« La pub sert de bouc émissaire »
Mise à mal par la crise de confiance, l'idéologie marketing et son expression la plus visible, la publicité, sont au banc des accusés. Co-fondateur de l'agence Scher-Lafarge, qui a imaginé la campagne de communication du BVP, Christophe Lafarge défend sa part de vérité.
Je m'abonneVotre agence a signé, il y a quelques semaines, la campagne de publicité du BVP. Une campagne où il était question de vérité, de responsabilité et de confiance. La pub aurait-elle besoin de se justifier ?
< Christophe Lafarge : Vitrine du capitalisme, de la société de
consommation, la publicité a bon dos et elle sert de bouc émissaire. On lui
tape dessus parce qu'elle est la plus visible, c'est elle qui met en scène les
produits et les marques. En s'attaquant à la publicité, on s'attaque au metteur
en scène. Or, en France, la publicité est dix fois plus encadrée, maîtrisée,
contrôlée que bien des émissions qu'elle entoure. Elle ne cache pas ce qu'elle
est, une œuvre de création destinée à faire préférer une marque à une autre. Le
boulot du publicitaire, c'est créer de la préférence. Point. Et s'il y a un
métier qui assure ses responsabilités, c'est bien la publicité. De fait, elle
est même beaucoup plus responsable que beaucoup d'émetteurs publics.
Après avoir été une machine à créer du rêve, la publicité se convertit à la pub réalité. Comment faut-il comprendre ce virage ?
C. L : La gestion des marques ne se vit plus comme une conquête
mais comme une recherche de rentabilité. Nous sommes à une époque où
l'efficacité à court terme prévaut. Lorsqu'une société, une entreprise, une
marque n'a plus de vision, qu'elle ne cherche plus à se projeter, elle regarde
le quotidien. Et s'exprime à travers les valeurs du quotidien et notamment un
discours vérité, de transparence, de réalité. Mais la télé réalité n'a rien à
voir avec la réalité, c'est une usine à rêves et à midinettes. Cette réalité là
est montée, orchestrée et personne n'est dupe. On joue sur les mots. Son
succès ne doit rien à la réalité, mais tout à notre capacité à consommer une
œuvre instantanée.
Toutes les études tendent à prouver que les consommateurs attendent des marques, des entreprises et des institutions qu'elles leur apportent la preuve de ce qu'elles avancent ?
C. L
: La vérité du produit, c'est sa vérité, celle qui va l'opposer au voisin. Dans
la publicité comparative, deux vérités s'affrontent. Laquelle croire? Il y a
toujours une part de rêve dans l'acte d'achat et le consommateur veut continuer
à rêver, mais il veut aussi que tout le reste soit accessible. Pour une
majorité des gens, ce qui est important, ce n'est pas tant de savoir comment la
soupe a été préparée, ce qu'ils veulent, c'est qu'elle soit bonne, qu'il n'y
ait pas de cochonneries dedans et qu'on les respecte. Les élites pensent qu'en
opposant transparence à opacité, elles ont trouvé le remède absolu à tous les
problèmes.
Vous n'avez pas l'air de partager cet avis ?
C. L : Nous sommes à un moment de notre histoire où l'espoir se
perd. Il faut un coupable et un responsable à tout. Quand on met tout son poids
dans la réalisation d'une mission, on ne pense pas à savoir qui est responsable
des échecs. La transparence, c'est la modernité, elle explique tout d'une
manière démagogique. Mais a-t-on besoin de montrer toute la vérité ? Il ne
faut pas confondre une nécessaire visibilité avec la volonté de transparence.