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Achat média en direct : où placer le curseur ?

Publié par Clément Fages le - mis à jour à
Achat média en direct : où placer le curseur ?

Depuis deux ans, de plus en plus d'annonceurs internalisent leur achat média. Alors que cette tendance va se poursuivre en 2020 avec la démocratisation du programmatique, on vous explique comment et pourquoi.

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" C'est en changeant d'agence média, quand nous nous sommes retrouvés face à cette masse de reporting et de chiffres, que nous avons pris conscience que nous devions reprendre la main sur cet aspect afin d'assurer une certaine continuité ", nous expliquait l'été dernier Rassem Belhouadjeb, responsable marketing digital - acquisition au sein du groupe La Poste, pour expliquer ce qui pousse un tel annonceur à internaliser ses achats média. Faire monter en compétences ses collaborateurs permet d'être moins exposé aux aléas de la vie de couple agence / annonceur. Mais la tendance à l'internalisation de l'achat média répond à des objectifs plus larges : l'achat média est de plus en plus programmatique, au point de peser 65 % des investissements digitaux en 2019, à 84 milliards de dollars. Un chiffre qui devrait passer à 68 % pour 98 milliards de dollars en 2020 selon Zenith Optimedia.

L'achat média devient ainsi plus technique, plus data-drivé, et donc plus opaque. Or le marché demande plus de transparence, tant pour faire face aux enjeux de brand safety que pour lutter contre la fraude et les surcoûts liés à la multiplication des intermédiaires. Et paradoxalement, c'est le programmatique qui a aussi apporté la solution : puisqu'il devient plus facile d'acheter en direct - pour peu qu'on ait la data et les capacités techniques et humaines - les annonceurs ont décidé de s'y essayer. Selon l'IAB Europe, 50 % le font pour mieux contrôler la chaîne de valeur data et média, quand 42 % veulent réduire les coûts et 33 % cherchent plus de transparence sur l'exécution des campagnes.

Mais tous ne le font pas avec le même succès : " Le programmatique est l'un des canaux les plus difficiles à internaliser, car la technologie est plus complexe et il y a moins de gens formés à l'utiliser sur le marché. La pratique est en effet plus récente que le paid social ou le SEA, qui sont ainsi plus faciles à internaliser, mais tend à se développer de plus en plus, non seulement pour le display, y compris branding, mais aussi pour ces canaux. Et cela va continuer au fur et à mesure que des canaux comme l'affichage digital, l'audio et bientôt la télévision vont s'ouvrir au programmatique ", explique ainsi Benjamin Courdier, manager d'Accenture Interactive.

Le programmatique en catalyseur

Ainsi, et pour conclure sur les leviers, seuls les canaux offline et le display non-programmatique restent difficilement internalisables, tant les effets d'échelle (le volume d'investissement), l'expérience acquise et les relations directes avec les régies ont un poids important. En programmatique, " les annonceurs les plus matures et les plus ROIstes vont vouloir améliorer leurs performances, ou encore gagner en réactivité afin de pouvoir faire évoluer les plans médias en fonction de l'actualité, ce qui est plus facile en interne, quand en externe il faut préparer des briefs et consulter les modalités d'un contrat avant de songer à couper un budget ", détaille Benjamin Courdier, qui met en avant le fait qu'il y a " différents niveaux d'internalisation, tout comme il y a différents niveaux de maturité sur la question chez les annonceurs. Depuis deux ans, de plus en plus d'annonceurs évaluent l'intérêt d'internaliser. Il y a ensuite ceux qui décident d'internaliser les outils, de passer un contrat d'ad-serving, de prendre un siège chez une DSP, d'adopter des outils de bidding, mais de les faire opérer en externe. Et enfin ceux qui opèrent eux-mêmes. Au-delà des petits annonceurs qui ne peuvent pas se payer une agence et limitent les canaux gérés, ils sont très peu nombreux tant cela s'adresse aux plus matures... Il faut au moins être dans les 30 % d'annonceurs ayant les plus gros budgets pour penser à l'internalisation, car les coûts, notamment en matière de mise en place des équipes, empêchent de dégager de la rentabilité sans une certaine masse critique."

