonomie, lors du colloque du 19 novembre dernier organisé par l'ÉGPE (École des grands-parents européens), qui milite pour la reconnaissance de ce statut dans la collectivité.

Si la société a du mal à prendre en compte la cible des grands-parents, c'est que, contrairement à celle des seniors, elle n'a aucune existence légale. " Les grands-parents ont un rôle social, économique et culturel primordial mais ne sont pas reconnus ", assène Pascal Bluteau, président-directeur général de WSA, institut quali qui a, depuis plus de dix ans, un partenariat avec Notre Temps. La triple caractéristique d'une partie de ces nouveaux grands-parents est d'avoir du temps, de l'argent et d'être en forme. " On peut vraiment parler de grand-parentalité active, affirme Pascal Bluteau. Beaucoup ont un pouvoir d'achat non négligeable. L'âge de fin des prêts immobiliers se situe entre 54 et 57 ans, âge où seulement une personne sur deux est en activité professionnelle. Les enjeux de vie sont différents : l'avenir professionnel est derrière, ou en tout cas, on n'est plus dans la performance à tout prix ; la famille devient le point central et on veut réussir cette étape de vie. "

2 Une population en forte évolution

Les grands-parents sont le pivot de la famille, entre leurs enfants (souvent une source d'inquiétude), leurs parents (une veille), leur couple (en quête de nouvel équilibre) et leurs petits-enfants (moments de joie). Le nouveau grand-parent se veut aimant et aidant. Une preuve de cette évolution : les appellations traditionnelles ont laissé place à des petits noms, symboles d'une relation personnelle et d'une complicité partagée. " Ils apportent un nouveau mode de relation enrichissant, commente Pascal Bluteau. Mais il faut se méfier de l'image idyllique des grands-parents. Ils n'ont pas d'existence légale, sont parfois interdits de voir leurs petits-enfants et instrumentalisés comme un "service de conciergerie". Et ils peuvent aussi avoir des problèmes d'adaptation avec l'âge de leurs petits-enfants. Beaucoup sont mal à l'aise avec les adolescents. "

Même si certains professionnels restent sceptiques sur la naissance d'une cible, les grands-parents représentent un vivier d'investigation. Au niveau social déjà, car, pour l'instant, rien n'est fait pour favoriser leur statut et les aider dans leur rôle. Certaines innovations commencent cependant à naître, comme la création d'agences mettant en relation grands-parents et petits-enfants et valorisant les expériences, bénévoles ou non. Une "main-d'oeuvre" qualifiée et stable : gardiennage pendant les vacances, cours de langues, etc. L'idée d'un congé grand-parental est aussi dans l'air du temps : elle a ­séduit Areva, Alstom et Rhodia. Certaines entreprises réfléchissent également à la possibilité d'ouvrir leur crèche aux grands-parents.

Du point de vue du marketing, WSA décrypte six univers porteurs : les services, les activités de loisirs / culturelles (près d'un tiers des abonnements presse jeunesse est offert par les grands-parents), les voyages, les nouvelles technologies (ils adoptent les SMS, les réseaux sociaux, Skype, les tablettes, copiant les comportements de leurs petits-enfants), le secteur financier (ils recherchent des "produits de transmission sécurisés") et le "relationnel" (le courrier est mort, vive les e-mails). " Les grands-parents veulent apprendre avec leurs petits-enfants mais elles ont besoin d'être aidées dans leurs choix car elles veulent la garantie de faire plaisir et de se faire plaisir lorsqu'elles investissent. L'offre est souvent pléthorique et elles n'ont pas toujours les codes, explique Pascal Bluteau. Ainsi, concernant les nouvelles technologies, elles restent réticentes : mobile, ordinateur... des cadeaux considérés comme concurrents de la lecture et des sorties. Elles ne veulent pas entrer dans le débat. "

3 Le temps, une valeur essentielle

Quel est l'avenir de cette cible ? Comment va-t-elle évoluer avec le report de l'âge de la retraite ? Des grands-parents actifs plus tard et moins aisés ? " Les changements sont longs. Il faudra deux décennies avant d'en sentir les effets ", répond Pascal Bluteau. En attendant, il serait nécessaire de leur faire une vraie place dans la société du XXIe siècle. À la question de l'étude ÉGPE /OpinionWay "qu'aimes-tu le plus chez les grands-parents ?", 49 % des sondés répondent : "ils ont du temps pour nous" ; 46 %, "ils nous apprennent beaucoup de choses" ; 40 %, "ils nous font des cadeaux" et seulement 29 %, "ils nous donnent de l'argent"... Le temps, un bien si précieux ! Laissons la conclusion au pédopsychiatre Marcel Rufo, intervenant lors du colloque de l'ÉGPE : " Si les parents sont porteurs d'espace, les grands-parents, plus disponibles, sont porteurs de temps. "

(1) Source : Insee, "15 millions de grands-parents", octobre 2013.

