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Nathalie Lefebvre du Prey et Luciano Bosio (Figaro et Publiprint). De la modernité du processus à la modernité du contenu

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Le 3 octobre dernier, Le Figaro lançait sa nouvelle formule. Son objectif : lui permettre de redevenir le journal de référence du marché hexagonal. Explications de Luciano Bosio, directeur marketing, études et stratégies de Publiprint, et de Nathalie Lefebvre du Prey, directrice marketing du groupe Figaro.

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Pouvez-vous définir la plate-forme de marque du Figaro aujourd'hui ?

Luciano Bosio : La marque Figaro s'articule autour de trois types de valeurs. Les valeurs de liberté et d'ouverture, liberté de blâmer, de penser ; les valeurs de tradition, la religion, la famille, le patrimoine et sa transmission. Ces valeurs différencient Le Figaro d'un quotidien de rupture comme Libération qui s'inscrit dans la critique, la dérision. Et puis il y a des valeurs plus culturelles, d'hédonisme. Tout en continuant à reposer sur ce trépied, et puisqu'il fallait avec la nouvelle formule provoquer une totale rupture, c'est sur les valeurs d'ouverture que nous allons nous appuyer davantage. Nous voulons rendre accessible le journal à des gens qui pensent qu'il ne l'est pas. Et cela s'inscrit aussi bien dans la forme que dans le contenu, même si le travail sur le contenu n'a pas commencé avec la nouvelle formule. Néanmoins, pour les gens qui n'ont pas l'habitude, changer le packaging a une importance stratégique très grande. Il était donc indispensable de redessiner le journal et de le faire non pas avec quelques ajustements mais de révolutionner la formule dans son aspect extérieur. Dans la campagne de communication, il y a une articulation évidente entre la continuité et la rupture. La campagne télévision s'appuie davantage sur les valeurs insti­tutionnelles, des valeurs de continuité, alors que la campagne presse est beaucoup plus dans la rupture. Nous devons manier le curseur entre stabilité et mouvement. La ligne éditoriale est dans la stabilité, la forme dans le mouvement. Nathalie Lefebvre du Prey : Sur cette question de curseur, nous avons vu à quel point nos lecteurs réguliers et irréguliers, et parti­culièrement ces derniers, étaient prêts à renouveler leur attachement à la marque Figaro. Il y avait une sorte de déficit sur ces codes de modernité, d'ouverture. La campagne travaille aussi auprès de ces lecteurs-là.

Comment reconquérir une cible plus jeune, assez peu lectrice de titres de la PQN ?

LB : Les jeunes Français ne sont pas moins lecteurs de presse quotidienne que les jeunes, en général. Dans le monde, la diffusion de quotidiens progresse uniquement dans deux pays, la Chine et l'Inde, donc dans les pays en développement. Dans les autres pays, elle ne progresse pas, elle défend ses positions, elle migre sur le Web, elle lance des gratuits… En France, peu d'initiatives d'envergure ont été prises dans ce sens, sauf marginalement par quelques titres de presse régionale. Nous, nous raisonnons en termes de marque. Nous avons Le Figaro, et c'est comme cela que nous nous inscrivons sur le long terme. Aujourd'hui, l'expression numéro un de cette marque, c'est le quotidien. Mais, sur le très long terme, le quotidien sera un des porteurs de la marque, qui reste essentiel pour des gens avec un certain type de responsabilité, une certaine position dans la vie économique et sociale, un certain âge… Pour les plus jeunes, la marque passera probablement par le Web. Dans le redéploiement de la marque Figaro, la nouvelle formule du quotidien et celle du site web sont de la même importance même s'ils sont décalés dans le temps. Nous raisonnons en termes de convergence pour la jeunesse. NLdP : On peut ajouter que les magazines du week-end sont une des clés d'entrée dans Le Figaro. Nous avons déjà des différences d'âge notables entre les lecteurs du Figaro Magazine et ceux du quotidien.

La presse étrangère regorge de quotidiens, qui n'ont pas attendu ces derniers mois pour faire ce travail de rénovation. Pourquoi la presse quotidienne française est-elle si frileuse ?

LB : Les entreprises de presse étrangères ont intégré plus lar-gement le marketing au service de l'éditorial parce qu'elles s'intéressent aux lecteurs, parce que ce sont des entreprises de presse conquérantes. Au fil des ans, la France est devenue un pays où les magazines ont pris la main et les quotidiens sont devenus des réserves indiennes dans lesquelles on ne s'intéressait pas forcément aux lecteurs. La vraie rupture avec cette espèce de dérive autiste des quotidiens français, c'est le lancement, il y a deux ans, de la nouvelle formule des Echos. Il a démontré qu'une institution comme Les Echos, qui n'a pas toujours été un journal très moderne, pouvait faire un quotidien économique et financier particulièrement lisible. Tout cela a créé un mouvement, l'arrivée de Nicolas Beytout au Figaro n'est pas un hasard absolu. Il faut des patrons de la rédaction modernes, il faut un management qui impose l'utilisation du marketing, ce qui se passe aujourd'hui chez nous et qui ne se passait pas avant.

