«L'explosion des points de contacts entraîne une demande croissante de sens et de cohérence»
La dernière édition du Publicitor vient de paraître. Afin d'intégrer les mutations du secteur, elle a subi un lifting en profondeur. Les auteurs Arnaud de Baynast, Catherine Emprin et Jacques Lendrevie reviennent sur leur nouvel ouvrage et les grands défis de demain.
Marketing Magazine - Vous avez totalement restructuré le Publicitor. Quels sont les grands changements apportés à cette 7e édition?
Jacques Lendrevie: Nous avons, en effet, effectué un remaniement très profond de cette édition qui fête ses 25 ans cette année. Notamment parce que la communication évolue. La fonction marketing est, par exemple, celle qui a le plus changé au cours de ces cinq dernières années. Ces changements vont encore s'amplifier. C'est pourquoi nous avons adopté un point de vue différent avec une nouvelle structure afin de répondre plus directement aux problématiques des annonceurs. A savoir la communication au service de la marque, de la vente et de la fidélisation. Jusqu'à présent, toutes les éditions étaient structurées autour des outils, nous avons repensé celle-ci autour des enjeux.
Comment vous êtes-vous organisés?
J. L.: Catherine Emprin, notre nouveau coauteur, s'est naturellement occupée de la partie consacrée à la marque tandis qu'Arnaud de Baynast a enrichi la partie sur la communication au service de la relation et de la fidélisation.
La 7e édition du Publicitor démarre d'emblée avec les différents modes de communication. Quelles sont les nouvelles tendances?
J. L.: Aujourd'hui, le consommateur reçoit la communication de manière différente. En fait, les marques ont investigué de nouveaux modes de communication qui enrichissent les anciens. La communication de type «pull» s'est développée, par rapport aux formes traditionnelles du «push», et nous avons approfondi cette notion. De même, avec la sophistication des techniques de ciblage, on a cru que la communication de masse allait laisser la place à la communication one-to-one. Ce n'est pas du tout ce qui s'est passé. Il faut bien comprendre que tous les registres de communication - segmentée, one-to-one ou de masse - sont en interrelation. Et la problématique aujourd'hui consiste à bâtir le mix le plus pertinent.
Vous consacrez une grande partie de l'ouvrage à la marque, et notamment en tant que levier de création de valeur...
Catherine Emprin: L'explosion des points de contacts du consommateur avec les marques entraîne une demande croissante de sens et de cohérence. La marque court un risque de dispersion de ses discours, de ses messages. Dans cette dispersion et à la vitesse où vont les choses, le grand enjeu est de ne pas perdre le sens de la marque.
Par ailleurs, les annonceurs sont mus par beaucoup d'objectifs à très court terme. Pourtant, il est devenu impératif pour l'entreprise de se poser, de prendre le temps de réfléchir au sens qu'elle veut donner à sa ou ses marques, à ses produits, à son métier. C'est un point crucial: penser une stratégie qui tienne plus de six mois et crée de la valeur à plus long terme, et ce tout en gardant suffisamment de jeu de jambes pour ne pas passer non plus à côté des enjeux de court terme.
Pourquoi cette quête de sens est-elle plus importante aujourd'hui?
C. E.: Parce qu'elle est notamment liée à la révolution de l'Internet et des médias interactifs. Il y a une exigence de conversation qui n'était pas aussi forte auparavant. On est dans une relation plus interactive, car le consommateur a retrouvé le pouvoir de questionner la marque, de dialoguer. La force d'une marque ne se mesure plus à sa capacité d'émission et de diffusion. Elle va devoir entrer en relation avec ses consommateurs. Si elle ne le fait pas, la conversation aura lieu sans elle. Le consommateur a envie de savoir et de comprendre comment la marque fait son métier. Par ailleurs, il n'existe plus de frontière entre l'entreprise, la marque et le produit. Tout cela est désormais décrypté. Et il ne peut pas exister de hiatus entre les trois.
L'engagement des marques est-il devenu un impératif?