Mais certains annonceurs s'y retrouvent néanmoins : " auparavant, quand nous augmentions nos investissements publicitaires, nous augmentions aussi les honoraires à payer à l'agence. Or, nous voulions mettre plus d'argent dans le média que dans l'agence. Nous internalisons aujourd'hui 100 % de notre achat média, et nous en sommes très contents. Quand nous menons une campagne, nous recevons désormais plus qu'une ligne de reporting. Nous avons une vraie connaissance de nos audiences et plus généralement de nos besoins, ce qui nous permet de gagner beaucoup de temps quand nous rencontrons un partenaire potentiel ", témoignait ainsi l'an passé Stéphanie Chaplain, responsable acquisition digitale chez Direct Energie, qui explique aussi avoir gagné en " transparence sur les frais techniques, et même si nous ne négocions pas les mêmes volumes que les agences, les économies réalisées sur les honoraires permettent d'investir plus en média. "

Impact RH

Au-delà de l'achat et de la mise en place des outils, ainsi que du recrutement des équipes pour les opérer, il faut aussi s'assurer d'avoir le staff nécessaire pour remplacer les éventuels absents, analyser et expliquer les résultats, mais aussi faire le lien avec les équipes data, tant les synergies sont importantes : " Chez Air France, il nous faut au moins trois personnes pour pallier les congés et faire en sorte d'être constant tout au long de l'année. Mais il faut aussi s'assurer d'avoir suffisamment de business pour occuper trois traders toute la journée ! Le programmatique est utilisé comme un outil de reach au CPM très compétitif grâce à l'internalisation. Le fait de partager le même open space permet aux équipes de mettre en place des stratégies d'audience, de mener des tests et de trouver des cas d'usage de façon plus fluide qu'avec une agence. De plus, travailler main dans la main avec l'équipe DMP nous offre plus d'objectivité dans l'interprétation des résultats ", explique ainsi Claire Morlon, Head of Media Buying de la compagnie aérienne, qui a sous sa responsabilité un budget global destiné à 80 marchés différents, et dispose d'une équipe de trois traders dédiés à l'achat programmatique, en plus des trois personnes responsables du social buying.

" On peut cependant internaliser le social ou le search sans DMP ou datalake, ne serait-ce que pour aller chercher de la performance. Mais souvent un projet d'internalisation se double d'un projet de monter en compétence sur les sujets data, dans le cadre du déploiement de tels outils ! Reste qu'à opérer en interne, il faut s'assurer de rester en prise avec les dernières tendances du secteur, là où les acheteurs en agence, qui opèrent pour plusieurs annonceurs, et échangent avec divers experts et prestataires, sont exposés à plus de problématiques et sont plus à même d'y répondre. Il faut donc savoir où mettre le curseur ", prévient Benjamin Courdier. De quoi relativiser les risques qui pèsent sur l'avenir des agences média. Certaines en profitent même : nouvelle filiale d'Accenture, Sutter Mills, à l'instar d'autres agences, accompagne ainsi des annonceurs dans l'évaluation de leur niveau de maturité et la formation de leurs équipes.

Ainsi, Gautier Picquet, président de Publicis Media et Chief Operating Officer (COO) de Publicis Groupe en France, élu président de l'Udecam en décembre 2019, réagit : " plusieurs tentatives de " in-housing", notamment sur le programmatique, se sont soldées par un constat : cela nécessite de sacrés talents humains et de gros investissements technologiques. D'où des retours en arrière chez certains annonceurs. Malgré tout, nous ne pouvons pas nier ce phénomène d'internalisation du marketing digital qui se joue à l'échelle mondiale... et qui représente un enjeu pour les agences média, celui de se recentrer sur notre métier d'accompagnement et de conseil, et non plus de trader et d'opérant. "

 
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