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« Seule une coopérative pouvait s'engager aussi puissamment dans l'éthique »

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Précurseur à plus d'un titre, la première marque de lait française poursuit ses expériences en matière d'innovation. Elle a devancé bon nombre d'entreprises, sur le chemin de l'éthique et du développement durable, avec son programme "La Route du Lait" qui porte aujourd'hui ses fruits. Ainsi que l'explique son directeur général.

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Quelle est l'histoire de Candia ?


Il y a 35 ans des coopératives laitières régionales ont eu l'idée de se regrouper pour lancer une marque commune. Elles ont créé cette marque, puis cotisé pour faire de la communication ensemble. Chacune fabriquait des produits dans son usine avec des cahiers des charges uniques. C'est ainsi qu'est née Yoplait au milieu des années 60. Elles se sont tout de suite positionnées comme des challengers de Danone. Elles ont fait la même opération sur Candia en lançant une marque nationale de lait en 1971. En 1990, ces coopératives régionales ont décidé de former le groupe Sodiaal qui est la holding dont sont propriétaires les coopératives régionales et qui est, elle-même, propriétaire de Candia, Richemont et Sodiaal Industries.

Que change l'aspect coopératif dans la gestion quotidienne ?


La différence majeure, c'est que les actionnaires sont tous des chefs d'entreprise et ont une conscience aiguë de la pérennité de leur entreprise. Ils travaillent en réfléchissant à ce qu'ils doivent faire pour que, dans 20 ans, leurs fils puissent reprendre leurs exploitations et continuer à en vivre. Ce sont souvent des gens très actifs dans la société civile. Ils sont impliqués dans la vie de leur environnement, ont pris des responsabilités et ont conscience qu'ils peuvent faire bouger les choses. Ce côté "long terme" est très structurant dans l'entreprise.

Quels sont les revers du système ?


Lorsque des changements stratégiques sont nécessaires, il faut que tout le monde soit d'accord (rires), donc c'est long et les débats sont souvent publics. Mais, une fois les décisions prises, elles sont tenues pour dix ans.

Pourquoi "Candia" ?


C'est la racine latine "dia", qui se comprend dans le monde entier, et "Cand", c'est candy, candide, et donc un sens onirique assez riche quasiment partout. Il n'y a pas de rejet et c'est extrêmement important parce que le lait, dans l'imaginaire des gens, est un produit de chez eux. Ils ne pensent pas qu'il puisse venir d'un pays étranger. Le lait, c'est la ferme qui est à côté de la ville, c'est forcément un produit local et national.

Existe-t-il un lien entre la structure de l'entreprise et votre forte politique d'innovation ?


Non, je ne crois pas que cela soit coopératif. En revanche, Candia est la marque qui a inventé le marketing du lait et sa segmentation en France. Elle a toujours été foisonnante, pleine d'idées et de développement. C'est plutôt dans les gênes de Candia que dans les gênes coopératifs.

Vous êtes poussé à innover pour éviter la banalisation ?


Plutôt parce que le lait est un aliment universel que l'on achète sans se poser de questions. En France, son taux de pénétration avoisine les 94 %. A priori pour les gens, c'est un aliment complet, il n'y a pas d'attentes de diversification de leur part. Candia est la première marque à avoir identifié des attentes profondes sur des segmentations assez lourdes.

Quelles sont ces attentes ?


Aujourd'hui, nous avons d'un côté des consommateurs en attente de naturalité, de produits non-traités etc. Et de l'autre, ceux qui attendent des laits actifs, comme les laits vitaminés. A partir de cette segmentation de base, d'autres sont apparues comme les laits de croissance pour les enfants, les laits enrichis en fer, les laits gourmands enrichis au fruit, aux omégas, au calcium, etc. Ils correspondent à des besoins spécifiques. Nous n'avons pas les mêmes besoins aux différents âges de la vie.

Comment évolue la relation au lait ?


Comme le montrent le Programme National Nutrition-Santé (PNNS) et l'étude épidémiologique SU.VI.MAX dont nous sommes partenaires, il y a un lien extrêmement étroit entre alimentation et santé. C'est une tendance de fond que l'on voit un peu partout. Comme le lait fait partie, fondamentalement dans l'esprit des gens, des aliments santé, puisque c'est l'aliment complet par excellence, nous sommes en première ligne sur le sujet. Parallèlement, le marché se débanalise doucement, même s'il perd en volume.

