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Extra-urbains: la ville est dans le pré

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Besoin de changer d'air, de trouver du temps libre en famille, de profiter du raccourcissement des distances (TGV, avions, etc.). Ces dernières années, les Français ont modifié leur manière d'occuper le territoire. Les citadins se sont installés en masse dans les campagnes, tout en conservant les codes de l'urbanité. Explications.

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« L'exode rural est terminé. La France rurale et provinciale revit d'extra-urbains de plus en plus nombreux, très mobiles, rois du kilomètre réel ou virtuel. » C'est par ce constat que Jean Viard amorce son essai, Nouveau portrait de la France, « La société des modes de vie ». Mais qu'est-ce qu'un extra-urbain? Selon l'auteur, un habitant qui a fait le choix de quitter la ville comme lieu résidentiel pour s'installer à la campagne. Et ils sont de plus en plus nombreux. Sur les 27 millions de logements que compte la France, plus de 15 millions sont des maisons individuelles, dont 89 % avec jardin. Des maisons qui se répartissent sur l'essentiel du territoire, avec une prime sur les littoraux, à la périphérie de Paris et dans des villes à forte qualité patrimoniale.

Mais attention, le sociologue et directeur de recherche au CNRS n'évoque pas un simple renversement de tendance: la France n'est pas en train de se désurbaniser. Selon une étude de l'Insee datant d'octobre dernier, l'espace urbain «élargi» représente aujourd'hui presque la moitié du territoire national (ce qui représente une augmentation de presque 40 % en dix ans), regroupe près de 59 % de la population et de 70 % des emplois. « La France est indéniablement urbaine, mais c'est une urbanité «en nuages», mobile, saisonnière, en basculement vers le Sud, différente suivant l'âge, sensible au climat et au mode de vie, souligne Jean Viard. Année après année, les urbains s'installent hors de la ville et les campagnes se peuplent deux fois plus vite que les cités. » Une nouvelle forme d'urbanisation du territoire, qui se poursuit avec l'apparition d'une certaine osmose entre la campagne et la ville. Car ces Français qui s'installent en dehors des grandes agglomérations vivent en réalité sous l'influence des villes (voir encadré «Les extra-urbains, des Français comme les autres», page 8). Une sorte de ville dans le pré, en somme, où l'habitant-type, paysan et ouvrier hier, est aujourd'hui plutôt cadre et retraité.

Mais d'où vient ce phénomène? D'une part, d'un besoin de changer d'air. D'après une étude de l'agence Iligo pour Clear Channel, près d'un Français sur deux aimerait vivre dans une petite ville. La raison: 76 % estiment que la qualité de vie y est meilleure. Cécilia Tassin, spécialiste de la veille tendancielle et directrice associée de l'agence de design et de conseil en innovation Black & Gold, parle d'un retour aux sources: « Les excès des dernières décennies ont créé un sentiment de saturation et un désir de désintoxication. Aujourd'hui, les gens ont besoin de revenir à l'essentiel. »

La pression du temps profite aux campagnes

Reste que cette propension des Français à fuir les grandes villes cache une raison plus structurelle. La notion de «temps libre» en serait la clé. En effet, en 1900, le travail occupait 70 % de la vie. Maintenant, il accapare seulement 16 % de l'existence. Ce qui laisse 400 000 heures de temps libre à remplir (sans compter le temps de sommeil). A cela s'ajoute l'allongement de l'espérance de vie. Nous passons sur terre 700 000 heures en moyenne, contre 500 000 en 1900. Bref, jamais l'homme n'a eu autant de temps. Pourtant, il n'a jamais eu l'impression d'en avoir si peu. Car le monde file à toute allure. Le TGV réduit les distances, la séduction passe parfois par le speed-dating, les fast-food généralisent la pratique du repas sur le pouce, les salles de marchés réalisent des opérations 24 heures sur 24, les médias diffusent des informations en continu... Toute la société est prise dans le même tourbillon. «L'urgence s'insinue, sans que nous le mesurions, dans notre vie personnelle, professionnelle et publique», rappelle Gilles Finchelstein, directeur des études d'Euro RSCG et auteur de l'ouvrage La Dictature de l'urgence.