C. E.: Les marques doivent énoncer des engagements. D'abord sur leurs produits. Il y a tellement de propositions que l'on tend à ne retenir que celles qui nous rendent le plus service. Ce service peut, bien sûr, être très concret ou psychologique. Mais aujourd'hui, la compétition entre les marques porte sur l'importance du service qu'elles nous rendent. Apple me rend- elle un service unique et plus précieux que Sony? Mais la grande nouveauté c'est, qu'au-delà de l'engagement sur les produits, la demande se porte sur les entreprises. Les individus les attendent sur le sens qu'elles donnent à leur métier, sur la vision qu'elles en ont, sur la façon dont elles pratiquent ce métier. De plus en plus, les entreprises vont devoir énoncer leur utilité - pour les gens, pour la société, pour la planète - et agir conformément à ce qu'elles vont déclarer. Il sera beaucoup moins facile de ne pas s'engager ou de mentir. Car les marques sont spontanément questionnées. A l'instar de Total ou EDF sur ces enjeux énergétiques.
Pourquoi doivent-elles donner autant de justificatifs aujourd'hui?
C. E.: Ces questions, les entreprises n'avaient pas habitude d'y répondre simplement car on ne les leur avait jamais aussi clairement posées. Du moins avec cette force. On ne leur demandait pas beaucoup plus que de créer du profit et de l'emploi. On attendait d'elles qu'elles se comportent normalement en nuisant le moins possible à l'homme et à l'environnement. Le questionnement aujourd'hui va bien plus loin. Il est davantage de l'ordre de l'éthique.
J. L.: Cela devient incontournable. C'est d'ailleurs pourquoi, dans cette édition du Publicitor, nous avons fait évoluer nos analyses. Nous avons intitulé notre seconde partie, celle dédiée à la publicité, «La communication de masse au service de la marque» car, selon nous, l'avenir de la communication publicitaire mass media se resserre autour de ces enjeux montants autour de la marque: lui donner du sens, créer de la valeur, porter un engagement. Et ces problématiques sont à prendre au sérieux car, s'il est vrai que les marques n'ont jamais été aussi fortes, elles n'ont parallèlement jamais été aussi fragiles. Aujourd'hui, le consommateur peut renoncer à des marques très rapidement et facilement, avec le low cost ou le hard discount par exemple.
Arnaud de Baynast: La question du sens est d'autant plus cruciale que la problématique de saturation des consommateurs touche toutes les techniques de communication: pas seulement les mass media, mais aussi sur les principales techniques de communication sur l'Internet ou les programmes de fidélisation traditionnels, qui ont perdu beaucoup de leur efficacité.
Est-ce la raison pour laquelle vous insistez sur la logique d'optimisation des dépenses?
a. d. B.: Oui. D'ailleurs, deux mots ressortent souvent: optimisation et remise en cause. Les agences doivent arrêter de pousser les annonceurs à augmenter systématiquement leurs budgets, pour entrer dans une logique d'optimisation des dépenses. Que ce soit sur la publicité, mais aussi sur la fidélisation, la promotion des ventes, le street marketing..., nous ne sommes plus dans une logique où plus on dépense, plus on est rentable. Les grands succès montrent que, dans presque tous les secteurs d'activité, l'annonceur qui gagne le plus en part de marché n'est pas celui qui dépense le plus.
Le consommateur est devenu lui-même un média à part entière, puisqu'il produit aujourd'hui du contenu. Comment s'adapter à ces évolutions?
C. E.: Le consommateur génère effectivement du contenu, mais ce dernier est encore un peu chaotique et de qualité très inégale. Tous les consommateurs ne sont pas des créatifs de talent.
Dans le chaos, c'est la qualité qui va émerger. Quand bien même des choses intéressantes apparaîtraient de la part des individus, cela ne dispensera jamais une marque de penser stratégie et de chercher à l'exécuter avec talent. Il faut un pilote dans l'avion!
Le «consumer generated content» ne signe pas la mort des agences, heureusement. Il faut accepter de rentrer dans la conversation entre consommateurs et marques. Et pour l'instant, il n'y a pas eu de grandes réalisations issues de cette interaction. L'enjeu de la saturation est de trouver un nouvel impact, une nouvelle qualité. On assiste à l'avènement d'un nouveau rapport aux marques, plus équilibré, plus interactif, avec un déplacement du centre de la réflexion marketing. Nous allons du «brand centric» au «consumer centric».
Les grandes agences de publicité ont-elles bien négocié ce virage?
