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Les magazines féminins font-ils évoluer l'image des femmes ?

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Les féminins, hier relais de l'évolution des droits des femmes, ont subi le discrédit jeté sur le féminisme suractif des années 70. Aujourd'hui, certains tentent de faire naître un nouvel esprit revendicatif. Mais la façon dont on représente les femmes peine à sortir de l'icône rétrograde de celles "qui en ont obtenu bien assez"...

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Janvier 2000. Que trouve-t-on à la Une des magazines féminins pour entamer cette année de tous les changements ? Presque partout des horoscopes, et une série de propositions dont le florilège pourrait être, en vrac : "Devenir une vraie blonde", "Stage : optimisez votre vie sexuelle", "Comment réparer un homme", "Couple : comment bien se disputer"... Bien sûr, il s'agit là d'un florilège sarcastique, certains articles méritant parfois que l'on s'y attarde. Mais le jeu des contrastes aboutit à une sorte de médiocrité dorée. Quand l'un de ces magazines entame un débat édifiant avec "La première charte de vos droits sexuels", l'intérêt est neutralisé par l'accroche suivante qui propose de "Coucher avec un homme sans qu'il s'en aperçoive"... La société se féminise, c'est un fait et c'est une juste évolution. Mais à quoi ressemble au juste cette femme du XXIe siècle ? Reine de l'astrologie, championne de l'exotisme sexuel, maîtresse ès poses de vernis à ongles et choix de tenues affriolantes... ? Sylvie Debras, auteur avec trois autres journalistes, de "Dites-le avec les femmes - le sexisme ordinaire dans les médias"*, dans une étude réalisée auprès de 160 femmes, a identifié un décalage entre ce qu'elles attendent et ce qui leur est offert. En majorité, elles déclarent lire toujours dans un féminin, les rubriques "santé" (57 %), "enfance-éducation" (55 %), "actualités" (53 %), beauté (52 %) et cuisine (52 %). La mode n'arrive qu'en dixième position, citée seulement par 44 % des femmes. « Cela ne correspond pas à la structure des magazines qui, pour la plupart, donnent la priorité à la mode avec 18,36 % de la pagination dans les 20 journaux féminins les plus lus », note Sylvie Debras. Et d'ajouter : « Le problème est que les sommaires de ces magazines sont faits avant tout pour les annonceurs, par des journalistes féminines qui ne peuvent pas cracher dans les mains qui les font vivre ». 60/40 est la proportion moyenne entre rédactionnel et publicité. Un tiers des femmes interrogées déplorent cette omniprésence. Ces décalages entre offre et demande s'expriment paradoxalement dans une période où la presse féminine ne s'est jamais aussi bien portée et où 45 % des femmes lisent régulièrement un magazine féminin. Cela s'expliquerait par le fait que les femmes rejettent le sexisme insidieux qui sévit partout ailleurs dans la presse. Comme l'explique Monique Trancart*, « dans le Nouvel Observateur du 30 juillet 1998, figure de la première à la dernière page en illustration, 73 hommes et 39 femmes (...). Parmi elles, trois sont nues et une autre en maillot de bain, juchée sur des patins à roulettes. Le supplément télévision montre une autre femme déshabillée sur la couverture. Trouve-t-on des hommes dans cette tenue ? Non ». Dans les magazines féminins, au contraire, des femmes parlent de femmes aux femmes. Il y a une complicité implicite. « Même si ces journaux montrent une femme objet, superficielle, infantile, voire niaise, ils donnent la parole aux femmes, ce qui n'est pas le cas ailleurs », analyse Sylvie Debras.

Féminisme : combat d'arrière-garde ?


Mais, et c'est bien là que le collant blesse, l'image des femmes est dans une impasse. La poussée du MLF a permis des avancées majeures. Elle a aussi exacerbé le machisme. Résultat aujourd'hui, le "féminisme", même pour de nombreuses femmes, fait figure de combat d'arrière-garde. L'accession de nombreuses femmes à des postes à responsabilités, à de hautes fonctions politiques, a permis d'amortir la poussée féministe. Comme le souligne Clémentine Autain, coprésidente de l'association Mix-Cité qui milite pour une véritable égalité homme/femme, « rien de tel pour neutraliser le désir de lutter que de faire croire aux femmes qu'elles sont fortes ». Les femmes françaises ont obtenu le droit de vote et d'éligibilité (1944), le droit d'exercer une activité professionnelle sans le consentement du mari (1965), le droit à l'IVG (1975) ; en 1983 a été votée une loi sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. Des progrès majeurs qui auraient dû faire évoluer l'image des femmes. Force est de constater, dans la presse féminine notamment, que cette fin de siècle est plutôt régressive, ou en tous les cas stoppée dans sa volonté de changements. Les femmes, qui estiment que le combat vers l'égalité est terminé, font du mal aux femmes. La presse féminine, de fiches cuisine en conseils sur la vie conjugale, cantonne insidieusement les femmes dans leur rôle. Cette phase régressive, Sylvie Debras l'explique par le fait que les femmes ne semblent revendiquer qu'en périodes prospères. « En tant de guerre ou de crise, elles resserrent les rangs avec les hommes. Pour une femme, chez qui les valeurs d'entraide et de partage sont plus développées que chez les hommes, l'intérêt collectif prime toujours sur ses intérêts personnels. »

