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Je choisis, donc je suis

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Sociologue de la vie quotidienne et de l'ordinaire, après avoir traité de "l'action ménagère", du couple "par son linge", des "corps de femmes, regards d'hommes", de "La Femme seule et le Prince charmant", Jean-Claude Kaufmann s'interroge, dans "Ego*...", sur la construction de l'individu livré à une socialisation contradictoire.

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Comment se construit aujourd'hui l'individu ? Qu'est-ce qui l'y a amené ?


Notre société oublie de parler d'histoire. Or, sans histoire pas de pensée critique et pas de perspective. En tant qu'individus, nous nous inscrivons dans un processus dynamique qui s'organise autour de clés explicatives. A ses origines, la civilisation s'est constituée autour de l'idée de totalité. L'individu est à la fois un tout religieux et un simple élément de la société. Mais cette idée n'a jamais réussi car la réalité est beaucoup plus compliquée et vivante. Tout le mouvement de l'Histoire est marqué par cette lutte entre la totalité et les faits. Il montre la difficulté de plus en plus vaste à l'idée de contrôler et de contraindre. Et ce passage des sociétés traditionnelles à la modernité se définit par l'importance croissante de l'individu.

Qu'entendez-vous par socialisation contradictoire ?


L'individu est un système complexe, en relation d'échange permanent avec son environnement et ses images. Il enregistre dans son infra-conscient une multiplicité de repères, d'attitudes possibles, de nouvelles grilles de lecture, de codes de comportement. Il doit se confronter aux aléas de son extériorisation en produisant des "oeuvres" de lui-même et à son intériorisation car il porte en lui toute la société de son époque. Il est confronté à une infinité de modèles contradictoires parmi lesquels il lui faut se bâtir une cohérence, trouver un fil narratif à sa suite d'existence, une explication à son histoire. Il est ainsi forcé de réfléchir pour choisir ses options. Nous sommes loin de certaines visions simplistes et statiques de l'individu.

Ne craignez-vous pas que l'individu démocratique ne soit en train de dessiner son avatar : l'individu démagogique ?


Le modèle qui structure de plus en plus la réalité est celui de se remettre en question sur tout, de s'informer sur tout et de faire des choix de plus en plus nombreux. C'est impossible à 100 % et extrêmement fatigant. Le modèle démocratique est celui de l'esprit lucide, clairvoyant et critique. Mais le risque existe de vouloir s'enfermer dans des évidences de croyance. Mais le modèle contemporain est très inégalitaire. Toujours ouvrir des fenêtres nouvelles suppose des ressources culturelles et une certaine solidité dans l'organisation de la pensée. Bref, il faut avoir les moyens intellectuels de ce questionnement permanent.

Quel est le rôle joué dans la construction de l'identité par les médias, le marketing, la publicité ?


Il est vrai que certaines industries entretiennent l'illusion de se sentir les uns les autres de plus en plus semblables. La communication interpersonnelle entre le P-dg et le loubard semble facile, mais les inégalités se sont creusées. La différence est masquée par un langage commun qui la renforce.

Quel rôle, selon vous, vont jouer les représentations de la mondialisation dans la constitution des identités ?


La fin des limites géographiques fait disparaître les spécificités régionales et nationales. Mais je ne pense pas qu'il s'agisse d'une uniformisation. Chacun va créer de nouvelles différences, les déplacer. Les inégalités qui s'inscrivaient autrefois dans les territoires vont devenir plus mouvantes. Et les initiatives des individus vont opérer des changements de règles.

Dans un article du Monde**, vous comparez Catherine Breillat et Millet à Loft Story. Pensez-vous que ces univers de fantasme très particuliers, ces relations singulières à l'écriture puissent être mis en perspective avec un jeu télévisé dont les principales motivations sont financières ?


Je voulais dire simplement que j'y vois la même démarche d'exposition du soi intime qui s'élargit sous des formes particulières à la société. Certaines font plus volontiers l'objet d'un rejet comme Loft Story alors qu'il s'agit de la même dynamique. Je soulignais l'importance de l'approfondissement de l'intimité, notion fondatrice de la modernité. Il s'agit d'un changement et non d'une fin de l'intimité. Cette exposition de soi est une tentative d'exister davantage, pour vivre dans cette autre partie de soi qu'est l'image. L'intime est désormais subordonné à l'extériorisation de soi qui devient le trait dominant de nos sociétés modernes.

Qu'est-ce qui explique cet engouement pour Loft Story ?


Je pense qu'il s'agit d'une fascination de l'ordinaire pour une histoire en temps réel. C'est intéressant pour des pré-adolescents qui s'interrogent sur la différence des sexes, le mystère de l'être. Pour répondre à la question "Qu'est-ce qu'un individu ?", on a le choix entre le discours d'un expert ou regarder l'autre évoluer dans des situations banales. C'est néanmoins l'illusion de la vraie vie avec des anti-héros et des starlettes d'un jour. Et l'on y a insufflé des dérives sadiques comme la guerre des sexes, le conflit, la haine.

Dans ce même article du Monde vous écrivez : "Regarder, écouter, partout, à propos de tout, pour comprendre, pour choisir. Pour être soi, et tenter d'exister davantage en étant regardé, en multipliant les images." Le danger ne serait-il pas de vouloir combler frénétiquement un grand vide ?


Le modèle de la modernité peut devenir, pour certains, invivable. Il pose le problème d'une pédagogie de la modernité. Il faut arriver à doser les temps de questionnement, d'ouverture et d'exposition. L'idée de l'information de la vérité peut devenir un enfer. Par exemple, pour savoir comment élever son enfant, si l'on lit différents propos d'experts, on trouvera tout et son contraire. Chacun doit donc être capable de s'approprier les éléments qui lui conviennent. L'instabilité psychologique peut en être le prix à payer. * Ego. Pour une sociologie de l'individu de Jean-Claude Kaufmann. Editions Nathan. ** Voir article : "Voyeurisme ou mutation anthropologique ?" , Le Monde du 11 mai 2001.

 
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