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CEDER AUX SIRENES DES BRICS

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Portés par une démographie galopante et des taux de croissance à faire pâlir les Occidentaux, les pays émergents devraient s'imposer comme le premier marché mondial d'ici une dizaine d'années... de quoi titiller le désir de conquête des marques. Mais comment se mobiliser pour répondre aux besoins spécifiques de ces marchés?

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Malgré le coup de froid annoncé sur les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), qui risquent de perdre quelques points de croissance, à l'image de la Chine, les marchés émergents font toujours figure d'eldorado pour les marques occidentales. D'ailleurs, démographie oblige, derrière les Brics, de nouveaux marchés pourraient servir de débouchés: ce sont les pays émergents, ou encore les «Next eleven», présentés a priori comme les 11 prochains pays émergents, si toutefois leur situation géopolitique le permet (Bangladesh, Corée, Egypte, Indonésie, Iran, Mexique, Nigeria, Pakistan, Philippines, Turquie, Vietnam).

Bertrand Chovet, Interbrand Paris

«LES MARQUES INTERNATIONALES SE SUBSTITUENT AUX ETATS, QUI ONT PERDU DE LEUR INFLUENCE, CAR ELLES ONT UNE VISION DU MONDE A PROPOSER.»

Les marques de luxe se sont lancées les premières sur ces marchés à fort potentiel. Selon une étude publiée en décembre 2008 par le Comité Colbert et intitulée «Le luxe, un atout de croissance pour l'Europe au XXIe siècle», ce secteur est en très forte croissance dans les pays émergents.

Le marché des parfums et cosmétiques a, par exemple, crû de plus de 20 % par an en Chine et en Inde entre 2002 et 2007. «Les marques de luxe ont investi rapidement les marchés émergents, car elles sont puissantes et disposent d'importants moyens», constate Cécile Gorgeon, directrice du cabinet conseil en marketing Added Value. Car il ne suffit pas d'exporter son nom et son savoir-faire. Les marchés émergents sont exigeants. Pour y avoir pignon sur rue, il faut de l'argent et de la patience.

Le secteur du luxe n'échappe pas à la règle. Les difficultés diffèrent selon les zones géographiques, leur contexte économique, leur environnement, leurs us et coutumes. En Inde, Cécile Gorgeon (Added Value) a enquêté sur le terrain, ce qui lui a permis de battre en brèche quelques idées reçues: «Les marques de luxe hégémoniques doivent réfléchir autrement et ne pas supposer que leur notoriété internationale est suffisante. Au contraire, le luxe étant ancré dans l'histoire et les coutumes comme une valeur, elles y sont moins légitimes que les marques locales, qui font véritablement sens.» Leur légitimité est à construire. Et pour y parvenir, en Inde, «rien n'est plus efficace que l'utilisation d'une star issue des rangs de Bollywood comme égérie», ajoute l'experte.

Autre leçon, le copier-coller de l'offre occidentale conduit à l'échec. « Certaines marques ont pensé, un temps, qu'elles pouvaient commercialiser en Inde les collections de l'année précédente: elles y ont laissé des plumes», commente Cécile Gorgeon. Au contraire, adapter son offre - Cartier a commercialisé une montre Taj Mahal en édition limitée pendant la saison des mariages - est une nécessité pour répondre aux attentes des consommateurs locaux. Car la clientèle est exigeante et les marques doivent se montrer créatives pour la séduire.

La nécessité de s'adapter au pays-cible

Ce qui est vrai pour le luxe l'est pour les autres secteurs. L'adaptation d'une marque à un territoire et à son marché passe d'abord par un travail sur son nom, puis par l'organisation de la distribution. Selon les cas, les stratégies diffèrent. Certaines marques adaptent leur nom, comme L'Occitane en Chine. D'autres créent carrément une nouvelle filiale. Les Galeries Lafayette projettent d'ouvrir cinq à sept nouveaux magasins hors de France d'ici à 2015, notamment à Pékin et à Jakarta en 2013, et en Turquie en 2015. L'enseigne capitalise sur son nom et sur l'image de son navire amiral, le point de vente du boulevard Haussmann à Paris. Elle fait valoir son savoir-faire en matière de magasins de mode multimarques.

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L'OCCITANE EXPORTE LA PROVENCE

