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[Tribune] Le marketing là où on ne l'attend pas

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B. Aubert (à gauche) et B. Meyronin
B. Aubert (à gauche) et B. Meyronin

Surprise : de l'hôpital aux collectivités en passant par les associations, le marketing, longtemps rejeté, a fait son chemin.

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De très grands théoriciens du management ou de l'économie, comme Herbert Simon et Philip Kotler, ont pu s'exprimer, dans leurs articles et leurs ouvrages, sur la porosité des frontières qui existent entre le monde de l'entreprise et les autres sphères (non lucratives). Philip Kotler s'est ainsi intéressé, dès la fin des années 60, au marketing des associations et des hôpitaux ; plus tardivement, il s'est ouvert à des sujets comme le marketing territorial.

Les nouveaux territoires du marketing

De fait, dans la " vraie vie ", il est devenu courant aujourd'hui de voir les ONG recourir aux techniques marketings les plus en pointe lorsqu'il s'agit principalement de lever des fonds - et les grandes institutions culturelles ont toutes développé des actions de mécénat à destination des entreprises, voire des logiques de marque et de " franchise ", comme l'a si bien fait le Louvre avec les autorités d'Abou Dhabi.

Mais ce qui est sans doute moins visible, c'est la manière dont les hôpitaux publics et les collectivités territoriales tendent à s'approprier les techniques managériales. Un grand CHU de l'Ouest lance ainsi une démarche autour de la culture de service pour repenser ses urgences ; un hôpital rhônalpin a mis en oeuvre un nouvel accueil il y a déjà quelques années en s'inspirant des pratiques hôtelières ; très récemment, c'est un hôpital militaire qui recherchait une formation pour son équipe RH, désireuse de développer une culture de service à destination des agents hospitaliers. Tout cela traduit une réelle évolution, souvent souterraine mais résolue.

Du côté des collectivités territoriales et de leurs satellites (agences de développement économique, acteurs du tourisme, gestionnaires de parcs de stationnement, etc.), le marketing a fait depuis longtemps maintenant une réelle percée lorsqu'il s'agit de développer les destinations touristiques ou, plus globalement, l'attractivité du territoire.

Finalement, le monde du tourisme est depuis toujours, et par nature, un univers expérientiel, bien que l'on y parle très rarement de " marketing de l'expérience " - à l'exception d'un Comité Régional du Tourisme (qui en a fait l'un de ses crédos). Et, dans un autre registre, de grandes collectivités comme le Grand Lyon ont mis en place des services marketing pour aider les équipes à s'approprier cette culture centrée sur les " bénéficiaires " - pour ne pas parler de clients. La révolution marketing, là aussi, est engagée.

Marketing, un mot qui fâche encore un peu

Aujourd'hui, il semble donc de plus en plus établi que les concepts et les pratiques du management - et plus particulièrement du marketing - trouvent à s'employer utilement dans des contextes qui peuvent a priori sembler bien loin du monde de l'entreprise. Certes, il reste encore des barrières culturelles à franchir : il est ainsi encore difficile de parler de " marketing " à un élu, alors même qu'il n'aura de cesse, face aux médias, de convoquer des questions telles que l'image ou l'attractivité de son territoire ! Et qu'il en constitue, par nature, le " premier VRP ", qu'il s'agisse d'y faire venir des résidents, des visiteurs ou encore des entreprises.

Une récente intervention faite au congrès annuel de l'Association Dentaire de France a également souligné le paradoxe - nous y étions l'un et l'autre pour en témoigner. D'un côté, la fidélisation des patients apparaît comme nécessaire. De l'autre côté, la notion même de marketing est fortement discutée. Les échanges constructifs menés avec les praticiens présents dans la salle ont révélé que souvent ce terme était ambigu, assimilé à l'acte publicitaire, et que ses fondements étaient globalement méconnus. Pour autant, dès lors que l'explication est donnée d'une démarche de marketing des services ou d'une approche orientée client, les praticiens perçoivent l'intérêt et mesurent la faisabilité " du marketing ". Et ils se disent que c'est possible et souhaitable dans un cabinet dentaire.

Bref, si le terme " marketing " a encore quelques progrès à faire pour intégrer le lexique du secteur public local et celui du monde de la santé, des périphrases telles que " manager l'attractivité et l'image de son territoire " (ou " fidéliser ses patients " dans le second contexte) peuvent servir opportunément de chevaux de Troie...

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Le marketing est pourtant partout...

Le fait de s'inspirer des pratiques du secteur privé n'est donc plus forcément mal vécu. Et si tout est affaire de langage, il est toujours possible de maquiller les mots pour les rendre acceptables aux yeux du public que l'on vise. Mais toujours est-il que dans les faits, les hôpitaux publics sont depuis longtemps en concurrence avec le secteur privé à but lucratif ou non lucratif, et que les territoires sont eux-mêmes en lutte pour attirer des visiteurs (sur le marché des destinations touristiques) ou des entreprises (sur le marché de l'implantation d'entreprises).

