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La peur n'évite pas le progrès

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Lors des Assises de la culture scientifique, le ministre de la Recherche s'est inquiété d'un passage du scientisme excessif de 1900 à un nouvel obscurantisme, le refus des nouveaux savoirs, le refus des nouvelles techniques*. Dans cet esprit, la philosophe et historienne des sciences, Nayla Farouki a dirigé l'ouvrage "Les Progrès de la peur"**. En avant-goût à cette lecture, quelques propos critiques et bien sentis pour se rasséréner sur le progrès.

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Aujourd'hui, les scientifiques n'ont pas bonne réputation. Pourquoi ? Les gens oublient qu'ils sont au service d'une industrie ou d'une politique. La destination des résultats de leurs recherches ne dépend pas d'eux. Il ne faut pas confondre l'utilisation de l'outil et l'outil lui-même. Ce qui est aussi en cause, c'est le cloisonnement des disciplines et la spécialisation à outrance. On a ainsi l'impression de machines folles qui jargonnent dans leur coin. Mais, si vous essayez de savoir ce que sont devenus les grands chercheurs, les grands universitaires, vous verrez qu'ils n'ont pas gagné d'argent. Les grands inventeurs ont été éjectés de la logique économique dominante. Je crois qu'il faut élaborer des conclusions collectives qui tiennent compte des impératifs différents des sociologues, des philosophes, des psychologues et des scientifiques où le citoyen s'implique. La meilleure façon de ne pas avoir peur est de rester vigilant.

Pourquoi avons-nous peur ?


Une logique de la peur se déploie vis-à-vis de la nouveauté tous azimuts. Les inerties aussi provoquent un état de peur indéfinie. Le symbolique, l'imaginaire, le fantasmatique prennent le pas sur l'analyse des causes et des conséquences d'une découverte ou d'une innovation. Certains individus ont une pensée paresseuse ou n'ont pas envie d'être responsables. Il préfèrent subir ou être une victime. Mais les médias détiennent une grande part de responsabilité. Par leur approche folklorique, ils sont, par exemple, en train d'encourager une peur panique des avions. La presse pratique le racolage et le mensonge sans faire la part des choses. Savez-vous que pour produire l'insuline, on utilise des bactéries génétiquement modifiées ? Faut-il donc interdire la production d'insuline ? La publicité elle aussi joue souvent sur les émotions primaires, les affects négatifs pour flatter des désirs pulsionnels.

Pourquoi la notion de progrès est-elle remise en question ?


Nous nous sommes souciés davantage de progrès quantitatif que qualitatif. Plus vite, plus loin, toujours plus, deux cents est plus grand que cent ! Comment accéder à une logique du qualitatif lorsqu'on se contente de penser "Si c'est beau, c'est bien. Mais si ça se vend, c'est encore mieux !" Le progrès n'est pas effrayant lorsqu'il permet d'exercer sa curiosité, son désir et son goût du plaisir. Mais il faut savoir que les émotions négatives et leur cortège d'angoisses, de dépression, de dépréciation de soi sont contagieuses.

Pourtant, nous vivons dans une société de la diversité où des informations contradictoires sont accessibles pour se faire une opinion ?


Pas tant que ça ! Le capitalisme et le libéralisme ont donné naissance à la pensée unique qui masque une tentation totalitaire. Il n'est pas certain que nous nous trouvions dans le surchoix. Tout le monde imite tout le monde pour faire ce qui se vend le plus. Ce qui révèle une forme d'indigence de l'imagination. Tout le monde a intérêt à se sentir responsable. On a privilégié le marketing au détriment de l'éducation. Certains outils scientifiques et techniques améliorent la société alors que certains produits font du mal.

La formation des scientifiques ne joue-t-elle pas un rôle dans la confusion actuelle?


L'être humain s'éduque. D'une part, nous avons créé des scientifiques "déculturés" qui n'entendent rien à l'humanisme. Comment voulez-vous que des médecins réagissent face à la mort avec rien d'autre que des connaissances en physique et en mathématiques ? D'autre part, dans la recherche, les scientifiques mélangent des ingrédients plus ou moins explosifs. Mais la société n'accorde pas la même liberté à la création scientifique qu'à la création artistique. Les artistes travailleraient dans l'imaginaire et les scientifiques dans le réel alors qu'il s'agit de la même chose. Il peut être tout aussi dangereux d'écrire ou de dessiner quelque chose qui fait du mal. La création artistique comme les outils techniques et scientifiques utilisés à bon escient peuvent faire du bien.

On peut opposer la science et la religion. Que pensez-vous de la situation actuelle des religions monothéistes ?


J'ai écrit une réflexion sur la rationalité du monothéisme. Je pense que les trois grandes religions monothéistes vivent encore dans un âge obscur. Le monothéisme a toujours considéré à égalité les hommes et les femmes. Autrement, il s'agit d'une pensée dégradée. N'oublions pas que le Dieu transcendant a permis de se sauver de la peur. Ce fut, par exemple, l'interdit du sacrifice d'Abraham. Mais le folklore et la pensée archaïque sont aussi des produits de la civilisation. C'est alors qu'on se trouve dans l'affect négatif, l'exclusion, la peur de l'autre, le sexisme, la volonté de puissance, la recherche de la gloire et des honneurs.

Comment peut-on s'améliorer ?


En acceptant d'être la totalité de ses expériences. C'est ce qui fait la singularité de chacun. Nous sommes toujours en devenir, en état de transformation. Je crois au progrès intérieur de l'être humain avec comme principal outil l'éducation. Et la maîtrise de la matière implique de rester attentif à tout ce qui est de l'ordre du fantasme et d'allier contrôle technique et contrôle éthique. * Voir Libération du 20 novembre 2001 : La France au fond du puits des sciences. ** Les Progrès de la peur, sous la direction de Nayla Farouki. Editions Le Pommier.

 
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