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[Tribune] Luxe : continuer à faire rêver à tout prix ?

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[Tribune] Luxe : continuer à faire rêver à tout prix ?

Le luxe doit continuer à faire "rêver" ses consommateurs car, au-delà du prix, il est surtout question d'achat hédonique et émotionnel, vendant des styles de vie, de la nostalgie ou des expériences. Toutefois, il est aussi nécessaire que les marques du luxe vivent avec leur temps, notamment avec des influenceurs sur lesquels elles exercent de moins en moins de contrôle.

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Les chiffres sont tombés : LVMH annonce des ventes en hausse de +23 % en 2022, avec un nouveau record à 79 milliards d'euros. La raison de cette performance réside dans l'extraordinaire "pricing power" des grandes marques de luxe. Leurs produits ont vu leur prix augmenter d'au moins 7 % en 2022, et parfois plus, notamment pour les sacs icônes Hermès ou Chanel dont le prix frôle la barre symbolique des 10 000 euros. Le marché du luxe contredit certaines tendances observées sur d'autres marchés et en exacerbe d'autres. L'inflation n'est pas un obstacle à l'accroissement des ventes dans le secteur, au contraire, elle peut même les aider en augmentant la valeur de placement des produits. Dans cette situation, on observe que la nostalgie alimente l'attractivité des produits iconiques, la dimension fonctionnelle des produits passe après leur valeur d'investissement et les produits de luxe sont des "actifs" que rien ne déprécie.

Les marques veulent vendre des styles de vie

Pour quelles raisons les acheteurs du luxe sont-ils prêts à les acheter toujours plus cher, même lorsque leur "valeur" matérielle est peu évidente - Balenciaga ne vend-il pas des pulls complètement déchirés à plus de 1 000 euros pièce ? Pourquoi le luxe attire-t-il toujours les consommateurs aisés lorsque, même pour ces derniers, l'inflation rend la vie plus chère ? Une enquête récente menée auprès des consommateurs américains les plus aisés, le plus grand marché mondial du luxe actuellement, indique que 46 % d'entre eux envisageaient encore d'acheter des produits de luxe au dernier trimestre 2022 contre seulement 31 % qui n'avaient pas ce projet.

Pour savoir l'heure, nul besoin d'une montre suisse. Oui, mais toute consommation n'est pas seulement fonctionnelle. Nous le savons au moins depuis que le sociologue et économiste Thorstein Veblen a publié la Théorie de la Classe de Loisir en 1899, qui positionne le concept de la consommation ostentatoire. Les produits de luxe se situent en fait en haut de la pyramide de Maslow, entre le besoin d'estime de soi et le besoin d'accomplissement. La consommation de produits de luxe satisfait donc un besoin essentiellement émotionnel et hédonique. Les professionnels du secteur le reconnaissent volontiers : "En fin de compte, nous vendons un produit dont les gens n'ont pas besoin. Nous vendons des aspirations, des souvenirs de moments intenses et un style de vie. Des expériences uniques dont on peut parler longtemps et qui nous relient les uns aux autres."

La crise, une aubaine pour le luxe ?

Le luxe a été l'un des grands bénéficiaires de la reprise de la consommation post-Covid aux États-Unis d'abord, puis en Europe et au Japon. Les experts Javier Calvar et Stéphane Paoli expliquent ainsi dans un papier qu'ils viennent de publier pourquoi les marques doivent (continuer à) faire rêver les consommateurs, même lorsque l'inflation oblige parfois ces derniers à "redescendre sur Terre". Pour cela il faut aussi qu'elles puissent vivre avec leur temps, s'adaptent à l'évolution du contexte dans lequel elles sont désirées et réalisent que les attentes à un moment T diffèrent d'un segment de consommateurs à un autre. Cela implique de se plier à ses codes changeants, lesquels sont dictés par des influenceurs sur lesquels les marques exercent de moins en moins de contrôle.

Ceci est particulièrement manifeste dans l'évolution et la diversification des parcours d'achat. Les canaux digitaux jouent un rôle toujours plus important : ils représentent 22 % des ventes d'articles de luxe. Les points de contact avec la marque et les points de vente se confondent... Le vrai luxe consiste dès lors pour une marque à rester cohérente avec elle-même, en dépit de cette fragmentation de l'expérience d'achat. Il s'agit en somme de tenir une promesse d'éternité dans un monde imprévisible. C'est d'ailleurs ce qui a contribué à la forte croissance des catégories joaillerie et horlogerie en 2022 (+25 %) qui incarnent un luxe intemporel quasi inusable et transmissible.

La recherche de la rareté n'implique pas que le prix suffise à se justifier lui-même. Il n'a de sens que si toute l'expérience qui a mené à l'achat du produit, mais aussi celles que vit l'acheteur par la suite, parfois pendant de nombreuses années, soient suivies, évaluées et fassent l'objet d'un processus d'amélioration continue. À quoi ressemblera le luxe dans dix ou vingt ans ? La valeur des marques étant en grande partie liée à leur histoire, il y a toujours un risque à s'éloigner de ses racines car le besoin de vivre avec son temps est tout aussi pressant. Ce qui peut permettre aux marques de ne pas se perdre en route, c'est de disposer des indicateurs les plus pertinents par rapport à l'expérience réelle des acheteurs à un moment donné. Une expérience qui serait comme le songe de Verlaine : "Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre...".


L'auteure : Valérie-Anne Paglia

Diplômée du Celsa-Sorbonne, Valérie-Anne Paglia a travaillé sur de nombreuses problématiques luxe au cours de ses expériences précédentes chez Insight, comme Partner de The Qualitative Consulting Group, puis chez Synovate où elle a opéré comme directrice générale adjointe. Elle a dirigé pendant près de neuf ans Ipsos UU France, la Service Line d'Ipsos dédiée aux études qualitatives. Depuis janvier 2022, elle occupe le poste de directrice grands comptes dédiée aux sujets du luxe en France où elle tâche de comprendre les mutations du marché du luxe, ses dynamiques et ses nouvelles clientèles.


 
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