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La post-ménagère

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Stéréotype commode, la ménagère de moins de 50 ans a fait son temps. Cette dénomination désuète fait pourtant consensus chez es annonceurs. Mais que recouvre-t-elle? Plongée dans un monde où la femme reste le sexe fort.

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© paul prescott - Fotolia.com

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A l'heure où les familles sont souvent recomposées, où les femmes travaillent dans leur grande majorité, la fameuse ménagère de moins de 50 ans, référence incontournable des publicitaires dans les années soixante, a la vie dure. L'invention de ce terme correspondait à un moment où la femme (avec des enfants vivant encore sous son toit) travaillait peu et découvrait la publicité à la télévision. Après 50 ans, elle était censée devenir grand-mère. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. En moyenne, selon l'Ined (Institut national des études démographiques), le premier enfant arrive à 30 ans et l'âge moyen pour être grand-parent s'est mécaniquement allongé. Et surtout, les femmes sont 84 % à travailler.

«La ménagère de moins de 50 ans originelle n'existe plus, mais c'est toujours elle le coeur de la consommation », constate Rémy Oudghiri, directeur du département veille et insigts d'Ispos Public Affairs. Stricto sensu, la «ménagère de moins de 50 ans» incarne la femme responsable des achats, âgée de moins de 50 ans dans un foyer, ce qui ne représente pas moins de... 44 % de la population française. Quelle que soit la dénomination retenue, la femme active, dans cette tranche d'âge, est toujours la cible de prédilection de la publicité et du marketing. Les marques mais aussi les instituts d'études les sociologues, les annonceurs et les publicitaires confirment bien que c'est toujours elle qui décide des dépenses du quotidien. Qu'elle soit appelée «madame Michu», «PRA», pour «personne responsable des achats», «heavy buyer» pour les anglophones ou encore «PP» pour «prescriptrice principale», c'est toujours cette Française moyenne qu'il faut séduire. Sur le Net, on parlera d'«émettrice active» ou de «digital mum».

La femme n'est (presque) plus ce qu'elle était

«La femme est prescriptrice de 70 % des achats du foyer, confirme Rémy Oudghiri. C'est une donnée sociologique très stable. Cela reste une valeur d'usage, bien que la dénomination soit hors d'âge. » «Les femmes - et les hommes ont beaucoup changé depuis les années soixante », confirme Elisabeth Tissier-Debordes, mais les femmes font toujours les courses! Elles sont surreprésentées concernant les produits courants comme l'alimentation, les boissons, les produits d'entretien ou d'hygiène. Et pour les voitures, les produits bancaires, les nouvelles technologies, elles représentent la moitié de la cible. Faut-il encore s'en tenir au schéma simpliste: l'homme produit et la femme consomme? « Ce qui est sociologiquement très stable, c'est que la femme est une experte en matière de consommation. Elle est plus informée, plus sensible à la nouveauté et aux innovations que l'homme et ce, dès son plus jeune âge», confirme Rémy Oudghiri. Et plus il y a d'enfants dans le foyer, plus elle devient celle qui dirige tout.

La maîtrise de la consommation est envisagée comme un pouvoir. La femme y trouve de la reconnaissance et les preuves d'amour dont elle a besoin. Les marques manient à la perfection cette petite musique rassurante. Dans Les petites Histoires extraordinaires des courses ordinaires, un ouvrage collectif dirigé par Isabelle Barth et Blandine Antéblian, toutes deux chercheuses en marketing, on comprend qu' « une part sacrificielle anime bon nombre de femmes aujourd'hui. La logique de «reproduction» des hiérarchies sociales, identifiée par le sociologue Pierre Bourdieu, est centrale pour comprendre pourquoi le rôle des femmes n'évolue pas. »

Rémy Oudghiri (Ispos Public Affairs): « La femme est prescriptrice de 70 % des achats du foyer, C'est une donnée sociologue.»

@ © paul prescott - Fotolia.com

Rémy Oudghiri (Ispos Public Affairs): « La femme est prescriptrice de 70 % des achats du foyer, C'est une donnée sociologue.»

