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Le marketing a t'il un sexe ?

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« Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus », la formule de John Gray pour insister sur les différences entre les sexes a fait florès depuis la parution de son bestseller. Pourtant, son dérivé, le “gender marketing”, peine à s'installer en France. À tort.

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À l'heure où l'on débat tout à la fois du brouillage des genres, de la mixité ou de la re-différenciation des sexes, où l'on raisonne de plus en plus par génération ou par tribus, le marketing du genre a-t-il encore un sens ? « Oui », répondent en cœur Babette Leforestier, directrice du pôle TNS Media Intelligence, et Élisabeth Tissier Desbordes, directrice du département marketing de l'ESCP-EAP. Une segmentation qui, si elle doit être affinée, se justifie d'abord d'un point de vue démographique. « Le sacro-saint couple de jeunes actifs urbains avec deux enfants, cœur de cible privilégié des marques, ne correspond plus, loin s'en faut, à une généralité démographique », écrit ainsi Babette Leforestier en préambule du Marketing Book masculin/ féminin, premier du genre édité fin 2005. Aujourd'hui, ce type de famille ne représente plus que 12,5 % des foyers, tandis que la France compte 19,2 % de femmes seules et 12,7 % d'hommes seuls. « Les marques négligent ces populations, insiste-t-elle.
Par exemple, la cible masculine est oubliée dans la distribution et l'on ne prend pas en compte la réalité des familles monoparentales. » L'intérêt du “gender marketing” réside également dans les différences de pratiques de consommation entre les sexes. Pour le choix d'un produit, les hommes seraient plus sensibles aux qualités techniques, quand les femmes étudieraient une pluralité de critères plus ou moins objectifs. Sur le lieu de vente, ces dernières sont davantage sujettes à l'achat d'impulsion que les hommes, notamment du fait de leur “expérience” du shopping, selon une étude américaine.

Les hommes, en revanche, rechignent à passer du temps dans les rayons, sont peu enclins à écouter les conseils d'un vendeur (exceptés les plus de 50 ans), et vont directement acheter ce dont ils ont besoin. Fin 2000, une étude Ipsos/BBDO Corporate montrait pourtant que si 65 % des entreprises interrogées avaient conscience de ces différences de comportements selon les sexes, seuls 27 % d'entre elles s'étaient finalement adressées, de manière spécifique, à l'un ou l'autre genre. Les campagnes différenciées pour un même produit, à l'image de ce qu'avait réalisé Renault sur le Net en 2002 pour la Twingo en proposant un psychotest pour les femmes et un tunning virtuel pour les hommes, sont rares.

Pourtant, au-delà de la création d'un produit spécifique, on ne communique pas de la même façon envers les hommes et les femmes. Le secteur des cosmétiques en est une bonne illustration. « Pendant longtemps on a voulu vendre aux hommes des cosmétiques comme on les vendait aux femmes », explique Élisabeth Tissier-Desbordes. Les premières années, le secteur qui communiquait sur l'aspect beauté a eu du mal à décoller jusqu'à ce que Nivea for men, aujourd'hui leader du marché des soins en GSA, développe un discours autour du soin, avec des promesses de praticité et de rapidité, plus en phase avec les valeurs masculines.
Selon Margaret Hogg, professeur de marketing à l'université de Lancaster (Grande-Bretagne), les consommateurs attribuent un genre aux produits même si, dans certains cas, des individus peuvent adopter des comportements ou acheter des produits généralement dédiés à l'autre genre. Un phénomène surtout observé chez les femmes, car les hommes, eux, rechigneraient davantage à s'approprier un produit attribué à l'autre sexe.

C'est en partie ce qui a motivé Coca-Cola à lancer dans plusieurs pays le Coca-Cola Zero. Dérivé du Diet Coke délaissé par les hommes en raison de sa forte connotation féminine, il a le goût du Coca-Cola classique, mais sans les calories. Une nuance qui fait toute la différence pour la gent masculine, plus convaincue par le design mâle de la canette, où le rouge cède la place au noir, et par une campagne plutôt caustique.

Attirer l'autre sexe

Mais, petit à petit, les frontières se brouillent, les femmes prennent des cours de bricolage et les hommes s'initient à la cuisine. De nouveaux comportements, décomplexés, qui autorisent les marques à élargir leur cible première à l'autre sexe, à l'image du vaisselier Geneviève Lethu. « Les hommes s'intéressent de plus en plus aux choses de la maison et aiment se mettre aux fourneaux dans les grandes occasions. Ils souhaitent donc avoir leur mot à dire lors des achats de ce type.

En outre, on voit de plus en plus d'hommes vivre seuls dans les grandes villes », argumente Edmond Kassapian, P-dg de l'enseigne. Pour le moment, il s'agit d'une cible niche, qui représente moins de 10 % de la clientèle. Mais la marque développe depuis 2005 une gamme qui leur est destinée, aux tons plus sobres et profonds, aux matériaux plus bruts et aux formes contemporaines, explicitement dénommée “HAT” pour “Homme à table”. Un succès qui a appelé une suite, “Idalgo”, pour 2007.