L'enseigne de produits cosmétique a réussi le tour de force de s'approprier le territoire provençal et de l'exporter à travers le monde. Les pays émergents ne font pas exception. Le groupe réalise environ 50 % de son chiffre d'affaires en Asie, 25 % en Europe, 18 % sur le continent américain et 7 % dans le reste du monde. Certes, en Asie, le Japon pèse à lui seul 24 % du chiffre d'affaires total, mais la marque a pignon sur rue dans d'autres zones: Chine, Hong Kong, Corée, Vietnam, Indonésie, Inde.
Partout, on retrouve le même concept, largement inspiré de la Provence, des matériaux qui habillent les points de vente - les fameuses tomettes aux images publicitaires. «L'Occitane est une marque unique, impossible à confondre», affirme André Hoffmann, président de la zone Asie Pacifique. En Chine, où la pollution fait des ravages, l'image de pureté des produits naturels représente une force indéniable. Pour promouvoir ses produits, la marque prend soin d'organiser des visites presse dans sa région d'origine pour faire découvrir aux journalistes chinois le charme des champs de lavande. La bonne réputation des produits cosmétiques français fait le reste. Ici, «l'Occitane est une marque «premium» et le chiffre d'affaires réalisé avec les ventes de soins et produits haut de gamme est plus élevé qu'en France», ajoute André Hoffmann. Seule ombre au tableau: «En Chine, nous devons faire face à un énorme handicap. Les réglementations gouvernementales exigent l'enregistrement préalable des formules des produits cosmétiques avant leur commercialisation. Ces démarches prennent beaucoup de temps et notre offre s'en trouve réduite», regrette André Hoffmann. Pour autant, d'ici à 2017, le chiffre d'affaires en Chine devrait tripler et représenter 10 % du CA total de la marque.

Dans le secteur de l'assistance, les trois leaders - Axa Assistance, Europ Assistance et Mondial Assistance - proposent des services quasi identiques. Leur valeur ajoutée provient de la puissance de leur marque et de leur capacité à innover. Alors qu'Europ Assistance (lire encadré p. 84) et Axa capitalisent sur leur nom, Mondial Assistance fait un choix stratégique différent et abandonne sa marque à l'international pour devenir Allianz Global Assistance.

Techniquement, «la conservation du nom peut s'accompagner d'une translitération», commente Sophie Gay, directrice de Nome spécialiste du brandcare. Carrefour est ainsi devenu «tsia le fou» en Chine, nom qui outre la consonance similaire, se traduit par «maison du bonheur et de la chance»! Hermès a choisi une autre voie en Chine. En lançant Shang Xia, l'emblème du luxe français a souhaité créer une marque 100 % chinoise, vitrine du savoir-faire local. Récemment, Hermès a bouclé la boucle en ouvrant un point de vente Shang Xia à Paris, au coeur de Saint-Germain des Près. «Lorsqu'une entreprise décide d'écrire une nouvelle page en créant une marque, il faut bien comprendre la marque, sa cible, son univers concurrentiel, pour trouver le bon nom, car un des risques est de prêter à la moquerie», indique Sophie Gay

La contrainte des diverses réglementations locales

Au niveau organisationnel, plusieurs modèles cohabitent. Dans la distribution, «le concept de «retailtainment» - contraction de «retail» et d'« entertainment» - est né dans les pays émergents, car les magasins deviennent des malls, la distribution un spectacle et les consommateurs courent voir les marques de luxe, vêtus comme s'ils allaient au théâtre», observe Cécile Fonrouge, maître de conférences, enseignante dans le master Innovation design luxe de l'Université de Paris Est-Marne la Vallée (UPEMLV). En Inde, témoigne Cécile Gorgeon, «il y a peu de places pour ouvrir des points de vente. Excepté l'Emporio à New Delhi, les marques s'installent plutôt dans les shopping malls des grands hôtels. » Le plan d'occupation des sols interdit les constructions en hauteur. Mais en Russie, point de problème de sols, ce sont les consommateurs qui préfèrent faire leurs courses à l'étranger. Pour eux, le must est d'aller faire ses emplettes à Dubaï!

Dans les Brics, entrer en relation avec sa cible à travers la distribution s'avère donc complexe. Pire, les marques sont priées d'adapter leur stratégie aux contraintes réglementaires locales. Selon les destinations, l'enseigne Galeries Lafayette ouvre des magasins en propre ou sous franchise. La Chine, même si elle fait partie de l'OMC depuis 2001, multiplie les barrières, et se lancer sur ce marché n'est pas une sinécure (multiplication des certifications, incohérence du suivi réglementaire, discrimination à l'encontre des acteurs économiques étrangers).

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EUROP ASSISTANCE. UNE MARQUE ET UNE SIGNATURE UNIQUES

«Aujourd'hui, pour une société internationale, le fait de créer des marques spécifiques par pays n'a plus de sens. Nous misons sur la marque unique, qui est un levier fort», déclare Philippe Moucherat, directeur de la communication d'Europe Assistance Group. Des études ont été menées pour vérifier si le mot «Europ» ne représentait pas un frein au développement de la marque. Au contraire, «sa renommée dépasse la terminologie géographique», explique Philippe Moucherat. Exit les noms spécifiques, Europ Assistance capitalise sur sa marque et sur une signature anglaise «You live, we care», compréhensible par tous. Depuis l'arrivée de Martin Vial aux commandes en 2003, l'opérateur historique sur le marché de l'assistance essaie de reprendre son leadership. Non seulement le chiffre d'affaires a quasiment triplé entre 2005 et 2010, passant de 540 millions d'euros à 1,3 milliard mais Europ Assistance a diversifié ses métiers, en introduisant dans son offre la santé et les services à la personne.
«Nous privilégions la croissance organique et le développement des marchés émergents et l'ambition du plan stratégique actuel est d'imposer la marque comme étant la plus innovante dans les care services, y compris dans les pays émergents», indique Philippe Moucherat. Pour y parvenir, l'entreprise, qui réalise 90 % de son chiffre d'affaires en B to B, se repositionne sur le B to B to C, voire directement sur le B to C. En Chine et en Inde, ses filiales ont vu le jour sous le nom d'Europ Assistance. En Chine, «aux abords des ambassades, des vendeurs à la sauvette essaient de vendre de fausses polices Europ Assistance aux ressortissants désireux de s'envoler vers l'Occident», explique Philippe Moucherat. La contrefaçon comme preuve de notoriété!

