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Pourquoi le marketing ethnique, Le point de vue de Danielle Rapoport, directrice de DRC.

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Quelle différence y a-t-il entre la tendance “exotisme-découverte-évasion”, dont les attraits alter-culturels motivent les voyageurs et les amateurs de cuisine africaine ou hispanique, et le “marketing ethnique”qui s'officialise aujourd'hui en Europe et à petits pas en France ? Simplement l'institutionnalisation d'un ciblage spécifique, celui de communautés aux signes visibles de différences et au comportement d'achat et de consommation particuliers. Si cette forme de marketing fait son apparition en France, c'est que, malgré les tabous que soulève encore ce terme, le “business” ne peut négliger les pouvoirs d'achat et les faiseurs de tendances de ces minorités… Les Etats-Unis l'ont compris depuis quelques décennies à la fois en ciblant des communautés et en tablant sur la dynamique de certains de leurs représentants (dans le sport, la mode, la musique,…) pour en faire des porte-drapeaux ethniques “politiquement corrects”.

Questionner l'altérité n'est pas simple


Le terme “ethnique” pointe cependant du doigt que ce dont il s'agit n'est pas anodin. Il est question de désigner des particularismes qui ont figure d'altérité, et questionner l'altérité aujourd'hui n'est pas simple. Surtout en France, dont le passé colonialiste - sans évoquer celui des “zoos humains” - joue sur le tableau totalement ambigu de l'intégration et de l'exclusion, de l'attirance et de la peur. L'altérité - dont la formule rebattue du “vivre ensemble” en est l'extrait le plus consommable - serait devenue nécessité ethnique, dans le sens d'une acceptation de l'Autre et de ses différences, mais elle reste néanmoins difficile à penser, à l'aune des vertus républicaines d'une France qui se voudrait rassembleuse. Pourquoi la France n'ose-t-elle encore désigner ses minorités en tant que telles, comme si, partagée entre son désir d'unification et celui d'ouverture, elle tentait de rendre “l'autre” soluble tout en lui signifiant sa place dans un volontarisme universaliste qui cache aussi la peur archaïque de l'Autre ? Des études ont montré trois grands types de désignation de l'altérité, sur lesquels s'est appuyé - et s'appuie encore - le marketing de la différence en France : - "l'icône post-colonialiste", représentée par des personnages symboles sensés vanter les mérites d'un produit authentiquement correct (Banania, Uncle Ben's), - “l'icône héroïque”, représentée par des personnages réels qui concentrent en eux les pouvoirs d'une intégration réussie (le succès de Zidane, par exemple), - l'approche multiculturelle : le rapprochement positif de cultures qui, à force d'être mélangées, finissent par effacer les différences (Benetton, et aujourd'hui, Orange…).

Etre infiniment subtil, respectueux et connaisseur


Manque à cet appel la simple désignation de l'autre comme résolument Autre… Mais alors, jusqu'où aller dans cette reconnaissance identitaire ? Ne risque-t-on pas d'annuler les effets visibles d'intégration, ou de sur-segmenter - ce qui se fait déjà, au détriment d'une lecture simplifiée de l'offre - ? Et, de fait, si chacun de nous est différent et affiche la volonté d'affirmer sa singularité, jusqu'où s'appliquerait le concept "d'ethnie" ? Faut-il lui adjoindre à tout prix celui de communautarisme ? Et comment ces “communautés” vivront-elles cette reconnaissance par le biais opportuniste du marché, et quels effets sur les revendications identitaires ? Poser l'ethnique dans une stratégie marketing ouvre nécessairement à la désignation de l'autre comme autre “discriminé”. Il s'agira alors, sous peine de bévues légitimement sanctionnables, d'être infiniment subtil, respectueux et connaisseur de la culture concernée, pour ne pas choquer ces hérauts de la “différence” et jouer la carte d'une altérité bien pensée.

 
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Anika Michalowska

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