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Les nouvelles gaie tés du marketing...

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Les anciennes normes volent en éclats. Les oppositions entre masculin-féminin, homosexuel-hétérosexuel vont rejoindre les vieilles lunes. Cet univers de turbulences et de pertes de repères marque l'avènement de l'individualisme et des vies choisies. Les gays et leur mode de vie seraient-ils l'avenir d'un nouveau marketing ?

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«Etre gay aujourd'hui, est une expérience collective sans précédent. Pour la première fois dans l'histoire, les homosexuels forment une communauté fondée non plus sur la honte et l'isolement, mais sur la fierté et la coopération », écrit Marina Castaneda dans Comprendre l'homosexualité *. Ainsi, la fin du siècle aura bouleversé l'aventure humaine comme jamais. L'ordre naturel symbolique, prééminence du masculin sur le féminin, phallocentrisme, norme hétérosexuelle, n'est plus une fatalité. Comme l'explique la psychiatre-psychanalyste Francine Klein : « Les hommes tendres ont longtemps été considérés comme efféminés. La différenciation entre les sexes et les générations était imposée comme un carcan de signes. Cette époque très machiste n'est pas encore très loin derrière nous. Car les pouvoirs en place ont peur de perdre leurs privilèges. Mais c'est nier la bisexualité présente en tout homme et en toute femme. » Dans ce contexte, qu'en est-il du marketing gay, un passage obligé pour un libre commerce débarrassé de ses idées reçues, une Arlésienne déguisée en drag-queen ou, ni plus ni moins, un marché comme un autre ? Pour Henri Maurel, président de radio Fréquence Gay, « les annonceurs ont encore souvent peur du qu'en dira-t-on. Ils s'inquiètent des réactions du voisin refoulé, de la concierge hystérique, des bigots en tout genre. Ils privilégient la fantasmatique et l'imaginaire plutôt que l'approche rationnelle et les règles de base du marketing. Aux Etats-Unis, le ministère du Tourisme n'hésite pas à promouvoir l'image de l'homosexualité pour enrichir la balance commerciale. Ils n'ont pas d'états d'âme pseudo-moraux. Ils appliquent le b.a. BA des règles du marketing qui consiste à créer une communication vers ses clients en fonction de son produit. »

L'obstacle du porno-business ?


Mais la méfiance n'est-elle pas justifiée par l'ampleur du porno-business qui constitue une ressource importante des médias gay ? Effectivement, les supports traditionnels éprouvent des difficultés à s'affranchir de l'omniprésence de la pornographie. « Mais le sexe n'est plus aussi obsessionnel. Ce sont les styles de vie, les valeurs communes aux différentes générations qui prévalent. Les individus se déterminent moins en fonction d'une nomenclature sexuelle. Ce terrorisme de l'identification sexuelle a vécu », ajoute Henri Maurel. Un point de vue que partage Jacky Fougeray, directeur de la publication Illico, bimensuel gratuit distribué dans les établissements gays. Sa nouvelle formule reflète un esprit transversal. Elle s'attache plus largement à l'actualité politique, culturelle, sociale, modes de vie et sciences humaines. « Le marketing gay est une notion anglo-saxonne. La France ne fonctionne pas encore sur des cibles communautaires. Elle privilégie le modèle intégrationniste qui consiste à dire : "En utilisant des outils de masse, nous touchons tout le monde. Si nous tenons compte de spécificités, nous prenons un risque. Cet étiquetage peut nous faire perdre des consommateurs." » C'est ce type de problème d'évaluation que se posent les responsables marketing. La prudence ou la réticence des professionnels du marketing peut aussi s'expliquer par la difficulté à appréhender la communauté homosexuelle. Il est interdit de constituer des fichiers qui font état des préférences sexuelles. Il faut donc se fonder sur des conjectures vis-à-vis du nombre d'individus ayant des relations avec une personne du même sexe. « Nous disposons d'éléments précis sur notre lectorat qui permettent de cibler les gays sans tomber dans le piège des représentations et des clichés, commente Emmanuel Hochedé, responsable commercial de Têtu, magazine mensuel gay et lesbien. En général, les annonceurs incluent Têtu dans leur plan média masculin. Car les divergences d'attente entre filles et garçons sont importantes. Chez les garçons, les signes d'extériorisation et de ralliement sont plus visibles. Nous tirons à 28 000 exemplaires pour une lecture moyenne de quatre personnes. Nous considérons nos lecteurs comme des prescripteurs et des leaders d'opinion. Têtu est un référent en matière de médias qui facilite la diffusion de l'innovation. De plus, la publicité dans le magazine est encore considérée comme un geste citoyen de la part des entreprises vis-à-vis des ostracismes des périodes précédentes. Mais il existe encore des chasses gardées comme l'automobile et la banque. Par contre, les secteurs de la nouvelle économie n'ont pas les mêmes hésitations. Il est vrai que les gays sont mieux équipés et plus sensibles à la modernité et l'innovation. » Mais le discours rationnel sur le marketing ne suffit pas à expliquer la situation en France. Souvenons-nous des fantasmes de comédie de boulevard dont les politiques nous ont généreusement divertis lors du vote du Pacs. Preuve supplémentaire, s'il en était besoin, de l'existence et du pouvoir de l'inconscient ! C'est ce que confirme BSP, institut d'études de marché qui a réalisé, voici quatre ans, un outil de réflexion multiclient sur 1 200 gays et lesbiennes. « Moi, je n'en suis pas ! Je ne fais pas partie de ce monde-là. Telles sont les craintes des responsables marketing. Ils ont peur des réactions de la ménagère. Nous leur disons : intéressez-vous plutôt à vos clients, à leur mode de vie et à leurs habitudes de consommation. Soyez plus ludiques dans votre approche ! »

L'adieu aux normes ?


