DossierMarketing agro-alimentaire : plats cuisinés et crise de foi
Les marques agroalimentaires sont ébranlées par l'affaire du horsegate. Mais la crise de confiance deviendra-t-elle une prise de conscience pour une nutrition raisonnée ? Probablement pas. Nos mémoires sont comme celles des poissons rouges : courtes. Issu de Marketing Magazine - n° 167 - Mai 2013

Sommaire
1 Scandales alimentaires et comportement des consommateurs
La tentation du "tous pourris" est forte. Sommes-nous condamnés à être sur nos gardes au moment de passer à table ou à la caisse ? Et à ressentir ce sentiment, si désagréable, d'avoir été les dindons de la farce ? "Bien manger, c'est le début du bonheur", disait la marque Président à la fin des années deux mille... Alors qu'elle abandonnait le lait cru dans ses fromages. L'Europe avait tranché et émis une directive qui avait ému, un temps seulement, la filière laitière et les amoureux du goût. Mais nous étions prêts à croire que c'était pour notre bien, malgré tout.
Une forme de résignation collective s'opère devant l'hyperchoix - et l'hypermarketing - en matière de consommation alimentaire. " Qu'est-ce que vous voulez, il faut bien manger quand même ! ", disent les clients d'une supérette de centre-ville à l'heure du déjeuner. Le capital confiance est, certes, ébranlé depuis l'affaire du horsegate, mais dans quelques mois, une fois l'emballement médiatique retombé, il y a fort à parier que l'agroalimentaire en général, et les plats préparés en particulier, continueront à séduire les consommateurs. Suffisamment pour assurer la pérennité de cette industrie florissante (voir encadré "L'industrie agroalimentaire en France"). Car nous serions 80 % à acheter au moins une fois par an des plats préparés, selon IRI. " Nous sommes encore dans l'émotion et cette crise n'est pas sanitaire ", analyse Marc Drillech, auteur de l'ouvrage Boycott, aux éditions FYP, en 2011.
" Contrairement aux affaires mortelles de la vache folle en 1996 ou à celle dite du "concombre à la bactérie E. Coli" en 2011, nous sommes ici dans une tromperie d'origine financière, annonce Daniel Fischler. Une nébuleuse d'intermédiaires malhonnêtes. Ce qui provoque la nausée, c'est que cette affaire touche à l'intime. Donc à ce que nous mangeons. " Une sorte de " cacophonie diététique ", selon les termes du sociologue, qui prévoyait, il y a une vingtaine d'années déjà, une perte de repères alimentaires.
Vidéo : réflexion sur le boycott avec Marc Drillech
2 Scandales alimentaires : la tentation du bouc émissaire
Cette affaire a un point commun avec celle des subprimes en 2008 : l'opacité. Le commun des mortels n'y comprend pas grand-chose, en vérité. Alors, la tentation du bouc émissaire prévaut. En 2008, les banques ont été jugées coupables (avant que tout le monde oublie le scandale assez vite, d'ailleurs). Aujourd'hui, ce sont les pratiques peu scrupuleuses des sous-traitants et des industriels qui provoquent l'ire des consommateurs. Ces derniers les considèrent coupables à 90 % pour les premiers et 80 % pour les deuxièmes(1).
Une ambiance malsaine, qui fait plus de mal au moral - et à la morale - qu'à la consommation, en réalité. En effet, si près de six Français sur dix se méfient des indications relatives à la composition des produits alimentaires qu'ils consomment, ils continuent à les acheter. Pour 78 % des consommateurs, le prix reste le premier critère d'achat pour les produits alimentaires. La composition des produits (33 %) et leur provenance (29 %) arrivent loin derrière(2). " Bien manger ne peut pas être de moins en moins cher, estime Rémy Oudghiri, directeur du département tendances et prospective d'Ipsos. C'est l'occasion d'affirmer enfin que le low cost alimentaire est forcément source de dérives de ce type. " Le médiatique Serge Papin, patron de Système U, explique que " ses produits à marque propre seront désormais composés exclusivement de viande française, même si cela va coûter un peu plus cher ". Cet " un peu plus cher " du porte-parole autoproclamé de la grande distribution française, c'est environ " dix centimes supplémentaires pour un plat préparé pesant entre 180 et 200 grammes(3) ". Les Français seront-ils prêts à payer cette somme pour ne plus être trompés, alors que six sur dix jugent l'alimentation déjà "trop chère" ? Pour en juger, il faudra attendre les chiffres de vente, qui tomberont dans quelques mois. On appréciera alors le gouffre récurrent qui existe entre le déclaratif - souvent récolté à chaud par les instituts d'opinion - et la réalité des faits, souvent imprédictibles en matière de consommation.
160,9 Mds d'euros de chiffre d'affaires en 2012 (+ 2,3 % par rapport à 2011). L'agroalimentaire est le premier secteur industriel français
495 000 emplois, soit le deuxième employeur de l'Hexagone, derrière les entreprises de la mécanique
9,2 mds d'euros d'excédent commercial
13 000 entreprises, dont 98% de PMA
80% des Français achètent des plats préparés au moins une fois par an, tous circuits confondus (restauration hors domicile comprise)
Source : Association nationale des industries agroalimentaires (Ania)
(1) Selon une enquête réalisée par OpinionWay pour LCi en mars dernier.
