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Le consommateur veut-il vraiment la peau du marketeur ?

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En ces temps de crise de confiance, une antienne fait florès. Le citoyen tourne le dos à ce qu'il adorait hier, la société de consommation. Et condamne son bras armé : le marketing. Mais pour combattre l'idéologie marketing, car il s'agit bien de cela, encore faut-il que cette idéologie ait créé des contre-pouvoirs. Ce qui reste à démontrer.

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En mai dernier, l'hebdomadaire Elle, jamais en retard d'une tendance, consacrait son enquête sociétale aux “conso-stoppeurs”, ces fameux “décroissants” en lutte contre la sur-consommation. Tournant le dos à l'idéal consumériste, dont le mot d'ordre se résume à “avoir pour être”, ces rebelles à la consommation, dont on ignore le nombre, prônent un retour à la simplicité et à un monde exempt de marketing. Cet idéalisme, cousin de celui qui prônait dans les années 70 le retour à la terre, pourrait être sans danger pour ledit marketing s'il ne s'accompagnait pas d'une profonde remise en cause de ses pratiques. Après avoir été la source de tous nos bonheurs, la société de consommation devient celle de tous nos maux. Et le marketing, qui la nourrit, est responsable de toutes nos défaillances. De la violence dans les quartiers à l'obésité des enfants en passant par les problèmes environnementaux ou encore la langue de bois des politiques et des capitaines d'industrie, tout lui est imputable. « Et pourtant, si on parle de biens de consommation, goods en anglais, c'est bien qu'ils ne sont pas si mauvais que cela pour l'homme », ironise Marc Drillech, président de Publicis Dialog. Et d'ajouter : « Il n'y a aucune réflexion tranquille sur ce que la société de consommation a apporté à nos vies. Les leviers formateurs de l'opinion ont tout intérêt à jouer la carte anti-consommation car il est toujours plus intéressant de critiquer la société dominante que de collectivement réfléchir à une autre possibilité. Il est d'autant plus intéressant de critiquer cette société que, globalement, elle broie du noir alors qu'individuellement les gens se disent personnellement heureux. » Résultat, pré carré de quelques revues spécialisées il y a encore quelques années, la consommation et les pratiques marketing sont devenues des faits sociétaux dont la presse grand public s'est emparée.

L'avènement de la consocratie

« Jamais le consommateur n'a été autant étudié, scruté, analysé et la consommation est effectivement devenue un fait de société. De L'Expansion au Monde en passant par Libération, tous les titres abordent le sujet non plus d'un point de vue purement économique mais comme révélateur de l'état d'une société. Trois raisons peuvent expliquer ce phénomène. En premier lieu, la demande d'informations des consommateurs, qui est réelle. La deuxième raison, c'est bien sûr l'émergence de la consocratie, qui se manifeste par une inversion des positions, le consommateur devient celui qui détient le pouvoir. Enfin, et pour couronner le tout, la blogosphère lui donne la possibilité de réagir immédiatement », analyse Rémi Sansaloni, expert au pôle Marketing Intelligence de TNS Media Intelligence. Et Babette Leforestier, directrice de ce même pôle, d'insister « Ce sont désormais les consommateurs qui posent leurs conditions, qui ont la liberté de prendre ou de laisser. Ils ne se revendiquent plus comme un maillon de la chaîne, ils savent qu'ils en constituent le noyau central. Dans son livre “The end of marketing as we know it”, Sergio Zyman, ancien patron du marketing de Coca-Cola, le soulignait quand il écrivait : “Nous entrons dans l'ère de la consumer democracy » Cette prise de pouvoir donne des ailes aux associations de consommateurs. Boostées par la remise en cause de l'idéologie marketing, elles sortent du bois pour se faire entendre sur la place publique. Au printemps dernier, notre confrère Influencia faisait de Jean-Paul Geai, rédacteur en chef du mensuel Que Choisir, l'un des hommes d'influence du moment. Face à ces associations, et plus globalement face à la prise de parole du consommateur, qui dénoncent avec raison les dérives de ces pratiques, l'homme du marketing est désemparé. Son job qui, rappelons-le, consiste à faire gagner à son produit, à sa marque, quelques points de part de marché, ne l'a ni préparé, ni formé pour faire face aux feux nourris de la critique. Conséquence, une paranoïa paralysante, amplifiée par la médiatisation des mouvements altermondialistes et antipub, chez le marketeur. Une paranoïa qui répond à la schizophrénie galopante du consommateur-citoyen qui, tout en déclarant “le marketing, c'est de la m…”, réclame chaque jour davantage de pouvoir d'achat. « En France, le consommateur est une vache sacrée. La montée en puissance des mouvements consuméristes est l'une des conséquences de l'absence de débat autour de la consommation. Peut-on débattre quand l'un des camps est possesseur d'un modèle et que l'autre n'en a pas ? Or, aujourd'hui, les anti et proconsommation sont possesseurs du même modèle. 97 % des bouquins qui sortent sur le sujet accusent le système, ils ne sont que 3 % à proposer une autre forme de réflexion », analyse pour sa part Marc Drillech. À ce sujet, nos demandes d'entretien auprès de l'UFC Que Choisir et de la CLCV sont restées sans réponse. Peut-être en raison du titre de notre magazine ! Et si le débat a lieu, il prend très vite une tournure idéologique débouchant sur l'éternelle opposition entre le modèle capitaliste et le modèle socialiste. Un débat idéologique qui masque mal l'absence de culture consumériste en France. Une absence que l'ensemble des observateurs regrettent.

