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[Tribune] Low Cost, l'ennemi public n°1 ?

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[Tribune] Low Cost, l'ennemi public n°1 ?

L'économie Low Cost, qui repose sur la réduction des coûts d'exploitation, est-elle responsable de notre dépendance à la main d'oeuvre asiatique et donc de la situation de crise sanitaire dans laquelle nous nous trouvons ? Une tribune d'Adrien Aubert, associate partner de SQUARE.

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À l'heure du Covid-19, il est tentant et aisé de pointer du doigt le low cost, ce volet incontournable de nos circuits économiques, pour son rôle supposé dans la délocalisation, la dépendance à l'outil de production asiatique, la contribution au réchauffement climatique, la malnutrition, et ainsi de suite. Symbole de la fracture entre bonnes intentions politiques et réalité du pouvoir d'achat, il incarne toute la complexité de nos sociétés contemporaines.

Schématiquement, l'économie low cost repose sur l'idée que la croissance vient non pas de l'augmentation du prix et de la qualité proposée à un acheteur de biens et services, particulier ou entreprise, mais plutôt de la réduction des coûts d'exploitation par la simplification de l'offre, voire même la réduction de la marge faciale pour proposer un prix plus attractif, compensée par une hausse des volumes de ventes. Ce modèle s'est peu à peu répandu à une multitude de secteurs d'activité, de la grande distribution au tourisme, en passant par l'automobile et la banque.

On le constate par exemple dans l'automobile avec l'exemple de Dacia depuis le milieu des années 2000, qui répond à l'aspiration d'une partie de la population de pouvoir s'offrir un véhicule neuf, simple et robuste, des caractéristiques traditionnellement associées aux véhicules de la «Régie Renault». Ces aspirations tendent à être satisfaites à l'échelle individuelle au détriment de la mise en oeuvre de solutions technologiques pour servir la lutte contre la réduction des gaz à effets de serre ou la réduction de la mortalité routière, en prétextant que ces deux causes sont indirectement servies par la mise au rebut d'un véhicule plus ancien, ce que l'augmentation de l'âge moyen du parc automobile français a plutôt tendance à infirmer.

Promesse de gratuité

On le constate également dans le service bancaire. Le low cost s'y matérialise par des promesses de gratuité (carte, ouverture de compte) et de taux planchers. L'explosion de nouvelles offres en ligne, souvent issues de grands groupes traditionnels, est venue empiéter les parts de marché d'un secteur qui était longtemps demeuré incontestable avec peu de nouveaux entrants. Ici, si les raisons sont différentes (saut technologique permettant de simplifier les produits et d'industrialiser la gestion des opérations bancaires), les résultats restent comparables, à savoir une érosion durable des marges et une remise en cause de la soutenabilité qui interroge aussi bien les pouvoirs publics que les autorités de supervision.

Pour résumer les limites du low cost et de ses impacts négatifs sur l'approche sociétale et environnementale, reprenons l'exemple de la baguette de pain à 80 centimes souvent cité par le chef étoilé Thierry Marx : le pain industriel low cost vendu 80 centimes et parfois moins. C'est une économie de bout de chandelle qui sera payée plusieurs fois par l'ensemble des acteurs. Une première fois sur le plan environnemental par l'utilisation de blé non issu d'une agriculture qualitative et raisonnée, source de valeur pour l'industrie primaire ; une seconde fois sur le plan sanitaire pour les clients, du fait de l'utilisation de produits peu qualitatifs avec peu de R&D et peu de tests cliniques ; une troisième fois sur le plan économique en privant la filière artisanale de son expertise et de son savoir-faire.

Ainsi, plusieurs points communs émergent entre les différentes industries. En premier lieu, le low cost a souvent pour origine le constat d'un marché saturé et d'une offre pléthorique : pour le bouleverser, un de ses acteurs peut choisir une approche offensive en lançant une nouvelle marque dont l'objectif est de capter du volume, qui sert ensuite de base de clientèle pour pratiquer « l'upselling » avec les autres marques de son catalogue, c'est-à-dire la promotion de produits à plus forte valeur ajoutée à toute cette nouvelle clientèle, pour opérer une montée en gamme génératrice de plus fortes marges.

Au-delà de la cannibalisation avérée, ces approches tendent in fine à biaiser la perception d'une marque, qui ne sort généralement pas grandie d'une politique commerciale durablement agressive sur les prix qui restent perçus comme directement liés à la qualité finale livrée au client. Elles exposent également les acteurs aux innovations de rupture, qui peuvent engendrer soit de nouveaux produits et services attrayants (pour lesquels l'argument prix n'est plus le seul critère différenciant) et donc leur faire perdre très rapidement des parts de marché à forte marge, soit des produits similaires mais d'une bien meilleure qualité, pour un prix inférieur, avec à la clé des conséquences similaires, à savoir une perte rapide de parts de marché et de marge. Dans ces deux cas, les spécialistes du low cost demeurent prisonniers d'un système tiré par les prix pour assurer un volume de vente à court terme, qui n'est que peu porteur de fidélisation des clients et donc peu rémunérateur sur le long terme.

Bien sûr, tout ne saurait être parfaitement manichéen, et certaines stratégies low cost ont réussi à perdurer au sein de grands groupes. D'une part, parce que cette stratégie ne doit pas être l'unique axe de croissance, mais au contraire faire partie d'un tout où plusieurs approches complémentaires doivent permettre de répondre à davantage de clients. Pour y parvenir, il s'avère essentiel que la nouvelle offre soit réellement différenciante par rapport à l'offre milieu de gamme, pour qu'aucun amalgame ne puisse se faire dans l'esprit de l'acheteur, ce qui implique habituellement la mobilisation d'équipes dédiées avec une culture produit bien spécifique. Dans ce cas, le low cost est un moyen pour tenter de s'imposer au public en termes de volume de vente, permettant ainsi de constituer (provisoirement tout du moins) des formes de barrière à la concurrence et en particulier à l'émergence de nouveaux acteurs.

Ces approches vont souvent de pair avec des opérations de croissance externe, dont la vocation est d'accentuer le phénomène d'économie d'échelle pour à nouveau réduire les coûts d'exploitation et capter de plus grandes parts de marché, soit en anticipation, soit en réaction à une manoeuvre concurrentielle d'un autre acteur du marché. Par nature, cette stratégie se cantonne aux grands groupes à la puissance financière et aux ressources (humaines, industrielles) importantes.

Érosion des marges et fragilisation des équilibres financiers, vision court-termiste à faible impact RSE : alors le low cost, un mal nécessaire ? La crise des Gilets Jaunes l'a bien rappelé. Il paraît en effet aujourd'hui incontournable de disposer de circuits de vente dédiés au low cost, a minima pour les foyers disposant de bas revenus. Mais répondre à cette réalité économique ne peut être une fin en soi dans le sens où, à plus long terme, elle entraîne dans son sillage un cercle vicieux de dévalorisation, dont la porte de sortie est l'innovation et la prise en compte de l'opportunité environnementale pour revoir nos modes de consommation et de production vers une montée en gamme des produits & services.

 
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