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Marque & musique, le duo gagnant?

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Alors que les ventes de CD dégringolent, la musique n'a jamais autant attiré les entreprises. Synchronisations publicitaires, partenariats, les marques multiplient les associations avec l'univers musical. Un nouveau modèle économique serait-il en train de se dessiner?

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L'industrie du disque fait face à un véritable chambardement. Les ventes de CD ont chuté de 19,6% au troisième trimestre 2007 par rapport à 2006. Madonna a claqué la porte de sa maison de disques. Prince a offert son dernier album aux lecteurs du Mail on Sunday. Radiohead vend le sien en téléchargement à un prix décidé par l'acheteur. Et Bonux fait cadeau de téléchargements dans ses paquets de lessive...

Emmanuel Mougin-Pivert (Warner Music France 360°):

«Nous sommes en train de vivre une révolution des modèles.»

En 2006, Lenny Kravitz a composé un titre pour la marque Absolut Vodka.

@ Absolut Vodka

En 2006, Lenny Kravitz a composé un titre pour la marque Absolut Vodka.

Pas de doute, le monde de la musique est en pleine mutation, en quête de nouveaux modèles. Comme l'observe The Economiste s'il y a sept ans les musiciens gagnaient deux tiers de leurs revenus grâce aux CD, et un tiers via les tournées, le merchandising et le sponsoring, aujourd'hui le rapport s'est inversé. Thomas Jamet, directeur associé chez ReLoad, estime que bientôt «l'artiste ne vendra plus son CD», ce dernier devenant «sa carte de visite». Les marques se positionneraient alors en véritables partenaires financiers, aussi bien pour les artistes que pour les maisons de disques, compensant la chute des ventes de CD et le manque d'engouement pour le téléchargement payant Elles représenteraient même 25% des revenus des maisons de disques d'ici à trois ans.

Des associations d'images cohérentes

«Les partenariats marque/musique, ce n 'est pas nouveau, mais cela se systématise», observe Emmanuel Mougin-Pivert, directeur général de Warner Music France 360°. Ainsi, Johnny Hallyday s'était affiché dans les publicités pour le café Légal, Vanessa Paradis pour Coco Chanel. Mais ces partenariats tendent à se multiplier et dépassent la simple apparition dans des campagnes de communication. «Nous sommes en train de vivre une révolution des modèles», ajoute Emmanuel Mougin-Pivert. A l'instar des sportifs, les artistes commencent à associer leur image à celle des marques, et inversement. Thomas Jamet souligne: «Le seul moyen pour un artiste de s 'en sortir est dépasser des accords avec des marques, sans pour autant perdre son âme.» Une bonne chose lorsque le partenariat se fait en bonne intelligence et correspond aux valeurs à la fois de l'artiste et de la marque. Il s'agit de ne pas tomber dans les extrêmes. «Attention au risque de cannibalisation de l'artiste par la marque», prévient Borey Sok, consultant et blogueur. Car alors «l'artiste devient l'objet de la marque», voire un homme-sandwich. La chanteuse Rihanna a ainsi prêté son image ou sa voix à une dizaine de produits, comme Venus Gilette, LG Chocolaté, ou les cosmétiques CoverGirl. L'overdose n'est pas loin... Pour que la sauce prenne, la cohérence s'impose. «Gap ne pourra jamais sponsoriser Tokio Hotel», s'amuse Borey Sok, l'univers du groupe de métal allemand ne correspondant pas à celui de la marque de vêtements. Au contraire, lorsque Joss Stone s'associe à Gap, la cohérence existe bel et bien. Et dans ce cas, la marque a tout à y gagner. «Lorsque l'amateur de musique s'identifie à un artiste, s'il y a une association entre une marque et ce dernier, alors il va s'identifier à la marque également», explique Borey Sok. Ainsi, si HP a choisi la chanteuse Gwen Stefani pour en faire l'égérie de sa campagne, c'est pour rajeunir l'image de la marque, confie Roselyne Ludena, responsable marché grand public chez HP. La chanteuse est visible non seulement sur le site de la marque et en affichage, mais a également créé un design, permettant à l'internaute de personnaliser ses impressions.