Allongement de l'espérance de vie, familles recomposées, crises... les grands-parents d'aujourd'hui n'ont rien à voir avec ceux d'hier.

4 Belambra propose une offre à destination des seniors

"Belambra, les vacances que la famille préfère" : c'est sur ce slogan que la marque de club de vacances s'est développée. Logique, donc, qu'elle attire la clientèle des grands-parents. " Chez Belambra, cette cible, plutôt composée de cadres supérieurs, a entre 64 et 75 ans, parfois moins, déclare Sylvain Caucheteux, directeur marketing et commercial. À cet âge, on est encore jeune, on a sa carrière derrière soi et on a envie d'en profiter. " Les grands-parents partent avec leurs petits-enfants pendant les vacances scolaires. " Ils ont envie de passer un bon moment avec leurs petits-enfants et de faire avec eux autre chose que ce que font les parents, qui préfèrent souvent la plage ! ", affirme Sylvain Caucheteux. Ils choisissent des destinations avec des activités ludo-pédagogiques. Ils passent beaucoup de temps à choisir et, même s'ils préparent leur séjour sur Internet, ils achètent au téléphone. " La cible des grands-parents clients de Belambra est identifiée mais souvent, son âge n'est pas connu. Aussi, au lieu de s'adresser aux intéressés, Belambra crée des produits ad hoc, comme l'explique Sylvain Caucheteux : " Nous ne les prospectons pas directement mais nous créons des offres ciblées : des séjours avec visite de l'entreprise Brioche Pasquier dans la région de Saumur, etc. " Un marketing tout en finesse.

Selon Sylvain Caucheteux, directeur marketing et commercial de Belambra, revient sur le positionnement familial du groupe.

5 Les comportements d'achat des nouveaux 50-64 ans

La base TGI France de Kantar Media compte plus de 5 000 grands-parents, soit 15,4 millions d'individus et 30 % de la population étudiée. L'essentiel a plus de 50 ans et les plus de 65 représentent 60 % des grands-parents. À partir des résultats de sa base TGI France, Kantar Media a isolé, pour "Marketing", les "nouveaux grands-parents", les 50-64 ans, qui représentent 37,4 % de l'échantillon. Les résultats sont parfois inattendus. " Pour cette population encore souvent active, l'arrivée des petits-enfants ne fait pas rajeunir, explique Muriel Raffatin, directeur marketing TGI. Leur vie est un réinvestissement. Leur foyer devient une sorte de sanctuaire familial. " Seraient-ils moins égoïstes ? 46 % des 50-64 ans avec petits enfants fréquentent des cafés / restaurants (vs 53 % pour les sans petits-enfants) ; 58 % vont au cinéma (vs 62 %). Cette population est en revanche suréquipée : 80 % ont un appareil photo (vs 76 % pour les sans petits-enfants) ; 29 % ont un cadre photo numérique (vs 17 %). 28 % sont abonnés aux réseaux sociaux (vs 24 %), Skype en tête. Enfin, 25 % d'entre eux dépensent entre 75 et 150 euros par an et par petit-enfant.

Selon Kantar Media, les 50-64 ans constituent une nouvelle cible, dévouée à ses petits enfants et bien équipée en matière de nouvelles technologies.

6 "Les grands-parents assurent 23 millions d'heures de garde d'enfant hebdomadaires"

Vous êtes la nouvelle présidente de l'École des grands-parents européens. Quel est le rôle de l'association ?

Il est quadruple : étudier la place et le rôle des grands-parents dans la famille ; écouter et soutenir ceux qui sont en difficulté ; favoriser les liens intergénérationnels pour améliorer la transmission et enfin être force de proposition et de médiatisation auprès du grand public et des pouvoirs publics.