Les extra-urbains, des Français comme les autres

« Les extra-urbains ressemblent aux urbains, que ce soit en termes d'âge, de revenus ou de consommation », constate Caroline Mériaux, directrice marketing et communication de Clear Channel. En effet, d'après Simm-TGI 2011 pour Clear Channel, 67 % sont équipés d'un ordinateur de bureau, 68 % d'un lecteur blu-ray, 80 % d'un mobile et 72 % ont un accès à Internet. Seuls deux points les différencient du profil urbain traditionnel. D'une part, la famille. Primordiale, cette dernière porte un intérêt tout particulier au logement. C'est un véritable lieu de vie et un générateur de lien social, qui valorise des activités comme la décoration (26 % de extra-urbains sont des grands consommateurs de déco), le jardinage (62 % ont acheté des plantes au cours des 12 derniers mois) ou encore la cuisine (45 % considèrent la cuisine comme la pièce la plus importante du foyer). D'autre part, les extra-urbains accordent un peu moins de temps à la consommation des médias traditionnels, avec des indices inférieurs à la population urbaine, que ce soit en TV, en presse, en radio, au cinéma ou sur Internet. « L'importance de cette cible fait qu'elle investit à la fois du temps et de l'argent pour l'aménager, au détriment des médias », explique Caroline Mériaux. Elle rappelle, en revanche, qu'ils sont particulièrement exposés à la communication extérieure: 32 % parcourent plus de 15 000 km par an en voiture, 29 % se déplacent plus d'une heure par jour, 25 % parcourent plus de 20 km pour se rendre au travail. Les clients de Clear Channel: la grande distribution, avec essentiellement Intermarché et Leclerc. « 60 % des marques sont les mêmes que celles présentes en ville », remarque la directrice marketing de Clear Channel.

Caroline Mériaux (Clear Channel)

Caroline Mériaux (Clear Channel)

Caroline Mériaux (Clear Channel):

«Les extra-urbains ressemblent aux urbains, que ce soit en termes d'âge, de revenus ou de consommation.»

La mobilité redessine le territoire

Cette nouvelle organisation des modes de vie, qui influe sur les relations sociales et l'organisation du temps, a des conséquences sur l'organisation urbaine. Le temps rallongé, rempli par les loisirs et la consommation, favorise les déplacements quasiment sans limite. « Aujourd'hui, nous parcourons chacun, en moyenne, 45 kilomètres par jour, soit neuf fois plus qu'en 1950, souligne Jean Viard. Sur ce total, nous consacrons 15 kilomètres pour aller en week-end et en vacances, 30 pour nous déplacer autour de notre maison, à moitié pour aller travailler, à moitié pour «vivre l'urbanité»: courses, école, amis, culture, sport... » Qu'en déduire? D'abord, que deux tiers des déplacements sont «affectifs», c'est-à-dire liés au lien social privé. «Grâce au développement et à l'interconnexion des lignes TGV, du réseau autoroutier et des liaisons aériennes low cost, nous sommes toujours plus mobiles», souligne le publicitaire et sociologue Jean-Marc Benoît. Ensuite, que l'on ne vit plus sur son lieu de travail. Car aujourd'hui, sans allonger le temps de transport, chacun se déplace plus loin et plus facilement. Ainsi, les distances étant moins aliénantes, on peut travailler en centre-ville et habiter au milieu des champs. Quitte à parcourir parfois près de 100 kilomètres quotidiens en voiture ou en TGV, en train express régional (TER), voire en RER. Xavier de Fouchécour, directeur de l'agence de conseil en communication Beaurepaire, va encore plus loin: « On vit à un endroit, on travaille ailleurs et on traverse d'autres villes. Finalement, se dessine une sorte de géographie du moi, où chacun devient son propre territoire, lequel peut commencer au café du coin et se prolonger jusqu'à l'autre bout de la planète via Internet. La géographie cesse alors d'être une surface pour devenir un réseau. » Un réseau dans lequel les kilomètres virtuels pèsent bien plus que les distances réellement franchies. «Les 45 kilomètres que nous parcourons en moyenne par jour en France ne sont en réalité qu'un infime pourcentage des kilomètres que nous parcourons grâce au téléphone, à Internet, à la radio ou même à un journal télévisuel», assure Jean Viard. Mieux encore, le lien virtuel engendre une part de mobilité physique. «Par exemple, les 4 millions de Français qui ont changé de région en dix ans ou les 50 000 retraités parisiens qui choisissent la province chaque année n'existeraient pas sans cette urbanité virtuelle.» Autrement dit, plus de liens virtuels impliquent plus de mobilité. «Avec les technologies de l'instantanéité, de l'ubiquité, comme le portable, nous sommes partout chez nous. Nous nous trouvons au bord d'une mutation historique considérable: la fin de l'ère de la sédentarité», prophétise le philosophe et urbaniste Paul Virilio (Le Grand Accélérateur, éditions Galilée).