Dans votre campagne radio, au printemps, vous rassembliez jeunes et moins jeunes autour du calcium...


Nous ne communiquons pas sur une cible même pour des produits très ciblés, comme Viva Calcium qui s'adresse clairement aux personnes âgées qui ont de plus gros besoins. Les bénéfices du produit sont mis en avant sans s'adresser à une cible particulière. Vers 50 ans, on perd du calcium qu'il faut donc reconstituer et, à l'adolescence, il faut construire son capital et en ingérer beaucoup. Ce sont donc vraiment deux périodes-clés car, si vous n'en prenez pas assez à l'adolescence, vous ne compenserez plus jamais après. Il ne faut pas dramatiser, mais avoir sa dose de calcium est quasiment un combat quotidien.

La surenchère de produits enrichis est-elle crédible à terme ?


En fait, les vitamines peuvent se perdre dans les traitements thermiques du lait, on complémente donc pour avoir un lait tel qu'il était au départ. Ensuite, pour qu'il vous reste assez de vitamines dans le corps, il faut en ingérer une certaine quantité. Soit vous avez une alimentation extrêmement équilibrée, soit vous avez des carences qu'il faut compenser. Les produits enrichis en vitamines sont un moyen un peu détourné mais pourquoi ne pas y arriver comme ça ? Cette suspicion, dont vous faites part, est aussi une grande constante de l'administration française qui craint que, si l'on ne consomme que des produits supplémentés, on dépasse ce qu'il est raisonnable de faire. D'une manière générale, il faut vraiment manger beaucoup d'un aliment pour être en danger physique parce qu'il apporterait trop de composants. Mais, si les gens consomment trop de produits enrichis, il peut y avoir un danger.

Votre organigramme compte un responsable du marketing de l'innovation. Quel est son rôle ?


Ce poste existe depuis un certain nombre d'années, à la croisée du marketing, de la nutrition et de la réglementation. Il est alimenté dans ses recherches par l'Institut Candia dont font partie des membres éminents du corps médical français et étranger.

Que retirez-vous des recherches les plus récentes ?


Nous sommes très axés sur ce rôle de l'alimentation dans la santé. Aujourd'hui, ce que l'on mange a un rapport direct avec ce que l'on est. Le deuxième point, c'est qu'une alimentation adaptée à chaque âge de la vie peut permettre de se sentir bien, quel que soit son âge. C'est quelque chose que l'on voit partout. Tout comme la tendance à l'obésité dans la plupart des pays développés où l'on se rapproche des USA à une vitesse un peu effrayante, notamment chez les enfants.

Parmi tous les segments que vous avez développés, quels sont ceux qui fonctionnent le mieux ?


Le bio et les laits pour enfants. Le bio a eu une forte croissance qui semble se tasser depuis le début de l'année pour un problème de prix qui limite les achats. Le lait bio représente à peu près 5 % du marché, mais il est environ 30 % plus cher que le produit normal correspondant. C'est un frein important à sa croissance. Les grosses années de croissance sont probablement terminées. L'autre segment qui grimpe, c'est celui des enfants. Là, il y a une double tendance : d'une part, on s'occupe de mieux en mieux d'eux et d'autre part, la natalité se porte bien en France.

Si on paie plus cher de la nourriture meilleure, il faudrait manger moins !


Oui, mais ça, c'est une démarche militante. Cela étant, il y a dans le bio une certaine part de militantisme. La plupart des consommateurs se disent "quels bénéfices je retire de cet investissement... ?". Or, en goût, le lait bio n'est pas différent des autres.

Cela ne vous a pas empêché de créer votre programme la "Route du Lait"...


Cette démarche s'apparente au bio dans la mesure où elle s'attache à un mode de production respectueux de l'environnement, au bonheur des vaches, en plus des règles les plus strictes en matière de traçabilité etc. Mais c'est vraiment une volonté des producteurs d'être des acteurs intégrés dans la campagne. Dans nos "fermes sélectionnées", il n'y a rien qui traîne, l'étable est propre et la traite se fait en douceur.

Comment s'organise le suivi ?