Quelles sont vos principales actions ?

Nous avons un numéro d'appel "allô grands-parents". Nous proposons, par ailleurs, un service de médiation intergénérationnelle ainsi que des groupes de paroles. D'un point de vue social, nous accompagnons des parents contre la prévention de l'illettrisme, nous organisons des "Mercredis récréatifs" culturels. L'ÉGPE est à l'initiative de la création de "Tricotez coeur", qui regroupe près de 9 000 tricoteuses bénévoles. Nous avons organisé, en novembre, un colloque consacré au rôle des ascendants pour la ministre déléguée aux personnes âgées et à l'autonomie.

Quelle est donc la place des grands-parents aujourd'hui ?

Au niveau juridique, ils n'existent pas. Ils n'ont aucun droit. Depuis 2002, seul l'enfant a le droit de réclamer de voir ses grands-parents ! Le gouvernement réfléchit à une charte sur le sujet.

Quelle est votre préconisation ?

Il faut absolument revaloriser les grands-parents. Leur rôle est colossal, notamment quand il s'agit de garder les enfants gratuitement. 40 % des aïeux s'occupent de leurs descendants presque chaque semaine. Ce temps représenterait 23 millions d'heures hebdomadaires. Ils jouent également un rôle économique majeur et allouent 106 milliards d'euros annuels d'aide et de donations à leurs enfants et petits-enfants, dont 1,2 milliard dépensé en jouets(1). L'étude réalisée pour l' ÉGPE par OpinionWay(2) montre notamment que la transmission des valeurs est au coeur des attentes des adolescents de 12 à 18 ans. Il faut donc recréer le lien vertical de la famille. Aujourd'hui, le lien horizontal, porté par les réseaux sociaux, prend le pas.

Comment faire ?

Mon objectif est de donner la parole aux petits-enfants pour montrer le côté rose de la force de ce lien.

(1) Source : Centre d'analyse stratégique (2013).

(2) Étude ÉGPE / OpinionWay, "Regards croisés des petits enfants, parents et grands-parents sur la place et le rôle des grands-parents" (2013).

Armelle Le Bigot Macaux, fondatrice d'ABC+ et présidente de l'ÉGPE, revient sur la nécessiteé de valoriser le rôle des grands-parents.

7 Les nouveaux grands-parents deviennent des prescripteurs directs

Fisher Price (groupe Mattel) couvre tous les besoins en jouets des zéro à cinq ans. Son slogan : "La plus belle façon de grandir". " Notre marque accompagne les progrès des petits et leur apporte, à eux et leur entourage, des moments de bonheur partagés ", résume Daphné Gérenton, business unit lead Fisher Price. Les grands-parents gâtent beaucoup leurs descendants. D'après les études européennes de NPD, 34 % des jouets sont achetés par les 50 ans et plus. Les marques reconnues ont beaucoup d'importance pour eux. " Nous réfléchissons à intégrer la cible des grands-parents dans notre communication 2014, en remettant la notion de plaisir au centre, explique Daphné Gérenton. Il faut relâcher la pression éducative sur les jouets : laissons les enfants être des enfants."

Les grands-parents changent : les valeurs de partage avec leurs petits-enfants ont remplacé les notions patriarcales. Avant, les aïeux demandaient l'avis de la mère pour acheter un jouet. Aujourd'hui, ce sont des prescripteurs directs. Ce changement a été amplifié avec le digital. " Fisher Price a une grande légitimité sur cette cible. Il s'agit d'une marque transgénérationnelle. C'est la marque de jouets la plus achetée par les 50 ans et plus ", insiste Daphné Gérenton. Elle compte 63 000 fans sur sa page Facebook en France. La plateforme est utilisée pour mettre en avant des produits. Les digital grannies y cherchent des infos. La marque a aussi un programme de CRM on line sur son site. Elle a lancé "Premiers bonheurs" en 2013 : un jouet offert à tous les nouveau-nés. " Nous ne pouvons pas isoler les grands-parents mais nous réfléchissons sur des moyens de ciblage ", conclut Daphné Gérenton.

Daphné Gérenton, business unit lead de Fisher Price, s'intéresse aux jouets achetés par les consommateurs âgés de 50 ans et plus.

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