Quels sont les outils de pilotage dont vous vous êtes dotés pour suivre la trajectoire du navire amiral ?

NLdP : On a travaillé en grande affinité avec la rédaction. Pour la première fois, les membres de la rédaction sont venus écouter leurs lecteurs et voir comment ils réagissaient à la nouvelle formule mais aussi à quoi ils étaient attachés. Au fur et à mesure des réunions, nous étions de plus en plus nombreux derrière la vitre sans tain. C'est un signe de la curiosité et du changement culturel qui s'est opéré dans la rédaction. Après, au niveau des outils, il s'agit d'outils qualitatifs pour continuer à suivre ce qui va se passer et d'outils quanti. Avant toute cette transformation, nous avons effectué un diagnostic d'image et de notoriété que nous allons suivre régulièrement pour voir, par rapport à nos objectifs, quels sont les points d'image qui évoluent, à quelle vitesse. D'ici à la fin de l'année, nous devons être capables de mesurer les effets de la grande vague promotionnelle qui a suivi le relancement. Nous allons bien évidemment questionner régu­lièrement nos différents lecteurs, réguliers, irréguliers et occasionnels pour essayer de comprendre pourquoi ils ne sont pas toujours venus au titre. LB : Ce processus d'études, et notamment sur sa partie quali­tative, est, selon moi, exemplaire de la modernité du management du Figaro aujourd'hui. J'ai fait beaucoup d'études dans ma vie professionnelle précédente. Il n'était alors pas question que les études soient en accès direct avec la rédaction, que celle-ci soit derrière la vitre sans tain. On ne montrait pas les études aux journalistes, soit parce que l'on considérait que cela pouvait leur faire peur, les déstabiliser, soit parce que l'éditeur voulait les utiliser comme une sorte d'élément de pression, disant à la rédaction “Vous voyez bien que vous êtes à côté des attentes, etc.”. Ici l'ouverture a été immédiate. Idem vis-à-vis de la régie, que l'on exclut sous prétexte qu'elle risque d'avoir des réactions négatives. Dans la plupart des entreprises de presse, les régies n'ont pas accès aux informations. Elles vendent un journal sans connaître la réalité des chiffres. La transparence et l'ouverture absolue du processus éditeur-rédaction-régie constituent donc une vraie première du point de vue de la modernité et, bien évidemment, il y a souvent une relation entre la modernité du processus et la modernité du contenu. Nous avons travaillé en mettant ensemble les différents points de vue et donc les différentes compétences.

Comment le site du titre, aujour-d'hui relativement pauvre, va-t-il s'inscrire dans cette modernité  ?

LB : Aujourd'hui, le site ne vous apporte pas ce complément d'informations et de service qui est le propre du Web, c'est-à-dire le on line. C'est un site off line ! On pourrait se consoler en disant que peu de sites des médias font beaucoup mieux. Là aussi le caractère plutôt arriéré de la compétition n'a pas été un incitateur à l'action. Conclusion, le marché internet français est dominé par les portails américains qui récoltent 90 % des investissements, ce qui n'est pas le cas sur le marché américain. Nous allons donc faire un site web. Après, le contenu commun devra-t-il être de 5 %, de 10 ou de 15 % ? En tout cas, il sera très limité. Il est important que le site reste une vitrine du quotidien, qu'il le serve à travers les abonnements en ligne, la possibilité d'acheter le journal papier, les archives… mais tout cela est secondaire. La priorité, c'est de construire un site basé sur tous les codes de l'interactivité, avec une vraie identité dans l'esprit de la marque Le Figaro. Et qui crée un trafic beaucoup plus important. C'est normal qu'il soit faible aujourd'hui. Si vous allez sur lefigaro.fr à 8 heures du matin et à 18 heures, la différence ne vous saute pas aux yeux ! L'idée, c'est que demain, à 18 heures, vous ne trouviez plus rien de ce que vous aviez lu à 8 heures. Et un site, c'est ça. C'est quelque chose qui vit sa vie propre. Vous avez alors la possi­bilité de recruter des gens plus jeunes autour de la marque et de créer des recettes publicitaires. Dans notre économie à dix ans, le Web sera, relativement au papier, beaucoup plus important qu'il ne l'est aujourd'hui.