Les mentalités, bon gré mal gré, vont subir de profondes transformations avec l'avènement de l'individu-roi. Les responsables marketing vont devoir naviguer dans des réseaux complexes. L'observation de l'évolution des comportements des homosexuels ne pourra que les aider à se diriger avec souplesse. « Libres, dans la plupart des cas, des responsabilités traditionnelles du mariage et de la famille, les homosexuels peuvent réinventer continuellement leur style de vie et renégocier les règles de leurs relations, affirme Marina Castaneda *. Et c'est cela aussi qui permet aux homosexuels d'aujourd'hui de proposer des visions alternatives de la société et de faire l'expérience de nouvelles modalités, dans l'amour et la sexualité, l'amitié et la famille. Les homosexuels se trouvent à l'intersection des deux sexes : non pas parce qu'ils sont des "hermaphrodites psychiques" ou des êtres bisexués, mais parce qu'ils sont affranchis des limites, de plus en plus évidentes, des rôles masculin et féminin. » S'affranchir des visions passéistes permettra sans doute de vivre dans une économie plus ga... dans tous les sens du terme. * Voir repères bibliographiques

Les nouvelles identités à l'oeuvre


Sociologue, chargé de recherche au CERLIS (Centre de recherche sur les liens sociaux, laboratoire de sciences humaines du CNRS), Jean-Claude Kaufmann* prépare actuellement un essai sur l'individu contemporain. Réflexions préliminaires.

Face au déferlement de fantasmes d'un autre âge de la classe politique, qu'est-ce qui a vraiment changé dans les relations entre les individus ?


Alors que dans la rencontre traditionnelle, l'homme reste dominateur et que l'univers domestique facilite l'obéissance des femmes, il est dorénavant accepté que les vies privées prennent des formes multiples et changeantes. Le Pacs s'inscrit dans ce mouvement de remise en cause du couple au bénéfice d'associations, de formes conjugales diverses, passagères, de séquences légères. Le désir et l'envie de couple se conçoivent à condition de rester soi-même et d'en maîtriser les engagements. L'authenticité prend le pas sur la durabilité.

Alors fini le rose pour les filles et le bleu pour les garçons ?


Effectivement, les valeurs du masculin et du féminin sont de plus en plus diffuses. Dorénavant, les individus inventent et choisissent leur propre vie. C'est un mouvement à long terme, ce qui entraîne des bégaiements, des réinstallations des frontières de l'identité, bref, des petits retours en arrière sous l'emprise d'angoisses et de frilosités.

Les études de tendances sont-elles fiables?


La résistance au changement campe sur ses positions et l'entreprise, bridée dans sa logique de production, ne se montre pas très entreprenante. Mais nous assistons au développement d'une communication diversifiée et intelligente qui se préoccupe de connaissances socio-esthétiques. Auparavant, les chercheurs en sciences humaines étaient rejetés car ils représentaient la complexité. Or, c'est cette complexité même à laquelle les industriels doivent faire face. Les tendances sont à bout de souffle. Dans l'état actuel de leur développement, les sciences humaines et de la société ne peuvent combler toutes les attentes, mais donner un cadre et amener des éléments fondamentaux sur, par exemple, le fonctionnement-réseau de l'individu contemporain sur lequel je travaille.

Un libéral-libertin chef du Rayon Gay


Ancien haut fonctionnaire, Guillaume Dustan cultive le franc-parler. Ecrivain *, "libéral-libertin" comme il se proclame lui-même, il dirige la collection Le Rayon aux éditions Balland, seul grand éditeur à s'adresser ouvertement aux homosexuels. Le Rayon, tout en conservant la publication de ses textes orientés sexe, se dédouble avec une nouvelle collection baptisée Modernes, regroupant documents, essais, biographies et enquêtes. Guillaume Dustan brosse en version "speed" sa vision de l'homosexualité dans la société. « En France, il n'y a pas de culture gay mais une tradition homosexuelle bourgeoise de droite. Cette homosexualité décorative a fait le bonheur des salons et perdure. Il n'y a pas de culture homosexuelle populaire. Je pense que la "camionneuse" est l'avenir de l'homme comme de la femme. Actuellement, la scène homosexuelle se partage le combat entre la folle et le modèle viriloïde. De l'individualisme poussé à son comble surgira une nouvelle forme de société. Le plus important me semble d'assister à la destruction de la famille dans sa forme historique, morale et religieuse. Cette lutte contre les modèles autoritaires consacrera le droit des enfants. Dans la collection Modernes, je m'adresse au grand public et propose des réflexions de gauche face à tous ces partis qui nous infligent une parité en tailleur Chanel. »

Repères bibliographiques


Le Coeur à l'ouvrage, théorie de l'action ménagère, La Femme seule et le prince charmant, enquête sur la vie en solo de Jean-Claude Kaufmann aux Editions Nathan. Comprendre l'homosexualité de Marina Castaneda aux Editions Odile Jacob. Les Quatre femmes de Dieu, la putain, la sorcière & Bécassine de Guy Betchel aux Editions Plon. Le Pacs entre haine et amour de Roselyne Bachelot aux Editions Plon. Le Rose et le Noir, les homosexuels en France depuis 1968 par Frédéric Martel aux Editions du Seuil.

 
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