Pour autant, il n'est pas aisé de faire un tel virage lorsque l'on est une marque si fortement connotée féminine. C'est donc discrètement que Geneviève Lethu fait la promotion de cette gamme : pas de merchandising spécifiquement mâle, seul le personnel a été formé pour sensibiliser les hommes aux arts de la table, en douceur.

D'autres secteurs, jusque-là davantage tournés vers leur clientèle masculine, comme le sport ou l'automobile, lorgnent eux aussi du côté du sexe opposé. Les équipementiers sportifs qui semblaient ignorer les attentes des femmes en la matière ont enfin développé des collections adaptées à leur morphologie et pratiques quand le secteur de l'automobile ne peut décidément plus oublier que la moitié de ses clients sont des femmes.

Comment alors séduire cette cible ? Ses attentes diffèrent-elles vraiment de celles des hommes ? Au début des années 2000, Volvo avait lancé une expérience inédite : un concept-car réalisé par une équipe exclusivement féminine. Sa cible ? la femme active indépendante. Le résultat final avait alors surpris par son allure assez masculine. La différence résidait en fait dans les détails : rangements astucieux, maintenance réduite et facilité de manœuvre. « Les attentes des femmes sont plus complémentaires que différentes de celles des hommes », précise Valérie Depincé, manager publicité, promotion et événement pour Nissan.

Ce qui peut changer, par exemple, c'est la façon de communiquer sur le produit. Ainsi, la Micra, qui n'avait été pensée ni par, ni pour les femmes, a d'emblée séduit cette cible lors de sa sortie en France et est aujourd'hui achetée à 80 % par des femmes… La campagne, qui avait d'abord été axée de façon neutre sur le côté urbain de la petite voiture, a donc rapidement pris des tonalités féminines. Le mini-site Micra, en ligne depuis quelques semaines, est particulièrement représentatif de cette stratégie.

Reprenant une idée déjà explorée avec succès par Renault pour sa Modus, le site nous plonge dans l'univers d'un magazine féminin et publie les témoignages de cinq femmes racontant leur vie avec leurs Micra respectives. La voiture perd alors sa connotation masculine : ici pas de focalisation sur la puissance mais sur le côté pratique, émotionnel du véhicule.

Vers une segmentation par genre ?

Certains secteurs, a priori “neutres”, ont eux aussi investi le créneau. Après la Compagnie des femmes qui propose, depuis 1997, des contrats d'assurances spécifiques, GE Money Bank cible les mères qui élèvent seules leurs enfants. « Nous avons mené une enquête qui montre qu'elles ont un budget limité. En outre, elles ont plus difficilement accès au crédit et trouvent que les offres sont mal adaptées à leur situation », détaille Patrick Berchot, directeur général de GE Money Bank financement auto et moto. Des offres taillées sur mesure ont donc été lancées, d'abord pour l'immobilier, puis pour les véhicules. Les appareils technologiques n'échappent pas à la tendance.

Avec raison, selon Élisabeth Tissier- Desbordes : « Sur les produits techniques et sur lesquels le design est important, les fabricants ont intérêt à envisager le genre comme segmentation. Souvent, les produits ont été conçus par des techniciens qui mettent en avant le côté technique de l'objet. Or la plupart des femmes privilégient l'esthétique et la simplicité. » Certains l'ont bien compris.

En 2002, Samsung lançait son SGH A400. Le design du portable évoquait celui d'un poudrier, et, dans un menu “santé”, les utilisatrices pouvaient calculer leur poids en fonction de leur taille, leur biorythme, les calories dépensées et leur cycle menstruel. Des applications que l'on retrouve encore sur certains modèles.

Depuis fin 2005, BenQ a lui aussi lancé une gamme de téléphones “exclusivement réservés aux femmes”. Tout est parti d'une étude, selon Rafaël Gonzalez, responsable marketing de la marque. « Nous voulions savoir ce qu'attendaient les consommateurs de leur téléphone et il s'est révélé que certaines femmes avaient des attentes différentes. L'une d'entre elles a prononcé une phrase évocatrice : “Les téléphones actuels sont froids, encombrants, plein de gadgets ennuyeux et conçus pour les hommes”. Nous avons donc fait un travail sur le design et les fonctionnalités. » Le Poppy et autres AL26 Butterfly ou Hello-Kitty ont donc droit à des matériaux plus glossy, une forme plus arrondie, des accessoires, un packaging inspiré de la parfumerie et une facilité d'utilisation plus importante que pour les hommes.

