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« Nous sommes entrés dans un nouveau créneau celui d'être "vrai" »

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Longchamp a le succès modeste et le développement tranquille de la PME familiale devenue grande marque internationale. Ce registre "profil bas" et un bon sens terrien, qui caractérise son président-directeur général Philippe Cassegrain, lui a permis de ne pas céder aux sirènes de la mégalomanie des marques de luxe. Mais pas plus que ses concurrentes, elle n'a pu éviter la délocalisation. Même si elle fait partie des rares marques de maroquinerie qui proposent des produits "Made in France".

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D'où vient le nom Longchamp ?


Nous nous appelons Cassegrain. Logique-ment, le premier symbole auquel on pense ce sont les moulins. Or, mon père avait des cousins à Orléans qui vendaient des vélos et qui avaient déjà mis un moulin sur ces derniers. A l'époque, nous faisions des articles de sellerie cousus main, ce qui nous rapprochait un peu du cheval, et fortuitement au bout du champ de course de Longchamp, il y a un moulin. Mon père a fait le rapprochement et a baptisé la société Longchamp. Le dessin du cheval, quant à lui, part d'un dessin de la fin du XIXe. Il y a dix ans, la marque et le symbole ont été liftés par l'agence Style Marque.

Où vous situez-vous sur le marché du luxe ?


Nous sommes haut de gamme, mais nous n'avons jamais été préoccupés par des réflexions sur des idées de luxe ou semi-luxe. Nous étions seuls sur notre créneau jusqu'à ce que deux entreprises, Lamarthe et Lancel, nous rejoignent. Toutes les deux ont été rachetées par des groupes (Finduk pour Lamarthe et Richemont pour Lancel). Lancel a rajeuni son image et son positionnement s'est approché du nôtre. Cette dernière garde une place importante surtout grâce au montant de ses investissements publicitaires. Historiquement, elle a toujours davantage investi que nous dans ce domaine, environ cinq fois plus. Nous n'avons pas autant de moyens. Mais nous ne faisons pas la course à la pub. On s'intéresse davantage au produit. Notre développement est naturel et sans prétention. A notre niveau, nous avons pratiquement moins de concurrents que les marques Chanel, Vuitton ou Prada... qui se livrent des batailles entre elles.

Il y a dix ans, vous étiez uniquement fabricant, et vos produits étaient distribués dans des magasins spécialisés. Pourquoi ouvrir désormais vos propres boutiques ?


Par rapport à d'autres, Longchamp a plus investi dans sa force de vente que dans la publicité. La stratégie était de s'implanter dans les grands magasins et les magasins multimarques. Nous avons été appelés à ouvrir des magasins parce qu'il y a eu quelques défections dans ces derniers. Comme dans la chaussure ou le prêt-à-porter, des fabricants autrefois distribués par d'autres ont désormais leurs magasins. C'est aussi, pour nous, une volonté de bien présenter l'ensemble de nos produits. Un distributeur ne pouvant évidemment pas proposer nos 2 500 références.

Comment définiriez-vous vos produits ?


Ce sont des produits de bon sens, modes et faciles à porter. Nous n'avons pas beaucoup d'extravagance. En général des produits bien construits et de bonne qualité. Des gammes classiques avec des nuances qui changent à chaque saison. Ce qui fait partie de notre raison d'être et nous donne un avantage sur certains confrères, c'est la création et le renouvellement. Deux fois par an, on se remet en cause. Certains concurrents se sont laissés aller sur un succès. Or, un succès, c'est étouffant et quand il se tarit, il est difficile à renouveler. Nous, nous jouons plus large et, au final, nous sommes plus constants. On fait attention à ne pas se reposer sur une vache à lait. Ce qui est bien en place depuis 7/8 ans ce sont les "pliages" (n.d.l.r. : sacs nylon qui se replient dans une pochette de petite taille). Une des caractéristiques des bagages Longchamp étant de pouvoir se plier et prendre peu de place. Pour l'instant, nous avons de la chance. En partie parce que nos deux plus proches concurrents se sont un peu de nouveau essoufflés en matière de création, ce qui nous a laissé de la place.

Et en termes de positionnement sur le marché ?


Longchamp, c'est du haut de gamme accessible. Nous ne sommes pas dans le luxe à la Hermès et Chanel. Mais l'attitude des consommateurs a plus changé vis-à-vis de nous, que vis-à-vis des grandes marques de luxe. Il y a quelques années, le luxe c'était "too much". Désormais, les grandes marques sont revenues à des prix raisonnables. Nous n'avons pas eu ce problème car nous avons toujours été raisonnables. Nous sommes donc rentrés dans un créneau qui s'est inventé : c'est-à-dire qu'on était "vrai". Des fabricants de maroquinerie, il n'y en a pas beaucoup. Longchamp est clairement fabricant et distributeur. Or de nombreuses marques ne fabriquent pas. Les rares qui le font encore s'appellent Hermès, Chanel, Vuitton et Longchamp.