S'adapter à un mode de consommation différent

La joint-venture étant le dispositif principal permettant aux entreprises de s'installer en Chine, Citroën a noué des alliances avec des industriels chinois. Résultat, la gamme C est commercialisée avec Dongfeng Motors, et la gamme DS avec Chang'an, sous le nom Capsa. On y perdrait son latin. Pour autant, Citröen joue toujours sur le charme de l'automobile made in France.

Au fond, conclut Bertrand Chovet, directeur général d'Interbrand paris, «certaines marques se substituent aux Etats, qui ont perdu de leur influence, car elles ont une vision du monde à proposer. C'est le cas de Coca-Cola, d'Apple ou de Microsoft. » Elles ont une telle croyance en ce qu'elles font, en la légitimité de leurs produits, qu'elles s'imposent partout dans le monde. Toyota a su convaincre grâce à son organisation, à la qualité de ses véhicules et à son engagement en faveur de l'environnement. Dans les Brics, les marques doivent néanmoins faire face à un paradoxe: comment concilier leur vision du monde, forcément occidentale, avec des façons de consommer différentes? Réponse: Toyota vend des 4X4 dans les pays en voie de développement. Coca-Cola règle la question en proposant des emballages différents au Sénégal, avec des bouteilles consignées, en lieu et place des canettes festives adaptées à la consommation en night-club des jeunes occidentaux. «Mais, finalement, observe Bertrand Chovet, l'idée de plaisir et de rafraîchissement reste la même quelle que soit la région du monde. » En termes d'organisation marketing, «les directions internationales doivent déléguer une dose de pouvoir aux managers régionaux », conseille Bertrand Chovet. Le discours de la marque, le contenu qui fait sa force, ne change pas, mais la forme varie en fonction des pays, des goûts des consommateurs et de leur mode de vie.

3 QUESTIONS A Elisabeth Ponsolle des Portes, déléguée générale du Comité Colbert

« LE LUXE FRANCAIS RESTE UN MUST A L'ETRANGER »


Le Comité Colbert mène des actions pour aider les marques de luxe à s'implanter dans les Brics. Lesquelles? Avec quels résultats?
Le Comité Colbert est actif depuis les années deux mille dans les marchés émergents. Il s'est manifesté en Chine, en Inde, en Russie, en Moyen-Orient et au Brésil. Les manifestations sont différentes selon les pays mais toutes ont pour objectif de faire connaître les valeurs qui portent le luxe français: la création, le patrimoine, l'excellence et l'éthique. Le Comité Colbert est toujours très bien accueilli à l'étranger. Ces manifestations renforcent l'image de la France et bénéficient à tous les membres du Comité.


Les marques de luxe sont pionnières en matière de positionnement dans les Brics. Quelles sont les plus grosses difficultés rencontrées?
Le taux d'exportation moyen des maisons du Comité Colbert s'élève à 84 % et l'accès aux marchés est donc un élément-clé du développement des maisons à l'international, notamment dans les pays facteurs de croissance pour l'industrie du luxe (Brésil, Chine, Inde, Turquie, Russie et pays du Golfe).
Le Comité Colbert s'emploie à favoriser l'ouverture des marchés par l'intermédiaire d'échanges avec les pouvoirs publics de chaque pays concerné, ainsi que lors des négociations menées par l'Union européenne avec ses principaux partenaires commerciaux. Ces échanges visent à limiter les obstacles au libre-échange des marchandises.
Ceux-ci peuvent être de deux ordres. Les barrières tarifaires correspondent aux droits de douane - variables selon les produits - que les produits étrangers devront supporter à leur entrée sur le territoire national. Les barrières non tarifaires rassemblent tous les autres obstacles mis à l'entrée de marchandises étrangères et visant à décourager l'accès au marché.
Il peut s'agir de limitations quantitatives (contingentements ou quotas), de normes sanitaires ou techniques spécifiques pour les produits importés, de formalités administratives complexes et coûteuses pour l'importation ou l'implantation de structures localement ou d'un environnement non favorable à la protection des biens importés (faible protection de la propriété intellectuelle facilitant la contrefaçon).


Comment développer sa légitimité face aux marques de luxe locales?
Le secteur du luxe français s'appuie sur des savoir-faire et une création reconnaissables partout. C'est cet esprit français qui lui donne sa légitimité, au même titre que les marques de luxe étrangères fondées sur des savoir-faire identitaires.

 
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Véronique Méot

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