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L'euro sur la crête d'une vague d'incertitude

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L'euro arrive, nous annonce-t-on avec tambour et trompettes. Mais l'euphorie aura été de courte durée. La vue de la nouvelle monnaie provoque un concert de critiques. Gérard Caron qui a participé au choix graphique pour la France s'en explique. Le déficit symbolique, politique, identitaire et culturel de l'Europe est partout souligné. Par manque de préparation psychologique des individus et de projet rassembleur, le bug de l'euro menace.

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C'est avec appréhension et anxiété qu'une grande partie de la population accueille l'euro. Malgré les simulations réalisées, rien ne permet de prévoir le comportement des consommateurs, ni l'ampleur des problèmes techniques. 2002, année de tous les dangers ? « Contrairement au dollar, l'euro ne se réfère à aucune autorité supérieure, politique et symbolique, fondant le lien de confiance qui "fait société". Affichant portails et fenêtres ouverts sur le vide, ses billets renvoient uniquement à un espace sans limites déterritorialisé et déshumanisé, celui du marché. Et, en guise de garantie ultime, une institution technocratique n'ayant de comptes à rendre à personne : la Banque centrale européenne. Le pari implicite est que, de la monnaie, sortira nécessairement une communauté politique. L'histoire ne connaît cependant que la séquence inverse... », écrit Bruno Théret, chercheur à l'IRIS*, dans Le Monde Diplomatique de décembre 2001. Nécessité économique a donc fait loi.

Juste un vaste commerce de promesses ?


L'instauration de la monnaie unique correspond à un besoin des entreprises pour mener leur développement. Mais pourquoi a-t-il été fait si peu de cas de l'impact psychologique et social et donc économique qu'elle pouvait entraîner ? En France, le nombre de personnes en "position de fragilité" face à l'euro est estimé à dix millions. Les populations précaires, les personnes âgées, les individus souffrant d'illettrisme vont se sentir menacés et remis en cause dans leur capacité d'adaptation, leur agilité arithmétique, leur relation aux institutions. Déjà, la Sécurité Sociale avoue ne pas être sûre de faire face à un afflux de feuilles de maladie ; les médecins n'ayant pas reçu la mise à jour de leur logiciel. Un vent de méfiance va donc souffler sur l'ensemble de la société. Qui est malhonnête ? Qui se trompe sincèrement ? A qui puis-je encore faire confiance ? Certes, les humoristes pourront toujours fredonner « Ma boulangère a des euros qui ne lui coûtent guère », tout en titillant la virgule sur leur calculette. Mais ils sont rares. Allons-nous donc assister à la disparition des achats impulsifs ? A la multiplication des comportements de retrait ? Au repli sur les produits à bas prix ? Au renouvellement de la confiance dans la grande distribution ? Ou dans les marques ? Les simulations qui ont été effectuées ont surtout ouvert grand... portes et fenêtres aux paris, hypothèses et vaticinations. « L'argent est un symbole très fort du lien social. Il est l'un des vecteurs de la confiance, de la solidarité, de l'attente de garantie. Dés qu'on touche à la monnaie, on modifie la trame des relations, l'engagement dans les échanges et donc la nature de l'alliance publique. Chaque pays a ses emblèmes de la force souveraine qui est censée garantir sa cohésion, la protection de ses sujets, le progrès de leur condition d'existence. Toute monnaie traduit ce crédit des citoyens en la mobilisation souveraine. L'installation de l'euro atteint nos références traditionnelles. Plutôt que de découler d'un pouvoir en exercice, cette monnaie unique est censée organiser le pouvoir. On fait le pari que la souveraineté européenne va émerger des échanges commerciaux, du relationnel financier, de la solidarité des usages de l'argent. (...) Cette monnaie est construite sans enthousiasme comme un dépouillement. Dans toutes les études, les personnes disent : "C'est une histoire qui va se construire mais pas l'Histoire". Elles auraient préféré être consultées sur les emblèmes de la souveraineté, sur la construction du discours fabricant l'Histoire européenne. Toutes remarquent l'absence de sens sur les billets : les ponts ne vont nulle part, les fenêtres sont aveugles, les portes n'ouvrent sur aucune façade réelle », déclarait, dans Le Monde du 27 mars 2001, Jacques Birouste, psychologue et vice-président de l'université Paris-Nanterre**. Mais ne crions pas haro sur l'euro. Ses avantages ne font aucun doute : homogénéité des prix, réduction des coûts de transaction, suppression de la spéculation entre les monnaies, meilleur fonctionnement des marchés, services et capitaux. Mais, si le bug informatique de l'an 2000 n'a pas eu lieu, celui de l'euro pourrait bien survenir. Les réactions psychologiques et culturelles ont été négligées au profit de modélisations financières euphoriques. La machine techno-économique a parlé et dit "on fonce et on verra après". Mais aujourd'hui, c'est surtout d'entendre s'exprimer l'Europe d'une seule voix dans la lutte contre le terrorisme international qui rassurerait les citoyens. Les désagréments liés au passage à l'euro en deviendraient beaucoup plus relatifs. * Institut de recherche interdisciplinaire en socio-économie de l'université Paris-Dauphine. ** Chargé de la recherche et de la formation continue, a travaillé avec la Commission européenne pour évaluer les conséquences psychosociologiques de l'arrivée de l'euro.

 
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