Est-ce en rapport avec votre récente admission au sein du Comité Colbert ?


Je ne sais pas. Nous avons été sollicités l'année dernière, puis acceptés en tant que membre après une période probatoire. Nous faisons donc parti désormais de ce réseau dont le but est de partager les expériences.

Vous êtes très présents à l'étranger...


Pratiquement la moitié de notre activité est réalisée à l'export. L'Europe est notre plus gros marché extérieur, si l'on peut encore appeler ça de l'export. Viennent ensuite les marchés américain et japonais.

Longchamp est-il affecté par les attentats du World Trade Center ?


Les événements récents ont bloqué un peu le système, je ne sais pas pour combien de temps. Nous travaillons aussi pas mal dans les duty-free et, malgré les problèmes de vols et de gens qui voyagent moins, nous restons tout à fait positifs dans les aéroports français. En termes de chiffre d'affaires, Paris est beaucoup plus touché que la France, car les touristes se font plus rares, même si ça commence à se tasser. Il faut voir ce que les gens qui avaient décidé de voyager dans les mois à venir vont faire en réalité.

Vous n'êtes donc pas trop inquiets


Si ça dure six mois, ça va. Plus, ce sera autre chose. Mais nous ne sommes pas une agence de voyages. Nous sommes en pleine expansion et aussi le fait d'être plus accessible que beaucoup d'autres marques, fait que l'on souffre moins.

Avez-vous subi d'autres périodes difficiles ?


Nous avons nettement ressenti les effets de la guerre du Golfe mais l'arrivée des "pliages" en 93, nous a bien aidés. Il est clair que ce produit qui coûte entre 300 et 690 francs, draine du monde dans les magasins. C'est comme le Tac-o-Tac dans les cafés tabac.

Quelle partie de votre production est fabriquée à l'étranger ?


Les bagages, car nous n'étions pas concurrentiels pour fabriquer des valises notamment. De plus, les bagages à roulettes et manches télescopiques ont perturbé le marché car, si c'est de la maroquinerie, c'est aussi de l'industrie. Toutes ces parties viennent au départ des Taïwanais et sont désormais entièrement fabriquées par les Chinois.

L'Asie est-elle un fournisseur incontournable ?


Des marques comme Samsonite ou Delsey fabriquent encore certaines parties en Europe. Mais il n'y a quasiment plus de bagages souples qui soient fabriqués en France. Le marché américain a transféré toute sa fabrication en Asie et tout le monde a suivi. Toutes les marques américaines sont désormais fabriquées au Moyen-Orient.

A quoi se résume donc la carte du monde de la fabrication de bagages ?


A l'Asie et à un peu d'Europe. Mais, soyons clair 90 % des bagages sont fabriqués en Extrême-Orient. Au niveau du souple en toile, nous étions tout seuls à l'origine, dans les années 68-70. Et puis Samsonite et Delsey se sont rendus compte que le souple c'était bien et ils sont arrivés sur ce terrain. Lancel a délocalisé. On a perdu pied à ce moment-là, mais en nous donnant les moyens de délocaliser un peu, nous reprenons du poil de la bête, en bagage. Pour nous, ce qui est intéressant, c'est de jouer sur les pays, sur la gamme qui est assez vaste, et puis nous, on sait fabriquer. Cela nous donne une certaine sécurité.

Quel pourcentage de votre production sous-traitez-vous ?


Nous avons 20 % de produits sous-traités en France et 20 % à l'étranger mais, pour la plupart de nos concurrents, c'est 100 %.

A terme, pensez-vous que tout sera fait en Asie ?


Nous avons de la fabrication à l'Ile Maurice depuis quinze ou vingt ans. Et il n'y a pas de doute que l'on délocalise aussi de la fabrication de produits autres que le bagage, ne serait-ce que pour garder des moyennes de prix de revient acceptables. Mais, nous nous sommes aussi beaucoup développés en France et tout cela a généré beaucoup d'emplois. Nous avons créé des usines, repris des ateliers existants. On est obligé d'équilibrer un peu avec l'extérieur parce que, le jour où il y a un problème quelconque et qu'il faut licencier, c'est un drame. Ce sont des soupapes. En France, licencier est une catastrophe sur le plan psychologique, financier... Autant vous êtes bien accueillis quand vous embauchez, autant il est très délicat de débaucher.

Votre processus de délocalisation va tout de même croissant...