Parce qu'elles le veulent bien

Autre constante: elles délèguent très peu leur sphère domestique, compensant même inconsciemment la différence de salaire (- 20 %, en moyenne) avec leur conjoint en en faisant davantage à la maison. Malgré cette permanence, les comportements changent. Depuis une dizaine d'années, les femmes font moins les courses. Selon l'Insee, ces dernières consacrent dix minutes de moins par jour à cette tâche «ménagère». Le drive, modèle en forte croissance en France, facilite la transition vers un autre mode de relation entre les genres. Avec ce nouveau concept de point de vente, les courses se font de concert devant l'écran et l'homme se charge souvent du retrait. Une sorte de stratégie du milieu qui fait figure de signal faible d'une société entrée en négociation. Pour autant, les femmes sont-elles en train de céder leur pouvoir au sein du ménage? Pas si simple, si on en croit Eric Rémy, professeur de marketing à l'IAE de Rouen. «Les femmes sont souvent dans un rôle infantilisant en ce qui concerne la sphère domestique. Elles font des listes et l'homme agit encore massivement sous mandat féminin. »

Une femme qui penserait à elle (comme individu) avant les membres de son foyer serait une mauvaise maîtresse de maison, une mauvaise mère... pire, une irresponsable! La lecture de Causette (le mensuel «plus musclé du cerveau que du capiton») rafraîchit considérablement ce discours convenu, et encore bien réel, de la femme organiquement sacrificielle, altruiste, etc. On y évoque l'épuisement maternel, par exemple.

Elisabeth Tissier-Debordes (professeur): « Ce n'est pas l'âge de la femme mais les différentes étapes de sa vie qui sont pertinentes.»

Elisabeth Tissier-Debordes (professeur): « Ce n'est pas l'âge de la femme mais les différentes étapes de sa vie qui sont pertinentes.»

De nouveaux indicateurs

Pour percevoir cette post-ménagère, dont le mode de vie a radicalement changé, «cette madame Michu prend sa revanche», selon Vincent Leclabart, président de l'agence Australie, dans son ouvrage Vendre des salades sans en raconter (éditions du Rocher) et sait parfaitement décoder les stratégies marketing. Selon Elisabeth Tissier-Debordes, professeur de marketing à l'ESCP Europe, «ce n'est pas l'âge de la femme mais les différentes étapes de sa vie qui sont pertinentes. Ainsi, les marqueurs sociaux comme le départ du foyer familial, l'installation en couple, en colocation ou en solo, le premier emploi, l'arrivée d'un enfant, le divorce, la retraite ou encore l'arrivée des petits-enfants nous en apprennent davantage. » Et la femme consomme pour elle et les siens bien après 50 ans!

Si les moments-clés de la vie d'une femme sont davantage pertinents que son âge (lolita, célibataire, mère, retraitée, etc.) un indicateur (assez peu connu) mais plus fiable se fait jour, le lifetime customer value (LCV), qui permet de calculer la valeur d'un consommateur par rapport à sa période maximale de consommation. Cette valorisation prend en compte l'intégralité du cycle de vie. L'arrivée du premier enfant, par exemple, est l'événement qui pèse le plus sur les comportements d'achat. Les mères découvrent des produits inconnus auxquels elles ne pourront échapper. Les couches ou le lait infantile sont massivement achetés jusqu'au troisième anniversaire du bambin. Après, d'autres produits prennent le relais pour un laps de temps plus ou moins long, comme le segment des goûters pour les enfants scolarisés ou la charnière de l'obtention du bac (banques, immobilier, assurances etc.). On peut donc toucher très facilement la cible. Ce que font très bien les sites internet, en analysant parfaitement leurs audiences. Car les données concernant l'âge ou le sexe et la composition de son foyer sont un passage obligé pour s'identifier sur le Web.

Pour renforcer l'efficacité de leurs campagnes médias, les annonceurs appréhendent de plus en plus les individus en tant «qu'acheteurs de marques» et non pas uniquement en tant qu'hommes et femmes plus ou moins jeunes. «Nous accompagnons nos partenaires dans l'évolution de ces approches avec pour objectif d'enrichir le ciblage médias, explique Delphine Vercoutre, project director expert services chez Kantar Worldpanel. On parle de ciblage comportemental pour aller au-delà de la ménagère de moins de 50 ans.