De même, Coca-Cola Light a retenu Olivia Ruiz pour le parallélisme entre son univers musical et l'idée de légèreté que la marque voulait exprimer à travers sa campagne. Et en cette fin d'année, Dim a également intégré la chanteuse à son programme «Dim Loves Music», mis en avant sur son site. La star y bénéficie d'un espace boutique, sur lequel les clientes peuvent s'offrir, via des preuves d'achat (plus une participation financière), l'album «La femme chocolat», des T-shirts collector ou encore un iPod Nano. La marque organise par ailleurs un jeu permettant aux internautes de remporter des places de concert de Gwen Sterani, Feist, Melissa Mars... Une bonne manière pour elle de tisser une autre forme de relation avec sa cible. Car, comme le souligne Thomas Jamet, «les marques sont en attente de création de liens avec leurs consommateurs. Et la musique leur en apporte».

Guiom Huret (4'33):

«Les consommateurs n'ont pas besoin des marques pour télécharger de la musique.»

Borey Sok:

«Les marques peuvent être une source de revenus non négligeable pour l'artiste.»

La musique, un vecteur universel d'émotions

D'autant qu'elle touche toutes les générations, toutes les nationalités, sans distinction. Et même si ce sont surtout les jeunes qui sont ciblés à travers ces opérations, il ne faut pas oublier que les quadragénaires ont été les premiers à écouter de la musique dans leurs déplacements grâce au walkman. Guiom Huret, fondateur de l'agence 4'33, précise que les plus de 40 ans ont «une culture musicale». Pour eux, «la musique n 'est pas un simple divertissement mais quelque chose d'important». Il observe: «La musique est un langage en soi. Un langage international, universel, intemporel. La musique touche à la fois la raison et lame.» Elle permet donc d'atteindre le consommateur en profondeur à une époque où l'émotion règne en maître sur la société.

«Le son est extrêmement important, précise Olivier Covo, directeur associé de Brandy Sound. Il stimule l'imaginaire via le registre émotionnel.» Apple l'a compris, sortant du secteur peu glamour de l'informatique pour proposer des produits liés à la musique. Outre l'iPod, Apple a su s'entourer dans ses spots TV d'artistes correspondant à sa cible, l'exemple le plus récent étant Feist. «La chanteuse touche complètement la cible de l'iPod Nano: des cadres dynamiques aimant la musique raffinée», ajoute Borey Sok. D'ailleurs, depuis la diffusion des spots publicitaires, elle a vu les ventes de son dernier album «The Reminder» grimper en flèche! Dans l'univers des jeux vidéo, Korn a, quant à lui, composé un single pour le jeu Haze d'Ubisoft, qui servira à la fois de promotion au groupe mais aussi au jeu, une première pour Ubisoft. Christian Salomon, directeur licences monde, affirme que «la chanson sortira et sera promue en tant que single à part entière, et non pas uniquement comme un téléchargement accompagnant le jeu». La marque de papeterie Oxford a, pour sa part, fait connaître le groupe The Do, en choisissant le titre «On my shoulders» pour sa campagne télévisée débutée en juin dernier, bien avant sa sortie officielle en janvier 2008. Une belle promotion pour le groupe! Les synchros mettent non seulement en avant un produit, mais elles placent aussi l'artiste sous les projecteurs.

Michel Gotlib, directeur communication marketing chez Coca-Cola France, décrit le même phénomène d'accélération de vente des morceaux utilisés dans ses créations publicitaires, de Blondie à Jean Roch en passant par Daniel Powter. «L'impact de la musique dans une communication est de l'ordre de 30 à 40%», précise-t-il. Pas étonnant donc que la musique joue un rôle central chez Coca-Cola. Il ajoute: «Nous avons toujours cherché à inscrire la marque dans le quotidien des gens. C'est pourquoi, comme le sport, la musique tient un rôle central dans notre communication (avec le téléchargement légal par un partenariat innovant avec iTunes), la musique et le sport étant les passions préférées du grand public.»