(2) Selon le baromètre OpinionWay pour Sofinco (mars 2013).
(3) Source : entretien donné aux Enjeux les Échos du mois d'avril 2013.
Malgré les différents scandales qui secouent l'industrie agro-alimentaire, les consommateurs, après avoir tenu les industries pour responsables, continuent d'acheter des plats préparés.
3 60 % des Français ne croient pas en la RSE
Les marques ont tout de même eu peur. Elles ont d'abord perdu de l'argent - 47 % de chiffre d'affaires en moins pour les surgelés à base de boeuf, soit 2 millions d'euros, deux semaines après la révélation de l'affaire, le 8 février dernier - mais ce n'est que conjoncturel. Les marques dites "vertueuses", engagées dans une politique de transparence depuis de nombreuses années, notamment via la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), ne sont pas prêtes à voir leurs investissements réduits à néant. " D'autant plus que les efforts en matière de RSE ne sont pas immédiatement payants de manière immédiatement visible, poursuit Marc Drillech. 60 % des Français déclarent se méfier des engagements des marques. Le public pense qu'il s'agit simplement d'un juste retour des choses. Le temps de l'entreprise et celui du consommateur ne sont pas synchronisés. "
Les autres marques, moins soucieuses de leur sourcing, devront s'acheter une conduite pour espérer continuer à être référencées. " Cette crise est peut-être une chance pour les marques alimentaires, espère Rémy Oudghiri (Ipsos). Les consommateurs vont sans doute exiger plus de vertu de la part des marques. D'après nos enquêtes d'opinion, 80 % d'entre eux disent se soucier de l'origine des produits alimentaires qu'ils achètent. "
Il s'agit de déclaratif, bien sûr... Depuis le début de l'affaire de la viande de cheval, voit-on en rayon des clients lire davantage les étiquettes ? S'arrêter et prendre le temps de décrypter la liste d'ingrédients qui composent un produit prêt à consommer ? Non. Il faut d'ailleurs une vraie formation de chimiste pour comprendre cette fameuse liste : acides gras hydrogénés, additifs codés, émulsifiants mystérieux, agents texturants cryptés, épaississants qui épaississent le mystère... Et poser une question à un chef de rayon relève de la science-fiction : soit on ne les voit pas, soit ils ne savent pas répondre. Même la vente assistée (grande surface, commerce de proximité ou marché traditionnel) nous renvoie trop souvent à notre solitude de consommateur candide. Les scandales dévoilant le business des faux produits du terroir sont légion sur les marchés provençaux, notamment. La consommation ne serait-elle alors qu'une matière froide, comme le droit et son célèbre "Nul n'est censé ignorer la loi ?" À première vue, et aux yeux du grand public, ce sont les marques qui sont coupables.
A consulter : sondage de la CLCV sur l'origine des produits alimentaires
Le mot d'actualité : orthorexique, quèsaco ?
Du grec "orthos" (droit), l'orthorexie désigne un trouble du comportement alimentaire, qui consiste en une obsession de l'alimentation saine. C'est une pathologie en augmentation dans les pays occidentaux. Aucun plaisir gustatif n'est envisagé, les aliments étant potentiellement tous nocifs. Les orthorexiques considèrent leur corps comme un sanctuaire. Les cabinets des médecins, des diététiciens, des nutritionnistes - et depuis peu des coachs de vie de tout poil - sont remplis d'individus perdus et malades (obèses, diabétiques, boulimiques, anorexiques et, tout récemment, orthorexiques) qui veulent simplement "apprendre à manger". C'est très cynique, alors qu'1 milliard d'individus meurt chaque année... de mal ou de sous-nutrition. Dans les pays riches, l'édition et la presse culinaire prospèrent, les cuisinistes se frottent les mains, les cours pour se métamorphoser en cordon-bleu se multiplient en milieu urbain et les médias inventent des émissions de cuisine-réalité presque chaque année. Pourtant, c'est ici et maintenant que le scandale survient. Des "MPR", résument les ados à tendance altermondialiste, soit des... "méga problèmes de riches". On a souvent les soucis que l'on veut bien se créer.
La majorité des consommateurs déclare se soucier de l'origine des produits alimentaires qu'ils achètent. De plus, ils ne font pas confiances aux engagements des marques.
4 Nul n'est censé ignorer les ingrédients ?
Le marketing a bon dos. Le horsegate n'est pourtant pas un scandale marketing mais d'abord une tromperie sur les achats. D'ailleurs, les rapprochements entre les services achats et marketing se multiplient dans la grande consommation. Chez Fleury Michon, décision a été prise, il y a plus de dix ans, de créer une filière qualité achats pour les approvisionnements, directement rattachée au service qualité. Pour Gérard Chambet, directeur général de l'activité traiteur du groupe industriel, c'était une nécessité : " Les fournisseurs sont audités soit par rendez-vous, soit à l'improviste ". Fleury Michon, dont le slogan, "L'obsession du bon", résonne fort en ce moment (il a été décidé avant l'affaire), confirme une baisse des ventes pour le hachis parmentier au début de l'affaire, mais elles " se normalisent aujourd'hui ", selon Gérard Chambet.