BenQ a surtout osé une campagne totalement en dehors des codes publicitaires du secteur, pour son Poppy CL75. Lancée à la Saint-Valentin, la campagne virale montrait l'acteur Arnaud Gidouin expérimentant le fait d'être une femme chaque fois qu'il décrochait le téléphone emprunté à sa copine… Un buzz relayé par du street marketing et une PLV spécifique en magasin, reprenant les visuels du coquelicot ornant le mobile. Résultat : vendu à plus de 53 000 exemplaires, le portable réalise un cycle de vie d'un trimestre plus long que la moyenne. Parallèlement, d'autres téléphones, aux matériaux plus froids, comme l'acier brossé, ont été développés. Pour faire plaisir aux hommes cette fois.

Exclusivité ou segmentation ?

Un produit peut-il alors toujours se décliner au féminin ou au masculin ? Pas forcément. « Il faut d'abord attendre que le marché soit mature », prévient Élisabeth Tissier-Desbordes. Ensuite, évidemment, tout est question de pertinence et de contexte. Quand, en 1987, Pampers révolutionne le marché des couches-culottes en proposant une version fille et une autre garçon, c'est un succès immédiat. Cette segmentation permet alors à la marque de doubler sa surface de vente en linéaire, de faire un bond de 17 à 34 % de parts de marché en deux ans et de dépasser durablement son concurrent. Mais la distinction ne tient plus dès lors que P&G découvre, dix ans plus tard, une technologie unisexe qui rend caduque la distinction garçon/fille. Les possibilités ne sont pas épuisées pour autant et beaucoup reste à faire, selon Babette Leforestier.

Qui regrette les stéréotypes sexuels encore visibles dans la publicité, malgré les études (notamment celles de 2004 et 2005 réalisées par Léo Burnett Worldwide) montrant que ni les hommes ni les femmes ne s'y reconnaissent. Des efforts restent aussi à faire dans la grande distribution ou l'agroalimentaire, des secteurs qui n'ont pas encore perçu le potentiel d'une segmentation par genre, peut-être du fait du manque d'études françaises sur le comportement des consommateurs par genre. Un constat partagé par Jean-Jacques Évrard, fondateur de l'agence Desgrippes Gobé et associates. Car si l'on se tourne vers le Japon, « il existe une tendance lourde de féminisation des produits et des packagings, notamment dans l'alimentaire qui utilise beaucoup la couleur ou le parfum rose, réduit les portions et s'inspire beaucoup des codes de la mode ou des cosmétiques jusqu'à faire de ses produits de véritables accessoires », observe-t-il.

Une segmentation qui va jusqu'à l'exclusivité avec des transports et des boutiques pour femmes. Pour autant, si le concept commence à s'exporter en Angleterre avec les Pink Cabs conduits par et pour les femmes, il pourrait mettre un peu plus longtemps à s'installer dans l'Hexagone du fait du « côté non communautariste des Français », selon Élisabeth Tissier- Desbordes. Quoique… Certaines marques, comme Grand Marnier, s'y essaient déjà. Depuis un an, des couples sont initiés à la technique des cocktails lors de soirées Men only/Women only… dans deux lieux séparés !

Packaging : les codes se brouillent

C'est sans doute dans le monde des cosmétiques que l'on repère aujourd'hui le mieux la “sexualité” du packaging. Côté homme, les couleurs froides (bleu, gris) et chaudes (rouge et orange) symbolisent le mélange de technicité et de performance, les textes insistent sur l'efficacité des produits et l'ergonomie reste fonctionnelle. Côté femme, on privilégie les couleurs acidulées, la sensualité des matières et les formules hyperprometteuses. Faut-il pour autant généraliser ces codes masculins/ féminins parfois caricaturaux ? Les experts s'opposent sur la question. En France, la marque Caudalie donne un genre neutre à ces produits avec un packaging à double entrée, tandis qu'au Japon, même les produits alimentaires se donnent un genre… Une tendance semble cependant se confirmer, celle de « l'esthétisation, de la sophistication des packagings », souligne Sophie Romet, directrice générale de l'agence Dragon Rouge. Nous allons vers une démarche de premium avec un travail en profondeur sur les codes et les signes, que ce soit pour les produits destinés aux hommes ou aux femmes. »

Merchandising : une approche différente du point de vente

« Hommes et femmes n'appréhendent pas le point de vente de la même façon : plus pragmatiques pour eux, plus émotionnelles pour elles », explique Béatrice Quérette, fondatrice de l'association Merchanfeeling. Dans la théorie, on séduit les femmes par un jeu sur les sensations, les lumières et la création d'univers. Les hommes, en revanche, « achètent moins, et plus rapidement. Il faut donc être beaucoup plus logique, voire basique », note-t-elle. Ainsi, le magasin Dunhill, divisé en espaces “Club” ou “James Bond”, a dû céder la place à une segmentation par objets. Cependant, attention aux clichés. Aujourd'hui, les adolescents fonctionnent davantage par tribus que par genre, les magasins pour homme séduisent les femmes et vice-versa. « Il n'existe pas un merchandising pour les hommes et un autre pour les femmes, nuance Béatrice Quérette. La segmentation est pertinente dans le cas d'un univers de marque ou d'un produit spécifique à l'un ou l'autre sexe. »

 
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BÉATRICE HÉRAUD

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