Il y a de l'autoévaluation. Mais cette démarche est authentifiée par l'AFAQ (Association Française pour le management et l'Amélioration de la Qualité), il y a des contrôles inopinés en permanence. Théoriquement dans toutes nos "fermes sélectionnées", on doit trouver des troupeaux calmes. Nous l'avons traduit dans notre film publicitaire par des vaches qui chantent (!), mais c'est une réalité, les vaches vont bien. Il ne s'agit pas de marketing, mais d'une démarche qui vient des producteurs qui l'ont mise en route en 1997. Et ce n'est qu'en 2000 que cela a permis de sortir de nouveaux produits.

Combien de coopératives ont atteint le statut de "ferme sélectionnée" ?


Parmi nos 13 000 producteurs, 9 500 sont engagés dans la démarche et 4 500 sont à niveau. Il a fallu organiser la collecte de lait spécifiquement pour ces fermes qui sont réparties dans toute la France. L'idée est qu'à terme tout le lait ait cette qualité. C'est aujourd'hui environ une cinquantaine de millions de litres et, d'ici à fin 2004, de tout notre lait Candia, soit 500 millions de litres.

Le développement durable sied bien à l'esprit coopératif...


Nos producteurs ont vraiment anticipé car ils étaient persuadés qu'il y aurait une attente là-dessus. Dans l'esprit coopératif, il y a cet aspect citoyen et de développement durable. Il n'y a qu'une coopérative qui pouvait démarrer un projet aussi puissant. Une entreprise capitaliste classique n'aurait jamais pu inciter autant de fournisseurs à adopter une même démarche.

Le côté mythique du lait complique-t-il la communication ?


Oui. Car le lait est élément magique. Il n'est pas manipulé par l'homme comme le pain. Il sort de la vache et il est parfait. On peut faire rêver sur le lait, mais on ne peut pas faire de communication du type lessivier : "Vous avez un problème, je le règle avec mon produit". Ça ne marche pas. Le lait est trop lié à l'enfance, à la mère, à l'alimentation, à la vie. Il y a une grosse part d'irrationnel, d'où la difficulté de le marketer.

Vous avez reçu récemment un prix de l'Observatoire de l'éthique.


Oui, il est tombé juste au moment où nous commencions à commercialiser des produits qui se réclament d'une démarche éthique. L'Observatoire a distingué notre démarche dans la production laitière et nous sommes fiers d'avoir obtenu ce prix. Il récompense les efforts de nos producteurs qui, au départ, ne sont pas de grands communicants. Ils se sont rendu compte que le monde paysan souffrait d'un déficit d'image et que, par la communication et la transparence, ils réussiraient à changer les choses.

Quels sont vos axes prospectifs ?


Faire consommer du lait à ceux qui ne l'aiment pas ou qui l'ont abandonné. Nous travaillons sur des produits qui ont moins le goût du lait. L'autre grand axe de développement, c'est notre savoir-faire de conditionnement du lait. Nous sommes présents dans 15 pays dans lesquels nous avons signé des contrats de franchise. Nous leur apportons notre savoir-faire industriel et marketing. Nous démarrons en Inde, à la fin de l'année, l'un des plus gros producteurs au monde avec 75 milliards de litres par an (la France en produit 12). Avec l'italien Parmalat, nous sommes la seule entreprise à avoir une démarche aussi active de développement de notre marque dans le monde.

Biographie




Georges-Etienne Vandamme a 50 ans. Il est marié et père de trois enfants. Diplômé de l'Edhec, il entame sa carrière chez Procter en France puis en Italie. Il est ensuite directeur régional chez Danone puis directeur commercial d'Herta au sein du groupe Nestlé. Il arrive chez Sodiaal en 1993, d'abord en tant que directeur commercial de Yoplait, puis comme directeur général de Richemont en 1995. En 2000, il devient directeur général de Candia.

L'entreprise


Candia fait partie du groupe Sodiaal et est le numéro un du lait en France et en Europe. Candia commercialise 1,5 milliard de litres de lait pour un chiffre d'affaires (2001) de 920 millions d'euros dont 15 % à l'export. La part de marché volume est de 40 % dont 20 % uniquement pour la marque Candia (26,1 % en valeur). Candia emploie 1 700 salariés et rassemble 13 000 producteurs.

 
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Valérie Mitteaux

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