Une absence de contre-pouvoir

« Au Danemark et en Finlande, les manuels scolaires consacrent plusieurs chapitres à la consommation qui est étudiée comme une matière à part entière. En France, personne ne se charge de cette éducation, ni l'école, ni les parents », constate Ezzedine El Mestiri, directeur de la rédaction du mensuel Nouveau Consommateur, qui consacre un cahier de quatre pages, “NC Junior”, à l'éducation des plus jeunes. « À la différence des pays anglo-saxons, il n'existe pas en France de contre-pouvoir qui incite à la bonne résistance. Les mouvements de défense du consommateurs ne sont pas ou peu des organismes militants », reconnaît Babette Leforestier. C'est peu de le dire. Alors qu'en Angleterre, L'Oréal a été mis en demeure par l'Advertising Standard Authority (ASA), organisme indépendant de contrôle de la publicité, de cesser toute diffusion de spots publicitaire pour sa crème amincissante Perfect Slim et son soin anti-âge Decontract'rides, tant que le géant de la cosmétique n'aurait pas apporté les preuves de ses allégations, en France ces mêmes produits ont reçu le feu vert de l'autorité de surveillance, en l'occurrence le BVP, dont le financement est assuré par l'ensemble des acteurs de la communication, médias, annonceurs et agences. Pour mémoire, cet été, la même crème Perfect Slim s'est arrachée dans les magasins français après avoir obtenu la note maximum à un test réalisé par 60 millions de Consommateurs. Fortement mobilisés sur les questions de la publicité mensongère, nos voisins anglais le sont tout autant lorsqu'il s'agit de s'attaquer à des problèmes de fond liés à la consommation. Gouvernement, BBC, écoles, associations de consommateurs, jusqu'au jeune chef cuisinier Jamie Oliver, star des médias, tous se sont engagés pour faire reculer le fléau de l'obésité qui touche, outre-Manche, 8,5 % des enfants de 6 ans et 15 % des adolescents. Une mobilisation qui va jusqu'à demander le retrait pur et simple de certaines marques jugées dangereuses pour la santé. « Des associations de consommateurs se sont regroupées et un jury de parents publie régulièrement la liste des marques et produits jugés les plus immondes », ajoute Babette Leforestier en regrettant le temps où Anne Gaillard vilipendait les industriels sur les ondes de France Inter. Quant à l'Allemagne, elle demeure la championne toutes catégories de la cause consommateur. Avec ses 14 millions d'adhérents, l'Adac (Automobile club allemand), le plus grand club automobile d'Europe, fait trembler les constructeurs. Les résultats de ses nombreux tests sont attendus avec appréhension par les états-majors, tandis que les automobilistes saluent sa neutralité. Nous n'en sommes pas là, loin s'en faut. Peu ou pas de culture, peu de contre-pouvoir, il n'en faut guère plus pour éveiller la défiance et la suspicion. Qui aujourd'hui caractérisent la relation marketeur-consommateur. Et qui à terme pourrait déboucher sur un réel divorce. D'autant que les bonnes volontés ne manquent pas pour jeter de l'huile sur le feu. À commencer par la presse qui, dans sa grande majorité, a pris fait et cause pour les mouvements alters et salue régulièrement les initiatives comme “la journée sans achat”, dont le sens hautement