Le jeunismejusqu'à l'écoeurement


Dans la presse féminine, les tentatives pour sortir de ce ghetto de la pensée et du vocabulaire existent. Mais les positions sont aussi ambiguës que le nouveau débat à mener est flou. « 90 % des tâches ménagères sont gérées par les femmes, on le dit dans le magazine », affirme Sylvie Overnoy, rédactrice en chef adjoint de Cosmopolitan, qui revendique en même temps un droit à la futilité. Mais le ton Cosmo n'est-il pas plus un exutoire qu'une vraie prise de position ? Chez Marie-Claire, Tina Kieffer, directrice de la rédaction, estime qu'il y a à nouveau une attente sur les problèmes féministes. Mais que ce féminisme est « à réinventer »**. Pas de compromis pour la rédaction de ce féminin détenu à 41 % par L'Oréal et par là même par Madame de Bétencourt. « Il n'y a aucun lien entre les demandes des annonceurs et le sommaire, affirme Tina Kieffer. On nous reproche même d'être dures, d'aborder des sujets "hard". Mais la société ne va pas très bien et l'on doit aussi s'en faire l'écho. Ce n'est pas parce qu'on est un magazine féminin que l'on doit peindre la vie en rose. » Par le passé, les annonceurs semblaient craindre qu'une presse féminine moins édulcorée n'effraye les lectrices. « Le combat féministe n'est plus un problème de femmes, mais un problème de société. » Contrairement à la vision de Sylvie Debras, Tina Kieffer nie tout décalage entre les attentes des lectrices et ce qu'on leur propose. En ce qui concerne la pub, elle estime qu'il s'agit d'une image sublimée que les lectrices apprécient. « Le décalage réside dans la maigreur et le jeunisme insupportable que nous imposent photographes et stylistes. » Les adolescentes anorexiques et blafardes des magazines véhiculent "un mal-être et une immaturité" en opposition avec ce qu'attendent ses lectrices. « La mode offre clairement une vision décalée surtout lorsque pour le printemps nous préparons un Spécial Mincir sous l'angle "Mincir, oui mais pas trop" », poursuit Tina Kieffer. Or la mode, entre dossiers et publicité, constitue l'essentiel des journaux féminins. Il est donc clair que l'évolution de l'image des femmes passera aussi par l'évolution des représentations que l'on donne à voir. * "Dites-le avec des femmes - Le sexisme ordinaire dans les médias", de Virginie Barré, Sylvie Debras, Natacha Henry et Monique Trancart, édité par le CFD et l'AFJ. ** Dans un article paru dans Marie-Claire de janvier 2000, intitulé "Faut-il réinventer le féminisme ?".

Laurence Bernheim, directrice des études du pôle féminin d'Interdeco : "Les féminins accompagnent les femmes sur des chemins plus pacificateurs."


« A leur naissance, les magazines féminins tels que Marie-Claire (54) ou Elle (55), ont accompagné l'évolution des femmes. En 1973, Cosmo, qui reprenait un concept américain a introduit l'humour. Les années 80 ont vu l'arrivée de Biba, qui revendiquait trois femmes en une : la mère, la femme, la responsable du foyer. Chacune de ces étapes a aidé les femmes à s'émanciper. Aujourd'hui, les combats ont changé. Il s'agit plus de rester en état de veille, comme sur les problèmes des femmes afghanes, par exemple. On est moins focalisé sur les droits des femmes que sur des faits ponctuels. Cela change l'image des femmes de façon plus ténue mais la vigilance subsiste. Il n'y a plus de grande révolution, mais les magazines ont ouvert la voie et accompagnent les femmes sur des chemins plus pacificateurs. On a tendance à dire qu'ils véhiculent une image régressive, qu'ils poussent les femmes à la solitude. Mais je ne crois pas. C'est un savant dosage qui représente assez bien l'idée de la vie. Grave et ludique. Pour les femmes, même s'il est vrai que l'on nous a "collé" la parité, qui est une avancée maladroite, même si elle est artificielle, opportuniste et assez clientéliste, on peut tout de même considérer que l'on avance. »

 
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Valérie Mitteaux

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