La musique, produit d'appel pour la téléphonie

Les acteurs de la téléphonie mobile ont bien compris comment exploiter le filon. Pour séduire leurs clients, ils misent sur le «petit plus» intégré dans les mobiles, à savoir des titres de musique, qui deviennent alors des produits d'appel pour leur portable. Ainsi Samsung s'est associé à Warner Music France en intégrant le premier album - disque de platine - de Shy'm dans son «musicphone» F210, gagnant en glamour. L'opération a également donné un second souffle à l'album, l'offre étant relayée dans plus de 2000 points de vente, comme l'explique Arnaud Toillon, responsable du développement des services mobiles de Samsung. La marque avait déjà frappé un grand coup en commercialisant sur mobile l'album «Celebrate» de Marc Cerrone, avant même sa sortie dans les bacs. Résultat: l'artiste a remporté le premier disque d'or mobile, avec 75000 albums vendus via les coffrets Samsung/Bouygues Telecom. Une véritable révolution dans l'univers musical! «Nous n'avons pas l'ambition d'être en concurrence avec la Fnac ou Virgin», rétorque Arnaud Toillon. Il n'en reste pas moins que Samsung entend être de plus en plus actif sur la musique et a, de fait, créé un nouveau circuit de distribution de la musique!

Nokia souhaite, quant à lui, d'une part asseoir son image auprès des jeunes à travers ses associations avec des artistes connus comme Mika et Justice et, d'autre part, accompagner et promouvoir des artistes débutants à travers l'organisation de concerts dotés d'une tête d'affiche, à l'instar de Will I Am, chanteur leader des Black Eyed Peas. En outre, Eric Meunier, manager pour Nokia Music France, indique que Nokia Music Store, un service de téléchargement légal de musique, devrait voir le jour en France au premier semestre 2008. Motorola, en revanche, se positionne uniquement comme un «mécène d'artistes émergents», explique Sébastien Girard, directeur marketing Motorola France. A travers MyMotoMusic, Motorola s'associe à de nouveaux talents, comme les Plasticines, les Fluokids, et dernièrement Yelle, via la programmation de concerts relayés dans les médias et des mobiles en série limitée. «Nous ne concurrençons pas la création musicale, mais nous réalisons un travail en bonne intelligence pour que chacun s'y retrouve», note Sébastien Girard. L'idée étant aussi de créer une communauté fidèle qui fasse du buzz autour de la marque, et d'acquérir une meilleure connaissance du consommateur.

Arnaud Toillon (Samsung):

«Nous n'avons pas l'ambition d'être en concurrence avec la Fnac ou Virgin.»

Les marques, de nouveaux mécènes?

Cette stratégie de mécénat, Coca-Cola la connaît bien. Le groupe s'est en effet investi depuis longtemps dans la découverte de nouveaux talents, l'opération la plus récente étant «Talents Coke» cet été. «Notre rôle n'est pas de produire des spectacles, ni d'être un label, précise Michel Gotlib. Mais nous utilisons notre notoriété pour la mettre au service déjeunes talents.» Ainsi, dès 1988, Coca-Cola était partenaire des Francofolies de La Rochelle. Depuis, la marque multiplie les partenariats aussi bien avec des maisons de disques et des médias, qu'avec des salles comme l'Olympia ou le Zénith, et des festivals. Michel Gotlib explique: «Nous sommes un trait d'union entre le public le plus large et les jeunes talents. Nous faisons découvrir des talents, que l'on ne connaîtrait pas autrement.» Le mécénat reviendrait-il à la mode? Ce serait bien possible. Car, pour Borey Sok, «si la marque donne les moyens à un artiste d'émerger, cet artiste sera la personne la plus légitime pour faire passer le message de la marque». Les marques pourraient même servir de labels, que l'on reconnaîtrait pour avoir lancé tel chanteur. «La première marque qui deviendra une espèce de label indépendant, qui lancera un artiste, fera beaucoup de bruit», prévoit-il. Intel serait-il déjà sur la voie? En effet, son opération Intel Power Music permet d'élire, sur MySpace, les groupes qui auront la chance de rencontrer un directeur artistique d'Universal Music. Nature & Découvertes et Starbucks ont par ailleurs toutes deux créé leur propre label, respectivement Vox Terrae et Hear Music. Et Olivier Covo prédit que d'autres marques développeront de la musique en magasin d'ici un ou deux ans. Mais qu'est-ce que cela leur rapportera concrètement? Tout simplement de l'influence.

