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DossierLes origines du marketing

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1 - Le fil rouge du marketing

60 ans de théories et de pratiques qui ont accompagné l'évolution de la consommation, des 30 Glorieuses aux années de crise et d'arbitrage. Comment le marketing a-t-il vécu ces années? Témoignages et éclairages.

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Marketing, market, marketeur... Des mots liés à une notion qui nous vient du pays des MadMen. Et, comme le fait justement remarquer Laurent Maruani, directeur du département marketing à HEG (cf. partie 3), ces termes n'ont pas la même signification selon les pays. En anglais, le verbe "to market" est transitif, et aux Etats-Unis, le marketing est très lié à la vente, à l'inverse de l'Europe, et notamment de la France. On retrouve la même discordance dans les dates de création du marketing. D'après Pierre Volle, professeur de marketing à l'université Paris-Dauphine (cf. interview partie 4), "l'ère du marketing" débuterait aux Etats-Unis dans les années 1950. Elle succéderait à une "ère de la vente" (1930-1950), elle-même précédée d'une "ère de la production" (1870-1930). Mais on peut, bien sûr, faire remonter les origines du marketing bien plus loin. "En réalité, le marketing a presque 100 ans. L'UDA a été créée en 1916, en pleine première guerre mondiale", rappelle Gérard Noël, président de l'UDA et vice-président de la Fédération mondiale des annonceurs. D'autres considèrent que la formalisation de cette notion date de la crise économique américaine de 1929... Le marketing peut également être considéré comme une pratique de management ancestrale.

Mais trêve de querelles historiques. Pour la France, si la pratique set plus ancienne, la théorie prend bien ses racines dans les années cinquante. Confirmation du côté de l'Adetem, l'association nationale des professionnels du marketing, formée en 1954, " une association créée par des professionnels pour des professionnels ", insistent François Laurent, vice-président, et Dominique Servant, déléguée générale de l'Adetem. Pour ses 50 ans, l'Adetem a réalisé une rétrospective portant sur les évolutions fondamentales du marketing, étayée d'interviews d'experts et comportant l'analyse de 200 numéros de la Revue Française du marketing. Cette étude éclaire l'évolution du marketing par les grandes tendances de chaque décennie, qu'elles soient géopolitiques, économiques, technologiques ou socioculturelles.

" Dans les années cinquante, alors que les entreprises étaient organisées selon un schéma industriel / commercial, elles ont utilisé de plus en plus de méthodes marketing anglo-saxonnes, explique Gilles Pacault, président du comité marketing de l'Ilec (Institut de liaisons et d'études des industries de consommation) et vice-président délégué de Prodimarques. Sont alors apparues en France des sociétés de services marketing, en matière d'études de marché ou de publicité, souvent intégrées à des groupes multinationaux (la Seced et Lintas, pour Unilever). " L'Ilec a été créé en 1959, après l'apparition des premières grandes surfaces alimentaires. Il provient des industriels de produits de grande consommation, qui souhaitaient défendre leurs marques. Prodimarques date de 1987 et avait pour but de regrouper, au sein de l'Ilec, les problématiques de marques. UDA, Adetem, Ilec, Sy ntec études marketing & opinion mais aussi l'AACC (Association des agences conseil en communication), l'ARP (Association de régulation de la publicité, ex-BVP)... Des associations qui ont accompagné l'évolution du marketing.

Gérard Noël, président de l'UDA et vice-président de la Fédération mondiale des annonceurs : "Avant, les rois du marketing étaient les lessiviers, aujourd'hui, ce sont les opérateurs téléphoniques !"


De la consommation effrénée à la décroissance

" Deux grandes évolutions ont ponctué ces 60 ans de marketing dans l'univers des produits de grande consommation, analyse Gilles Pacault. La première concerne la concentration de la distribution. La deuxième évolution importante a été la mondialisation, ou tout du moins l'internationalisation, des marques et des produits. Ce phénomène a affecté les organisations marketing: R & D européenne, lancements mondiaux de produits... Même des marques d'origine française se sont pliées à cette mondialisation: c'est le cas de Lu, aujourd'hui dans le groupe Kraft Foods. "

De son côté, Gérard Noël, qui a débuté sa carrière chez Procter & Gamble, se souvient : " Procter & Gamble a été un des moteurs du marketing en Europe. Dès les années soixante, les lessiviers, celui-ci en tête, ont développé, avec les instituts, des outils d'études d'investigation des comportements des consommateurs. Ils sont à l'origine des organisations marketing comprenant un chef de produit, un responsable de la marque... C'est le début du marketing transversal. La publicité à la TV est apparue après la seconde révolution du secteur, en 1968. La communication a permis de démontrer l'efficacité du produit.

