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Relations humaines dans l'entreprise : entre performance et souffrance

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Régression. L'entreprise, dominée par la logique économique, redevient pathogène et néglige de plus en plus la question humaine. Elle renie, au nom des lois du marché, la valeur de la parole et du dialogue. Un malaise qui, s'il s'accroît, ne peut que se répercuter sur son fonctionnement. D'où la nécessité d'appeler à son chevet des praticiens de l'âme.

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L'entreprise se déshumanise. Elle n'a plus qu'un maître : le marché. Un patron impérieux qui justifie les mauvais traitements que l'on fait subir aux salariés. Logique corollaire : ils vont mal. Mais que fait l'entreprise, redevenue anxiogène, pour alléger les souffrances qu'elle leur impose ? Pas grande chose en vérité. Comme l'explique Yannick Japhet, médecin du travail à l'AIMT (1) de Saint-Malo. « Depuis deux ans et surtout depuis six mois avec l'adoption des 35 heures, on constate une très grande souffrance au travail. Chaque patient a une plainte. On médicalise en adressant le salarié à un médecin psychiatre ou psychologue. On entend beaucoup parler de psychosociologie du travail mais, dans les faits, on ne fait pas grand-chose. » L'entreprise n'est plus un lieu d'épanouissement. Les gens aiment leur travail mais ne supportent plus les conditions dans lesquelles ils le font. A propos du récent film de Laurent Cantet, Ressources Humaines, dans lequel s'oppose dans une même usine un père à la chaîne depuis trente ans et son fils en stage à la DRH, le sociologue et consultant Thierry Colis analyse que « l'on regarde désormais l'entreprise comme un objet critiquable. Certaines ressemblent à de vrais îlots de dictature dans lesquels des gens soumis acceptent des choses qu'ils n'accepteraient jamais au dehors ». Ces dernières années, il était indécent de se plaindre de ses conditions de travail lorsque l'on en avait un. Aujourd'hui, l'embellie économique se maintient, mais les entreprises aimeraient que leurs salariés conservent l'habitude de se contenter de leur sort. Les comportements humainement violents posent en fait une question cruciale et récurrente : « le personnel est-il, ou non, une ressource au même titre que l'investissement financier ? » Au vu de l'omnipotence des cours de la Bourse, la question semble plus que jamais d'actualité. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, on nous rebattait les oreilles avec les projets d'entreprise, les cercles de qualité (qui semblaient tellement réussir aux sociétés japonaises alors florissantes). Dadas d'une époque plus prospère, ils proposaient aux salariés de participer à améliorer la compétitivité de l'entreprise certes, mais élevaient aussi la qualité des relations humaines au rang de facteur de réussite. Ces fantasmes de perfection ont correspondu à l'arrivée de la gauche au pouvoir et l'adoption des lois Auroux, dont la volonté était de redonner plus de place aux salariés au travers de "groupes d'expression". On scandait : "la première richesse, c'est l'homme". Et puis l'engouement s'est essoufflé.

L'humain au placard


Les syndicats ont boycotté l'approche, estimant qu'ils y perdaient en pouvoir : les salariés pouvaient mettre syndicats et hiérarchie dos à dos. Cela aurait pu faire évoluer les structures décisionnelles : c'était donc dangereux. « Les cercles de qualité sont tombés dans l'oubli alors qu'ils constituaient une bonne conjonction entre l'envie des salariés, leurs désirs de responsabilités et la volonté des dirigeants d'avoir des salariés réactifs », regrette Thierry Colis. Quelles sont donc aujourd'hui les marottes des entreprises ? Les ISO. Des normes de certification qui imposent un néo-taylorisme que les salariés devraient s'approprier. Dieu nous garde qu'elles ne soient un jour appliquées aux relations humaines ! On évacue l'humain pour se reconcentrer sur l'outil de production. « Il est plus facile pour un dirigeant de se retrancher derrière une norme pour obtenir ce qu'il veut de ses employés, estime Florian Mantione, président du regroupement de cabinets de recrutement, Florian Mantione Institut. Ce n'est plus lui qui exige, c'est la norme. Cela supprime la relation affective et hiérarchique et gomme les problèmes relationnels. » Mais n'est-ce pas plutôt une stratégie d'évitement ? Thierry Colis y voit un risque « d'enlever aux gens toute intelligence ». Côté salariés, comme on le lit dans une étude de la DARES (2), "on constate que les normes de qualité se traduisent par une surveillance accrue de la hiérarchie". Mais comment se plaindre d'un manque de responsabilisation et de ce "panmondialisme" auprès d'un chef d'entreprise qui se retranchera in fine derrière LE responsable et nouvel ennemi du salarié : le marché ?