Jean Viard (CNRS)

Jean Viard (CNRS)

Dans cette France de l'urbanité mobile, la ville triomphe. Car la différence entre campagne et ville s'est estompée. « On ne peut plus penser en termes de société urbaine et de société rurale, ni d'ailleurs opposer Paris et la province, constate Jean Viard. Aujourd'hui, ville et campagne ont les mêmes références culturelles: la crèche, le supermarché, la télévision, la nature. L'urbanité a triomphé, même dans le monde paysan. Nous avons tous les codes sociaux de l'urbanité: dans la ville ou loin de la ville mêmes médias, on trouve les mêmes pratiques Internet. » En somme, les extra-urbains ont inventé la ville à la campagne.

Les gares constituent des centres névralgiques

Du coup, les villes travaillent à accroître leur dynamisme pour conserver leur pouvoir d'attraction. En développant des commerces dans les lieux de transit, par exemple. Aéroports et gares SNCF accueillent de plus en plus régulièrement des manifestations artistiques (exposition de peinture, de sculpture, concerts, etc.). Au mois de mars dernier, après dix ans de travaux, la gare Saint-Lazare, deuxième gare de France en nombre de voyageurs, a ouvert une nouvelle zone commerciale dans laquelle se trouvent de grandes enseignes telles que Carrefour City, Monop', Virgin ou Autogrill. Pour attirer ces nouveaux urbains, les séduire grâce aux services offerts, les villes deviennent des marques. Après Reims, Montpellier et Lyon, c'est au tour de l'agglomération stéphanoise de lancer, en avril, la marque «Saint-Etienne, atelier visionnaire». En compétition avec les bourgs ruraux ou les petites communes, les grandes villes s'attachent à changer l'image du territoire et surtout à attirer de nouveaux investisseurs afin de se redynamiser.

De ce point de vue, Saint-Etienne constitue un exemple à suivre: «Je crois à un aménagement du territoire guidé par la qualité de vie, et au rôle croissant des choix féminins, car les femmes y sont tout particulièrement sensibles, affirme Jean Viard. Ce qu'elles veulent, ces femmes modernes, prêtes à quitter les grandes métropoles et leur confort? Des emplois qui respectent leurs compétences, des places en crèche, des espaces verts accessibles, des transports écologiques... Les villes ou les régions qui gagneront demain auront su plaire aux femmes. »

Incontestablement, il va falloir compter sur les extra-urbains demain. Et pas seulement en termes d'aménagement du territoire. Car ce sont des consommateurs exigeants, mobiles, à la frontière de différents modèles, et particulièrement touchés par les fluctuations de la construction, du logement et de l'immobilier. Bref, ils représentent un nouveau champ d'investigation pour les professionnels du marketing.

 
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Damien Grosset

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