En effet, «ce qui intéresse les marques, c'est que la musique soit l'un des seuls types d'art à dessiner des vraies tendances dans la société, à avoir un impact fort sur les comportements, souligne Borey Sok. Woodstock, le phénomène punk, le hip-hop, sont des mouvements qui ont bouleversé le mode de consommation des personnes, de leur manière de s'habiller jusqu'à leur manière de s'alimenter.» La musique ayant une influence de taille sur la société et la consommation, pas étonnant que les marques s'y intéressent! Il poursuit: «L'artiste le plus intéressant pour la marque serait quelqu'un qui soit à la pointe des nouvelles tendances, qui soit même déjà la tendance de demain.» Il revient donc aux marques de dénicher les artistes en avance sur leur temps pour les accompagner dans leur développement et devenir leur mécène. Car alors, elles n'auront pas lancé un simple produit ou service ni amélioré leur image, mais auront été à l'origine d'une tendance.

Une autre question reste à soulever: l'industrie du disque ne risque-t-elle pas d'être mise à l'écart, supplantée par les marques? Les artistes hésitent en effet entre deux modèles: soit se passer des maisons de disques, à l'image de Madonna qui a quitté Warner Music pour live Nation, promoteur de concerts, soit signer avec une maison de disques un contrat 360°. A l'instar de Korn qui vient de conclure avec EMI un accord global incluant l'ensemble de ses revenus. Une voie sur laquelle Warner s'est également avancée avec la création d'une division 360°, supervisant «les activités de licensing, merchandising, premiums, synchronisations, contenus vidéo, supports numériques et interactifs, spectacle vivant, sponsoring et partenariat avec les marques». A une époque où les concerts et les produits dérivés rapportent plus que la vente d'albums, cette initiative répond à l'urgence de s'adapter à une nouvelle ère musicale, où les artistes ne peuvent plus faire seulement de la musique, mais doivent aussi monétiser tout un univers autour d'eux, allant du merchandising au relationnel avec les fans.

Un artiste pensé comme un univers global

L'idée de créer des packs tout compris incluant l'écoute et le téléchargement de titres musicaux et l'accès direct à des contenus exclusifs pourrait bien prédominer. The Who s'est en tout cas lancé dans l'aventure avec un abonnement de 50 $ par an. Un artiste doit être pensé comme «un univers global». Emmanuel Mougin-Pivert l'a bien compris. Ainsi Warner Music a sorti ce mois-ci un nouveau format, baptisé ArtistBox, incluant le CD et des produits de merchandising, tels des stickers, des calendriers, des bracelets et des tours de cou. Il se plaît également à imaginer une carte bleue aux couleurs d'un style musical.

Guiom Huret estime quant à lui que les constructeurs automobiles devraient fortement réfléchir à développer leurs liens avec cet univers, la voiture représentant un des premiers lieux d'écoute de musique. «R reste plein de choses à inventer aujourd'hui», ajoute Emmanuel Mougin-Pivert, plein d'optimisme. Et les marques pourraient bien représenter une des clés de la réussite, en payant la musique à la place des utilisateurs, ou encore en promouvant des artistes.

Pour Didier Semah, directeur du développement digital d'Universal Music France, les partenariats avec les marques constituent une chance, car «c'est un moyen de monétiser la musique dans une situation difficile». Néanmoins, Olivier Covo prévient «qu'il y a plein de choses à faire, mais il ne faut pas faire n'importe quoi Le but n'est pas de gagner de l'argent, mais de servir à la fois la marque et l'artiste». Toutefois, si les marques disposent de moyens suffisants pour financer intégralement un artiste, il sera évident que l'artiste en question pourra se passer de labels, devenant de plus en plus une marque en lui-même. A l'instar de ce qui a lieu dans l'univers du hip-hop. Le rappeur Jay-Z a ainsi créé sa propre ligne de vêtements, qu'il a ensuite revendue 145 millions d'euros...

Alors, forcément, on pourra regretter cette assimilation de la musique à l'univers de la grande consommation. La musique ne devrait pas être considérée comme un produit de consommation lamda. Laissons donc aux artistes, aux maisons de disques et aux marques un temps de réflexion pour créer ensemble - ou pas - un nouveau modèle économique qui permette avant tout aux musiciens et aux chanteurs de s'exprimer librement, et de pouvoir vivre de leur passion.

Sur ce sujet, lisez aussi
- La musique fait sa révolution. (MM 107, octobre 2006)
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AURELIE CHARPENTIER

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