Lorsque l'on analyse le comportement d'achat réel, d'autres indicateurs que les seules données socio-démographiques émergent. Nous travaillons sur d'autres données et d 'autres visions avec nos clients, tels le GRP QA (gross rating point en quantités achetées) avec TF1, le GRP marques + avec France Télévisions ou le GRP sur acheteurs réels. Dans tous les cas, c'est la notion de consommateur-acheteur qui prime. »

De plus en plus influentes, de plus en plus puissantes, les femmes continuent à évoluer... en même temps que la famille. L'équité en matière de salaire, l'accès facilité aux modes de garde pour les enfants et l'émergence d'une société où le noyau se réduit (célibataires, hommes divorcés en charge d'enfants, etc.) oeuvrent en faveur des femmes. Le bastion domestique demeure cependant le plus archaïque et rétif au changement. 91 % des femmes pensent en effet «qu'il faut changer les mentalités petit à petit et ainsi, au bout du compte, on fera de grandes choses». Cela tombe bien, tout ira lentement.

A la maison, ellesSources: Insee, Ipsos, Credoc, Nielsen, l'observatoire de l'égalité, Institut CSA...

- consacrent 3 h 52 par jour aux tâches domestiques, contre 2 h 24 pour les hommes.
- passent 22 minutes de moins à effectuer des tâches domestiques qu'il y a dix ans. Elles ont surtout gagné du temps sur les postes «courses» et «cuisine» (-10 minutes pour les deux postes).
- préfèrent, pour 13 % d'entre elles, éviter un conflit probable et faire elles-mêmes les activités qui concernent la maison.
- ont en moyenne 2,02 enfants par foyer. Le premier enfant arrive à 29,7 ans.

Dans les loisirs, ellesSources: Insee, Ipsos, Credoc, Nielsen, l'observatoire de l'égalité, Institut CSA...

- disposent de 3 h 46 par jour pour leurs loisirs (4 h 24 pour les hommes).
- écoutent 15 heures par semaine la radio et lisent 6,5 titres de presse magazine.
- regardent la télévision moins de 2 h 30 avant 50 ans, 3 h 30 entre 55 et 74 ans et même plus de 4 h 00 après 75 ans.
- sont 57 % à regarder la TV tout en restant connectées, surtout après 22 h 00 (exactement entre 22 h 15 et 22 h 30).
- sont 56 % à estimer qu'un bon moment dans la journée est un moment de solitude.

Dans les magasins, ellesSources: Insee, Ipsos, Credoc, Nielsen, l'observatoire de l'égalité, Institut CSA...

- passent 30 minutes par jour à faire les courses (contre 21 minutes pour les hommes). Soit neuf minutes de moins en dix ans.
- gèrent les achats quotidiens. Les hommes gèrent l'exceptionnel et le «lourd» (boissons).

Au travail, ellesSources: Insee, Ipsos, Credoc, Nielsen, l'observatoire de l'égalité, Institut CSA...

- ont un taux d'activité de 84 % en moyenne, entre 25 et 49 ans (contre 94,5 % pour les hommes). Au troisième enfant, ce taux chute à 40,3 % (contre 95,7 % pour les hommes).
- gagnent 20,7 % de moins que les hommes sur un même poste et à diplôme égal dans le privé et de 14,6 % dans la fonction publique. Cette différence est plus importante chez les cadres (30,7 %).
- sont 8 % à travailler à temps partiel, contre 2,8 % des hommes.

Vers une consommation convergente?

Demain, quelles seront les marques qui séduiront autant les hommes que les femmes? Selon Rémy Oudghiri, d'Ipsos, « on pourrait tendre vers ce que nous nommons la convergence ». C'est ce qu'a fait Apple. Des beaux objets au design démocratique et surtout non balisés par un genre en particulier. Personne ne pourrait dire si un iPhone ou un iPad est plutôt masculin ou féminin, par exemple. Citroën aussi a suivi cette voie avec succès, grâce à des voitures au design non marquées par le genre. Le point commun de ces réussites est un fort investissement en design. « Nous allons ver s une esthétisation de la société et c'est un mouvement plutôt féminin », affirme Rémy Oudghiri. Des marques neutres mais esthétiques, donc féminines, en somme. Converse, Eastpack, Uniqlo, Aigle sont des marques convergentes par excellence. « Cette esthétisation est un mouvement en marche car autour de nous, nous tendons vers le beau, continue Rémy Oudghiri. Les magasins et les centres commerciaux sont plus accueillants, par exemple. La décoration, activité typiquement féminine, est présente partout dans les médias, avec des émissions dédiées ou des titres de presse magazine. Et dans les magasins, qui peut échapper aux produits qui embellissent notre vie quotidienne? »

 
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Amelle Nebia

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