De fait, les acteurs publics ou parapublics doivent mieux connaître leurs concurrents, apprendre à les observer et mettre en place des politiques (de santé, économiques, culturelles...) qui visent, notamment, à bien les différencier vis-à-vis de leurs compétiteurs. Ils doivent également mieux tenir compte des attentes et des comportements de leurs publics, qu'il s'agisse de visiteurs, de patients ou d'investisseurs. Bref, on peut observer qu'ils déploient des dispositifs qui relèvent, fondamentalement, de l'approche marketing dans ce qu'elle a de plus fondamental.

Rien de bien révolutionnaire, donc, et surtout pas l'emprise du Grand Satan entrepreneurial. Mais tout simplement des préoccupations centrales auxquelles il faut répondre et qu'une approche marketing aide simplement à dénouer. Sans remettre en cause les valeurs du service public, les statuts de ses agents ou encore la logique non marchande, les concepts et les outils méthodologiques du marketing trouvent ainsi de nouveaux terrains d'application sans cesse plus divers et plus riches. Ils ne travestissent aucune réalité puisqu'ils ne sont que des outils. Il serait donc bien regrettable de s'en priver, de ne pas accompagner les transformations des structures publiques en y intégrant une dose de marketing.

Et le marketing dans une grande école ? Le temps de l'exploration

Parlons un peu de nos titres, de nos responsabilités à l'un et à l'autre, au sein d'institutions éducatives : " directeur délégué marketing & développement " ; " directeur du développement ". Cela peut paraître curieux, mais c'est une chose assez rare encore, même dans une école de management ! La culture " client " (nous l'appelons, à Grenoble École de Management, la " culture Business ") y est certes bien présente, mais de façon très intuitive, à travers l'engagement des équipes ; pour autant, " CRM " et " politique de fidélisation ", pour ne prendre que deux exemples, sont encore des notions peu ou pas intégrées qui ont du chemin à faire.

Fondamentalement, une école de management demeure une école, pas une entreprise. Les enseignants ont fait le choix d'une carrière universitaire parce qu'ils ne trouvaient pas, dans le monde de l'entreprise, de quoi satisfaire leurs aspirations. Et, si la satisfaction du client compte, elle n'est que trop rarement mesurée.

Pourtant, les grandes écoles sont elles aussi, depuis longtemps, en concurrence, et elles ont adopté des positionnements et des axes de différenciation. Mais les ressources disponibles pour adresser les entreprises et lever des financements ne sont pas nécessairement pensées dans une optique " business ", fédérées et animées en ce sens. La culture marketing et commerciale des grandes écoles est un sujet en devenir, elle demeure un vaste champ d'exploration pour en faire des " entreprises éducatives ".

La solution : le marketing dès la " petite " école ?

Le marketing, dont l'objet est de faire le lien entre une entreprise et son marché, est présent partout tout en suscitant craintes et fantasmes. Trompe-t-on le consommateur ? S'agit-il d'un acte de manipulation ? Est-il applicable dans tous les secteurs d'activité ? Etc. Cette défiance culturelle révèle selon nous une éducation insuffisante à ce domaine. Seules certaines sections de baccalauréat ou d'enseignement supérieur traitent de ce thème. Beaucoup de formations font abstraction d'un enseignement au management.

C'est pourquoi nous avons fait le choix de préparer un ouvrage d'initiation au marketing pour un très jeune public(1). L'objet est de définir clairement le concept, de montrer les différents aspects de la démarche et d'inviter le lecteur à une analyse critique de la pratique. Nul doute que l'ouvrage donnera lieu à des débats tant en famille que dans la salle de classe ou la cour de récréation ! Mais ils permettront de démystifier peut-être, ici et là, une démarche que les ONG les plus respectables et les pouvoirs publics pratiquent tout autant que les entreprises.

(1) À paraître en juin 2015 aux éditions Graine2 (titre provisoire : Le marketing, c'est pas si compliqué).

Les auteurs :

Benoit Aubert est directeur Marketing et Développement de Grenoble Ecole de Management, où il enseigne également le marketing (professeur senior). Il était auparavant directeur de la Doctoral School (entité chargée de développer les programmes de DBA et PhD). Ses recherches portent avant tout sur l'éducation du consommateur à l'usage des produits.

Titulaire d'un doctorat en sciences économiques, Benoît Meyronin est directeur délégué Marketing & Développement à Grenoble Ecole de Management, et directeur R & D de l'Académie du Service, dont il est l'un des associés fondateurs. À l'EM Grenoble, il est titulaire de la Chaire BNP Paribas Cardif " Ingénierie du service ", créée fin 2012. Il anime le blog www.marketing-des-services.com et le Club parisien " Cultures Services ", qui fédère plus de 20 sociétés. Auteurs de nombreux ouvrages et articles, son domaine d'expertise est le management/marketing des services.

Tous deux terminent la rédaction d'un ouvrage d'initiation au marketing destiné à un jeune public, à paraître en juin 2015 aux éditions Graine2 (titre provisoire : Le marketing, c'est pas si compliqué).


 
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