Il confirme " comprendre l'émoi des consommateurs " mais " plaide en faveur d'une utilisation raisonnée des plats préparés compatible avec le mode de vie actuel ". Concernant le saumon présent dans les plats préparés de la marque vendéenne, " il est 100 % norvégien, garanti sans farine animale (4) et transformé en Vendée dans les 24 heures qui suivent l'abattage ". La transparence dont a fait preuve Findus a sans doute rendu service à bon nombre d'entreprises (Panzani, Picard ou Ikea, pour ne citer qu'eux), lesquelles ont effectué des auto-contrôles dans la précipitation, avec la cascade de scandales qui a suivi.
La tentation citoyenne de privilégier les circuits courts est réelle et fait des émules en France aujourd'hui (31,1 % des consommateurs ont été séduits en 2012(1)). Par exemple, concernant précisément la viande : 39 % des Français qui fréquentent les boucheries le feront davantage dans les prochains mois(2). Dans le même temps et selon la FAO (Food and agriculture organization), la consommation de viande va doubler d'ici à 2040, notamment dans les pays émergents. Simultanément, l'ONU prévient que l'on ne pourra pas produire autant de viande de qualité... à moins de réduire notre consommation de moitié d'ici à dix ans. Autant d'injonctions paradoxales qui poussent de plus en plus d'individus vers le choix d'un régime sans viande. L'ouvrage No steak, d'Aymeric Caron (éditions Fayard) est un best-seller. Et les Français sont lassés d'une alimentation désincarnée. 270 000 consommateurs ont fait confiance aux 1 600 Amap (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) et 73 % des Français se rendent au moins une fois par an directement chez un producteur.
(1) Source : "Les Français et la consommation responsable", Ethicity avril 2013.
(2) Source : Nielsen, mars 2013.
Consulter l'étude d'Ethicity "Les Français et la consommation responsable"
Ainsi, c'est Findus qui a procédé à des tests avant de donner l'alerte, le 4 février 2013, et de porter plainte contre X. La marque a officiellement communiqué le 8 février et a retiré les produits le lendemain. " Nous avons été trompés. Il y a deux victimes dans cette affaire : Findus et le consommateur ", déclarait Matthieu Lambeaux, directeur général de Findus, dans la presse. La marque a été pourtant pionnière dans la voie d'un meilleur sourcing via la suppression de l'huile de palme, l'investissement dans le "made in France" et une pêche responsable dans son usine de Boulogne-sur-Mer (10 millions d'euros engagés entre 2011 et 2013). Quelle attitude adopter, donc ? Le boycott ? " Oui, mais temporaire, répond Marc Drillech. Le boycott est un principe de précaution individuelle. Il a pour perspective le présent, rarement le lointain, idyllique mais peu crédible. Il n'existe que par la puissance émotionnelle, dans une société qui donne à la rumeur un rôle essentiel. L'émotion prend le dessus sur la raison. " Dans nos sociétés, le boycott d'une marque de grande consommation n'existe pas. Le consommateur oublie vite. Qui a véritablement boycotté Total ou BP après les marées noires ? Ou Nutella, suite à l'affaire de l'huile de palme ? Ces "affaires" n'auront eu, au fond, aucun impact durable sur les ventes... au contraire.
5 Une société du contrôle
" Il y a 200 fois moins d'incidents pour 1 million d'habitants en France qu'aux États-Unis ", rappelait Jean-René Buisson, le président de l'Ania (Association nationale des industries alimentaires) à la radio, en pleine crise. Les pouvoirs publics (jugés coupables par 60 % des consommateurs) multiplient les annonces rassurantes. Ainsi, la directive européenne 1169/2011 - applicable en décembre 2014 - obligera les fabricants, les marques et les distributeurs à afficher en clair les informations sur l'origine et la composition des produits. Aujourd'hui, l'étiquetage mentionne "élaboré en France", ce qui signifie que l'on peut proposer à la vente un plat transformé en France avec du poulet brésilien, du chou chinois et des épices de Turquie. Mais les packagings ne sont pas extensibles... Comment communiquer et rassurer sur une si petite surface ? D'autant que près d'un Français sur deux avoue avoir du mal à lire les étiquettes (5). Les designers vont avoir beaucoup de travail dans les mois à venir.
(4) NDLR : l'Europe vient d'autoriser à nouveau cette alimentation pour l'élevage des poissons, alors que l'Anses est rigoureusement contre. Rappelons que les farines animales sont la cause de la maladie de Creutzfeldt Jakob, qui a tué des centaines de personnes à partir de 1996.
(5) Selon une étude menée par IRI en mars 2013.
Les industries agro-alimentaires renforcent depuis quelques temps le contrôle et la qualité de leurs produits. Un étiquetage précisant l'origine va être mis en place.
6 Pour aller plus loin
Dossier - Bad buzz : les prévenir et les gérer
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Scandales alimentaire, bad buzz, RSE... Des sujet à parcourir pour approfondir vos connaissances.
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