Non, mais nous avons besoin de bouger vite pour les sacs à mains, les bagages. Il a fallu aussi réagir rapidement pour faire face à la hausse de la demande. Et ce, même s'il est plus facile, à court terme, d'ouvrir un atelier en France qu'à l'étranger. On maîtrise mieux la qualité, on peut former les gens, utiliser le matériel le mieux adapté. C'est plus coûteux, mais ça va vite.

Mais que peut-on faire face au rouleau compresseur et de la grande distribution et de la concurrence asiatique ?


On va inventer, on va faire comme les autres. Les supermarchés sont contents de vendre des marques et ils en profitent pour faire leurs propres marques. On est parfois obligés de leur demander de se calmer car leurs modèles, ils vont les chercher chez leurs fournisseurs... Ce qui nous oblige à maintenir un haut niveau de créativité. Par ailleurs, les usines que nous avons rachetées étaient amenées à disparaître parce que les grandes chaînes de magasins avaient tendance à faire fabriquer leurs collections complètes dans les pays de l'Est et à venir voir les sous-traitants français uniquement pour les réassorts. Inutile de dire, qu'au niveau des prix, il y avait conflit. C'est un problème majeur. Egalement sensible dans le prêt-à-porter et la chaussure. Et les 35 heures n'ont rien arrangé. Peut-être que cela a permis de créer des emplois dans la fonction publique, mais sur le plan industriel, ça n'est pas très heureux.

On a le sentiment que dans les structures familiales comme la vôtre, l'aspect humain est prépondérant...


Ça se passe bien. Nous avons eu huit jours de grève en 68 comme tout le monde, une grève plus longue en 73, depuis rien. Nous ne sommes pas nombreux à décider, tout se passe vite et bien. La production a doublé en quatre ans. Même si là, ça va se calmer. Le produit plaît et notre créativité paie.

Et vous lui offrez beaucoup plus de couleurs...


Notre styliste, qui travaille avec nous depuis douze ans, a apporté beaucoup de couleurs. Quand on regarde les ventes, le noir reste le coloris majeur, mais avant c'était 80 % des ventes, aujourd'hui ça a beaucoup baissé. De même, le bleu marine qui était indispensable l'été dernier, est devenu mineur.

Que sait-on sur l'achat de sacs et de bagages ?


Vous avez tous les maroquiniers qui en vendent et les marchés de province qui représentent un gros marché. Leurs produits sont d'origine chinoise ou "de genre chinois faits en France" ! En vérité, on sait peu de choses sur l'achat de sacs hormis que les plus gros consommateurs de maroquinerie sont aisés, urbains et de catégories socio-professionnelles supérieures. Par contre, le "pliage" touche une clientèle très large. D'autant qu'il est vendu en quatre ou cinq coloris de base et cinq ou six nouveaux coloris à chaque saison. Il représente 12 à 15 % de notre chiffre d'affaires. Un "pliage" s'offre comme un bouquet de fleurs.

Le cuir offre-t-il des possibilités encore non exploitées ?


Les tanneries travaillent surtout à lui donner toutes sortes d'aspects différents. Je trouve un peu dommage, par exemple, de faire du cuir qui ressemble à du textile, mais c'est facile. En revanche, on peut lui donner quantité d'aspects intéressants comme les aspects métallisés.

Votre dernière campagne publicitaire s'appuie sur des visuels de femmes futuristes, guerrières...


Ce sont trois visuels que nous utilisons en presse depuis mi-août. Dans l'esprit "la femme est la créatrice de sa propre mode". C'est elle qui dispose parmi tout ce que nous lui proposons.

Biographie


Philippe Cassegrain est né en 1937. Il a été suivi la formation de l'Ecole des petits carreaux (Paris) et a intégré une école de commerce de la CCI de Paris. "Pour sa formation", son père l'envoie à 16 ans faire le tour de l'Afrique, tout seul, puis à Hong-Kong, et à 18 et 19 ans, aux Etats-Unis. Il commence à travailler véritablement pour l'entreprise familiale en 1964. Il est aujourd'hui P-dg de Longchamp.

L'entreprise


Longchamp est née en 1948. La société compte 1 000 personnes dont 800 à la production. Elle a réalisé en 2000 un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros (soit + 25 % par rapport à 1999). Ses ventes se répartissent à 50 % en France et 50 % à l'export (dont 50 % en Europe, 25 % en Asie-Pacifique et 25 % en Amérique). La marque compte un réseau de 56 boutiques dont 17 détenues en propre et 39 franchisés. Elle est également présente dans 450 boutiques sélectives en France et dans 70 pays au travers de plus de 2 000 points de vente.

 
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Valérie Mitteaux

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