Cela a été un grand bouleversement. La troisième révolution a été le numérique, il y a une quinzaine d'années. Le Web, le mobile, les réseaux sociaux... ont entraîné une interaction des marques avec les consommateurs. Cela a compliqué le marketing mais l'a rendu aussi plus efficace et plus responsable. Il y a 60 ans, on ne s'inquiétait pas de la façon dont le consommateur recevait les messages. Aujourd'hui, c'est une préoccupation majeure. "

La marque produit et la marque "sociale"

Les marques, et leur miroir qu'est la publicité, ont accompagné ces années de consommation des premiers équipements ménagers, automobiles puis électroniques. On a aussi constaté la démultiplication des formats de distribution, des médias... Les marques se sont frottées à la concurrence, à celle des autres marques nationales ou internationales mais aussi, par la suite, à celle des MDD, " un fait commercial mais pas marketing ", selon Gérard Noël, pour qui " les grandes marques, dont on ne pourra jamais se passer, jouent un rôle majeur ". Elles se sont adaptées à la consommation. Dans les années cinquante-soixante, la marque était orientée "produit". Dix ans plus tard, elle a délaissé cet argument pour mettre l'accent sur la vente.

La marque des années quatre-vingt est centrée sur la publicité. Elle vend du rêve et commence à se rapprocher du consommateur. A partir de 1990, le client apparaît comme incontournable. Il devient volatil et souhaite des alternatives de consommation (des produits bio, par exemple): la marque doit donc s'adapter. Le début des années deux mille marque la fi n du pouvoir de l'entreprise. Cette dernière doit tenir compte de tous ses publics et de tous les environnements (politique, économique, sociologique, actionnarial, etc.).

Depuis quelques années, la marque a pris un tournant et propose des services. Elle comporte un volet social (réseaux sociaux obligent). Le consommateur éprouve le besoin de connaître l'entreprise derrière la marque mais aussi les apports de cette dernière en termes de valeurs non-marchandes: culturelles, équitables, éthiques... La grande mutation du marketing serait-elle celle du lien avec le consommateur? " Avant, on fabriquait sans se soucier de qui achetait, répond Gérard Noël. Aujourd'hui, on donne la parole au client. Le fi l rouge de l'évolution du marketing c'est le consommateur. " On ne peut plus imposer n'importe quoi à un acheteur surinformé. On est passé du marketing produit au marketing de la valeur. " La révolution des nouvelles technologies n'est pas finie, estime Gilles Pacault. On le voit dans l'explosion des tablettes et des smartphones. La fusion portable / PC / TV laisse envisager de grands bouleversements. Parallèlement à ces progrès technologiques, la pérennité est devenue de plus en plus importante. Dans la grande consommation, la moyenne d'âge des 300 plus grandes marques en France est supérieure à 100 ans. Les industriels ont tout intérêt à étendre leurs marques sur d'autres catégories de produits. L'exemple actuel de Milka est représentatif de ce phénomène. " Les nouvelles technologies entraînent des bouleversements pour la fonction marketing. " Avant, les rois du marketing étaient les lessiviers ; aujourd'hui, ce sont les opérateurs téléphoniques! ", lâche Gérard Noël. Un bien ou un mal? " Dans les années quatre-vingt, le marketing était la voie royale pour l'accession à des postes de direction générale, constate Gilles Pacault. La fonction a ensuite perdu de son importance au profit du commercial ou de la finance.

Les nouvelles technologies vont peut-être revaloriser la fonction marketing, car elles l'exposent davantage dans sa relation avec le consommateur. " Méfiance des consommateurs, déconsommation, arbitrages, voire décroissance... Pour beaucoup de professionnels, la crise actuelle annonce une rupture radicale. Et si rien ne redevenait comme avant?

Gilles Pascault, président du comité marketing de l'Ilec et vice-président délégué de Prodimarques : "Il n'y a aucune raison de considérer que le marketing est mort. L'entreprise est capable de créer des produits et des services pour satisfaire les consommateurs, dans une évolution vers plus de transparence et de mobilité."


Le marketing face à la crise

Dans l'ouvrage A nouveaux consommateurs, nouveau marketing, zoom sur le conso'battant (coordonné par Philippe Jourdan, François Laurent, Jean-Claude Pacitto, édition Dunod, octobre 2011), François Laurent est cinglant : " L'erreur des marketers aura été de croire que les consommateurs adhéraient aux valeurs qu'ils leur assénaient à grands coups de rouleaux compresseurs publicitaires ; qu'ils préféraient la communication associée aux produits eux-mêmes! " Et il résume cette rupture de "l'empowered consumer" au "consobattant" : " Des consommateurs au pouvoir d'achat en berne, qui redécouvrent la vraie valeur des produits. Désormais, en dialoguant entre eux, les clients ont les moyens de discerner le nécessaire du superflu. " Résultat, de nouvelles formes d'acquisitions des biens et services sont apparues, ainsi qu'une situation de trade off généralisée.

Les décisions peuvent se révéler très violentes pour certaines catégories de produits, comme l'automobile: passant de son statut d'instrument de prestige à celui de simple moyen de locomotion, la voiture se trouve en concurrence avec les transports en commun et le covoiturage. Une page se tourne. Pour Gilles Pacault, " il n'y a aucune raison de considérer que le marketing est mort. Il stimule l'entreprise pour créer des produits destinés à satisfaire les consommateurs, dans une évolution vers plus de transparence. " Ou, comme le dit Gérard Noël: " Le marketing "de papa" est fi ni mais le marketing est toujours bien vivant ". Et même François Laurent, pourtant auteur du blog Marketing is dead, est d'accord!

François Laurent, coprésident de l'Adetem : "L'erreur des marketers aura été de croire que les consommateurs préféraient la communication associée aux produits, plutôt que les produits eux-mêmes !"

Dossier édité par Christophe Moëc

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