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Avis d'expert Raymond Guidot* Géniale, la vie domestique

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Remue-ménage et méninges dans un siècle d'histoire de l'espace quotidien avec l'exposition "Les bons génie de la vie domestique"*. Cuisine spécialement aménagée avec Raymond Guidot, commissaire de l'exposition, auteur d'une histoire du design de référence, et ex-collaborateur de Roger Tallon.

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Pourquoi la vie domestique au musée ?


C'est l'occasion de parler d'un secteur où le design s'est copieusement exprimé. On y trouve peu d'objets signés. Les designers faisaient partie d'équipes intégrées. Ces produits anonymes ont été, et sont toujours, les témoins modestes de notre vie quotidienne. Plus largement, ils traduisent l'évolution de notre société dans ses modes de vie, ses rapports socioculturels, ses enjeux économiques. Ils reflètent les relations entre diverses professions, inventeurs, ingénieurs, designers, publicitaires, hommes de marketing.

Comment se présentent ces "bons génies de la vie domestique" ?


Un parcours par périodes s'imposait. C'était le plus lisible et le plus sensible. Il commence par le fonctionnalisme allemand dans les années 1900-1920. C'est le premier exemple de design global. Il entonne un hymne général à la fée électricité, et marque les débuts de l'enregistrement du son et de l'image. Puis vient le fameux exemple de la cuisine de Francfort, en 1927, "conçue par une femme, avec des femmes pour des femmes" et inspirée du taylorisme... Nous passons ensuite à l'aube du mouvement moderne et au temps du streamline américain. C'est la cuisine des années 30 de Raymond Loewy. Le modèle américain de la cuisine aménagée commence à s'imposer. De 1945 à 1960, coexistent liberté des formes et contraintes fonctionnalistes. Les modes de vie subissent de profonds changements de 1960 à 1975. C'est la vie au ras du sol et ses appareils. A l'aube des années 80 sonne l'heure du "nouveau design". Le fonctionnalisme est dans le collimateur. Le décoratif retrouve les faveurs des designers. Mais les appareils symbolisés par la fameuse "boîte noire" restent fidèles au fonctionnalisme. Puis la fin du siècle et du millénaire célèbrent le temps des objets "amicaux", selon l'expression de Philippe Starck. Ces nouveaux rapports affectifs à l'objet sont conduits par la performance technique et la sophistication des procédés de fabrication.

C'est donc un cheminement éclairé au fil de l'histoire des techniques et du design ?


Effectivement. Depuis les ustensiles des sociétés traditionnelles en passant par les mécanismes actionnés par la main, puis par le moteur électrique jusqu'à l'électronique et l'informatique.

Et la célèbre "tourniquette pour la vinaigrette" de Boris Vian qui évoquait le Salon des arts ménagers ?


Bien sûr, nous avons réservé une place de choix à cette manifestation typiquement française. Elle s'est tenue de 1923 à 1983. Après-guerre, le Salon des arts ménagers devint un événement national même s'il était appelé par dérision le "Salon de la poêle à frire". Il fut le tremplin à la diffusion du progrès technique et au dynamisme économique de l'innovation. En 1962, songez qu'il a compté prés d'un 1,5 million de visiteurs. Mais l'apparition des grandes surfaces et des magasins spécialisés ont signé son arrêt de mort.

Poêle à frire et rouleau à pâtisserie étaient les deux emblèmes de l'imagerie populaire de la vie domestique. Quel rôle les femmes ont-elles joué dans la modernisation du quotidien ?


Leur rôle est souvent méconnu. Avec la Guerre de Sécession aux Etats-Unis, le mouvement féministe a estimé que les femmes étaient aussi considérées comme des esclaves. Elles ont revendiqué le droit à une citoyenneté à part entière. Les femmes américaines ont voulu organiser et gérer rationnellement la vie domestique. Leur attention a porté tout particulièrement sur la cuisine. Puis avec le lave-linge et la Cocotte-minute, la technique a allégé le poids des corvées domestiques. Aujourd'hui, la femme ne se reconnaît plus dans l'image de la ménagère. C'est un sujet brûlant de société qui devra inspirer les industriels.

Quel est pour vous l'objet le plus éloquent de l'évolution de la vie quotidienne ?


Certains appareils retracent en eux-mêmes toute l'histoire du design. Le poste de radio en incarne l'exemple type. Nous sommes passés de la simple fonction de carrossage ou de capotage sur un travail d'inventeur ou d'ingénieur aux variations sur différents styles selon les époques jusqu'à la banalisation. La radio aujourd'hui peut se contenter de n'être plus qu'une petite boîte discrète que l'on fixe au poignet. Cet objet mobilisateur s'est individualisé. Le nomadisme actuel en fait le symbole du plaisir du concert égoïste.

Pensez-vous que nous risquons de parvenir à une saturation du désir à voir nos vies se réduire à l'inventaire de nos accumulations ?


Nous n'avons pas souhaité cette exposition critique ou polémique. Mais il est vrai que certains objets quotidiens subissent une surenchère de l'inutile. Un peu à la manière de ces appareils en veille perpétuelle qui consomment invariablement de l'énergie tout en ne marchant pas.

Comme ce four à micro-ondes portatif à batterie pour aller en pique-nique ?


Si vous voulez ! Dans certains secteurs, on peut reprocher un manque de réflexion sociologique et un goût pour la complexité voire la complication que l'utilisation ne justifie pas. Selon vous, quelles sont les pistes d'innovation qui vont donner naissance à de nouveaux appareils ? Je pense que l'objet utilitaire n'a plus rien à exprimer sur la forme. Il faut plutôt prendre au sérieux la notion d'implants, d'éléments que nous pourrons intégrer à notre corps. Aujourd'hui, les recherches portent surtout sur l'expérimentation sensorielle, elle visent au plus près du corps, l'épiderme et les sens.` *"Les bons génies de la vie domestique". Jusqu'au 22 janvier 2001. Centre Pompidou, Galerie sud, niveau 1. Catalogue sous la direction de Raymond Guidot et Marie-Laure Jousset, éditions du Centre Pompidou, 240 F.

 
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