Consensus et mutisme


Privés d'espaces de parole, les salariés souffrent et l'absence de dialogue creuse le fossé avec le patronat. Les médecins sont débordés : « Aujourd'hui, ce sont des techniciens, ils doivent rentabiliser. Ils soignent la maladie pas le malade », déplore Yannick Japhet. Les psychologues, psychanalystes et psychosociologues sont souvent réservés au patronat en perte de repères. Et pourtant, quelle approche mieux que celle basée sur la parole pourrait sortir ces piètres relations humaines de l'ornière. « L'écho par rapport à l'intérêt de faire intervenir des psy est partagé entre curiosité et attitude défensive, estime Dominique Drillon, président de l'Institut Psychanalyse & Management. En France, l'approche de la psy reste associée par ignorance à l'idée de folie. » Pour Thierry Colis, « la psychanalyse en entreprise est intéressante lorsque l'on travaille, par exemple, sur le thème des accidents du travail où la dimension inconsciente est importante. On produit de la connaissance pour changer les choses. Or, une étude en elle-même, c'est déjà réfléchir sur les modalités du changement ». Reste que ces interventions sont le plus souvent faites à la demande du patronat. Les salariés peuvent donc toujours soupçonner la direction de manipulation. Pourtant les entreprises gagneraient sans doute beaucoup à mieux considérer ces "détective du sens" (3), que sont les psychanalystes. A passer outre les caricatures pour considérer l'intérêt de leur approche. Ne serait-il pas temps de donner aux salariés les moyens de refuser un consensus qui veut, comme l'écrit Christophe Dejours, dans Souffrance en France (4) que "s'opposer à l'ordre économique serait non seulement une sottise mais aussi la marque de l'obscurantisme". Dans un monde du travail, poursuit l'auteur, où "le choix ne serait plus entre la soumission et le refus, au niveau individuel ou collectif, mais entre la survie et le désastre". (1) Association Interprofessionnelle des Médecins du Travail. (2) Etude menée en 1998 par la Direction de l'animation et de la recherche des études et des statistiques du Ministère de l'Emploi et de la Solidarité. (3) Selon l'expression de l'économiste et psychanalyste, Manfred Kets de Vries interviewé dans le Monde, le 6 juillet 1999. (4) Seuil, collection L'Histoire immédiate, 1998.

Marie-Christine Koehrer, psychanalyste et consultante



« L'approche analytique permet de développer des capacités d'initiatives et de réflexion »


"La démarche analytique, c'est en savoir un peu plus long sur son désir, entendre un peu mieux ce que l'on dit, être à l'écoute de soi-même autant que des autres. Elle s'appuie sur l'expression, comme elle vient. Cela suppose de pouvoir écouter, même ce qui n'est pas prévu, y compris dans ce que l'on dit soi-même. Cela développe donc la capacité à écouter, à mieux supporter l'incertitude. Il y a un processus de transformation qui se met à l'oeuvre quand les gens se mettent à parler. Rien ne prouve que ce travail rend les gens plus efficaces. Il permet plutôt de faire en sorte qu'ils se sentent mieux. Cela fait surgir des choses. Mais il est clair que l'entreprise a peur de l'inconscient. Le travail analytique permet d'aller mieux parce qu'il allège. Il permet aux gens de réaliser qu'ils ne sont pas les seuls avec leurs soucis. C'est un nouvel angle de réflexion qui développe très clairement des capacités d'initiatives importantes. Ce n'est pas un travail triste. Quelquefois les gens pleurent mais cela leur fait du bien. Par ailleurs, la capacité d'écouter donne aussi celle de voir plus loin et d'agir sur le système, de pouvoir soutenir sa parole, en l'exposant au groupe. On développe ainsi des capacités de réflexion et de mise en relation. Solliciter l'intervention d'un psychanalyste en entreprise, c'est montrer que contrairement à l'idée d'une entité toute puissante, cette dernière peut aussi être un lieu qui favorise la réflexion. Ce n'est bien sûr pas la seule approche. Elle peut être associée à d'autres, mais c'est sûrement l'une des plus intéressantes du point de vue du travail par rapport à la parole. Et puis, si l'on est en analyse, c'est déjà que l'on va mieux."

 
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Valérie Mitteaux

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