La conquête de la province repassera-t-elle par les éditions locales ?

NLdP : Elle passe par l'offre du week-end qui est plus provinciale que l'offre du quotidien seul et également par un changement de l'outil industriel qui nous permettra d'être plus proches et plus rapides et de mieux servir les régions du Sud de la France, et cela nous permettra d'envisager, plus tard, des éditions locales. Nous avons également le portage. C'est un excellent outil de fidélisation du lectorat, notamment en province où les titres de PQR le font. LB : Sur ce point, nous sommes encore en phase de réflexion, il faut bien sûr envisager l'aspect recettes, mais il est évident qu'aujourd'hui le niveau de pénétration de la presse quotidienne française en province est largement en dessous de ce qu'il devrait être. Pourquoi Le Figaro du samedi est-il plus performant en province que celui de la semaine ? Pourquoi La Croix et Les Echos sont-ils des quotidiens nationaux alors que Le Figaro et Le Monde sont des quotidiens parisiens ? Que l'on soit meilleur en Ile-de-France, cela se comprend pour des raisons socio-démographiques, mais ces raisons n'expliquent pas la faiblesse de Lyon ou de Toulouse. Il y a un vrai chantier sur lequel nous devrions avoir de vraies satisfactions dans l'avenir. Nous réfléchissons donc à des solutions pour faire de la PQN autre chose que de la PQP, c'est-à-dire la presse quotidienne parisienne.

Etes-vous favorables à la mesure d'audience des gratuits ?

LB : Depuis le 1er janvier, les gratuits sont étudiés au sein de la mesure d'audience nationale. Nous souhaitons que cette mesure puisse prendre en compte dans l'avenir des éléments du contrat de lecture. Il est important que l'ensemble du marché dispose de données incontestables et reconnues par l'ensemble des acteurs, qui montrent la différence de fonction des titres. La lecture du Monde, du Figaro, de Liberation ou des Echos ne correpondent pas aux mêmes besoins que la lecture de 20 Minutes ou Métro. Si nous sommes les seuls à le dire dans un argumentaire, cela reste un point de vue partial et 20 Minutes peut dire le contraire. J'ai suffisamment fait ce métier dans ma vie pour savoir que l'on peut faire un questionnaire en commençant par les résultats et on remonte en faisant les questions. Il ne faut donc pas faire cela. Il faut faire un questionnaire en commençant par les questions, qui soit accepté par tout le monde et que la mesure d'audience comprenne des éléments plus qualitatifs. Je sais bien qu'un contact est un contact, c'est certain. Néanmoins tout ce qui relève de la fonction du contrat de lecture ne peut pas être défini dans un coin par chacun des éditeurs. Nous voulons faire évoluer la mesure d'audience. TNS Sofres et Ipsos ont présenté au bureau de l'Euro PQN deux projets d'audience qui tentent de répondre à cette problématique. La presse quotidienne nationale est d'accord pour avancer dans cette direction, la PQR ne s'y opposera pas et les gratuits devront discuter avec nous sur ce point.

Parcours. Nathalie Lefebvre du Prey

45 ans, mariée, mère de 3 enfants. Diplômée de l'Edhec. 1981 - 1986 Chef de produit chez BSN. 1986 -2005 Groupe Bayard Presse qu'elle quitte au poste de directrice stratégie marketing du pôle senior (Notre temps, Côté Femmes…). Février 2005 Directrice marketing du Groupe Figaro.

Parcours. Luciano Bosio

52 ans, marié, 1 enfant Docteur en sciences politiques de l'Université de Turin. 1977-1981 Journaliste radio. 1981 - 1988 Ipsos Médias, qu'il quitte au poste de Dg. 1988 - 1995 Directeur général de RCS France. 1996 - 2005 Carat Expert qu'il quitte au poste de Dg. 2005 Directeur marketing, études et stratégies de Publiprint.

Le Figaro

Diffusion 326 690 exemplaires vendus tous les jours (- 2,4 % vs 2003-2004) Source : OJD DSH 2004-2005 Diffusion payée France 550 946 exemplaires le samedi * Source : OJD PV 2004 (*) indice par jour nommé (159 pour le samedi) DFP Audience 1 373 000 lecteurs (+ 5,5 % vs 2003) Source : EuroPQN 2004 LNM 448 000 lecteurs cadres actifs (+ 4,4 % vs 2004) 312 000 dirigeants et cadres (+ 4% vs 2004) 41 000 Pdg, Dg, gérants (+ 2,5 % vs 2004)

 
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Propos recueillis par Rita Mazzoli

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