C. E.: Pour se démarquer, les agences misent, bien sûr, toutes sur la création. C'est leur valeur ajoutée. Mais pour avoir de la valeur ajoutée dans la création, il en faut aussi dans la stratégie. C'est là un véritable enjeu pour les agences dans un contexte où la vitesse et le court terme sont prégnants. Leur rôle va consister à prendre de la hauteur et d'orienter les annonceurs sur le long terme. En tous les cas, pendant plus de six mois. La campagne Air France est un exemple de longévité dans un monde hyper changeant et ultra-concurrentiel.
Y a-t-il eu, selon vous, une mutation créative? Quels sont les meilleurs exemples qui illustrent cette mutation?
A. de B.: On assiste à une forme de bipolarisation: d'un côté, le retour à la simplicité du message et de l'autre, une hypercréativité. Reste que jouer sur la simplicité n'est pas plus facile. C'est même parfois plus difficile. Finalement, de la même manière qu'il y a des marques low cost et des marques de luxe, il y a des messages simples et des créations ultra- sophistiquées. Les messages qui se situent entre les, deux ont tendance à devenir fades.
J. L.: Fondamentalement, la créativité doit se renouveler dans son ensemble. De la communication au message en passant par les outils.
C. E.: De plus, la prolifération de nouveaux outils n'a pas été pleinement intégrée dans les organisations avec les annonceurs. De nouvelles organisations et fonctions vont voir le jour.
Par exemple?
C. E.: Patron de marque transversal, pilote de la stratégie sur l'ensemble des canaux de communication... Nous assistons à la destruction des silos de compétences. La difficulté va consister à conserver les spécialistes et, dans le même temps, d'avoir des compétences transversales.
J. L.: Encore faut-il former ces nouvelles aptitudes. Car il y a une grande pénurie de compétences transversales et généralistes.
A. de B.: L'organisation au sein des annonceurs et des agences est un point important. L'efficacité de la communication multicanal intégrée ne relève pas uniquement de la technique, mais d'abord de l'organisation. C'est avant tout un problème d'hommes et de compétences pluridisciplinaires. Il faut réfléchir à une organisation nouvelle des agences et des annonceurs pour préserver la créativité tout en gagnant une plus grande objectivité dans le choix des canaux et dans leur articulation. Parallèlement à ces cultures créatives et analytiques, il faut renforcer la maîtrise des technologies. Le succès est une affaire d'équilibre entre ces trois dimensions.
Les marques sont-elles aussi en train de devenir des producteurs de contenus?
J. L.: Jusqu'à présent, l'éditorial et le commercial étaient séparés. Les marques sont tentées de devenir des marques médias en créant leur propre contenu. Notamment en créant des séries télévisées, des jeux sur leur propre site, voire des chaînes de télévision.
A. de B.: Le brand content pose une question de fond sur le rôle des marques mais aussi des médias. C'est un phénomène de mode dont il faut se méfier, car le brand content n'est pas un remède universel. Seule une poignée de marques, dans certaines problématiques de communication, peut en espérer une réelle efficacité. La prolifération de ce type de contenus crée aussi une très forte exigence en termes de qualité. Il faut pouvoir y consacrer des moyens financiers importants.
C. E.: Les médias devront dire ce qu'ils en pensent, mais mélanger le commercial à l'éditorial est un sport à risque. Autant pour les marques que pour les agences. Il vaut mieux que la pub continue à dire son nom.
Parcours
Arnaud de Baynast
Fondateur de l'agence Sales Story. Devient directeur associé dans le groupe Publicis, puis est nommé dg d'Euro RSCG 4D Worldwide. En 2008, il crée une société de conseil en e-commerce et communication intégrée, en association avec Euro RSCG.
Catherine Emprin
Diplômée d'HEC. Directrice marketing et développement de BETC Euro RSCG. Elle a mené sa carrière dans le groupe Publicis, le groupe BDDP (aujourd'hui TBWA\) et le groupe Euro RSCG où elle travaille depuis 1996. Après avoir été directrice internationale de marques, elle dirige le développement de l'agence BETC Euro RSCG.
Jacques Lendrevie
Diplômé d'HEC et d'un DESS de sciences économiques, Harvard Business School (ITP). Consultant, il est professeur honoraire à HEC. Titulaire de la chaire «Management et Nouvelles Technologies», il a créé la majeure Marketing à HEC. Il est fondateur et directeur scientifique du Master HEC/Télécom Paris.