idéologique échappe certainement à la mère de famille qui vit avec le Smic. « Le discours alter mondialiste est avant tout répercuté par des journaux d'obédience trotskiste qui véhiculent en fait une idéologie du complot. La société capitaliste serait fondée sur un secret et le devoir du journaliste serait de percer ce secret. Cette théorie qui présuppose qu'il y a un pouvoir totalitaire des marques, ce que je ne remets d'ailleurs nullement en cause, pose problème parce qu'elle cautionne une forme de rhétorique binaire : pour/contre, bien/mal, etc. », estime Benoît Heilbrunn, professeur de marketing à l'ESCP-EAP. Bref, derrière la question de la consommation se pose une autre question d'ordre moral : être ou avoir ? Et au-delà, celle du sens qu'il faut donner à la consommation qui, in fine, est bel et bien un acte destructeur. « Le rapport à la consommation ne devrait plus se limiter au seul acte de consommer. Il nous faudrait effectivement faire un travail sur les motivations. On consomme parce qu'on a besoin de différences vis-à-vis de son voisin », analyse Marc Drillech. Ces différences qu'un marketing mondial et global tente de gommer. Plaire au plus grand nombre avec une même marque, un même produit, uniformiser le discours, être consensuel dans le fond comme dans la forme, quel marketeur n'a jamais entendu ces recommandations ? « Le problème du marketing, c'est qu'il neutralise le discours et donc le désir et ça, c'est le plus grave », commente Benoît Heilbrunn. Avant de percevoir le consommateur comme l'ennemi qui veut sa peau, le marketing aurait donc tout intérêt à s'interroger sur ses pratiques. En se focalisant sur la part de marché et la rentabilité à court terme des produits et des marques, peut-être a-t-il oublié que la consommation ne vaut que par ce qu'elle apporte à la société. « En mettant sur le marché des me-too, le marketing continue d'ignorer qu'il est désormais impossible de vendre toujours plus du même produit. Que pour séduire, il faut être désirable, unique et créer des offres qui comblent des vides », estime Marc Bourgery, fondateur de l'institut d'études Kitsuccess. À n'en pas douter, la majorité des consommateurs n'ont pas adhéré à la croisade anti-consommation. Ils attendent simplement les grands “Wouhaooooo” porteurs de désir. Encore faudra-t-il se donner les moyens de les identifier et de mettre en œuvre des pratiques plus respectueuses des nouvelles attentes sociétales. « Le marketing reste quelque chose de formidable. Essayer de concevoir des produits qui vont participer à l'amélioration de la vie des gens, c'est un but qui n'est pas méprisable. Maintenant, ces pratiques sont beaucoup plus discutables, et ce sont elles que le consommateur remet en cause. Il faut que les marketeurs cessent de penser que le consommateur est de l'autre côté de la barrière et que, lorsqu'il se rebiffe, c'est parce qu'il n'a pas compris le concept. S'il ne l'a pas compris, c'est peut-être tout simplement qu'il n'a aucun intérêt. Il faut donc que dans ses pratiques, le marketing cesse de résister aux changements », conclut Babette Leforestier.

 
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Rita Mazzoli

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