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«Les JO sont un tremplin vers le marché chinois»

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Les Jeux olympiques de Pékin se dérouleront en août prochain. Pour les marques, ils peuvent constituer un formidable point d'entrée dans le marché chinois. A condition de respecter certaines règles. Lucien Boyer, président d'Havas Sports, donne des clés pour bien appréhender la culture locale.

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Les JO sont le deuxième événement sportif planétaire après la Coupe du monde de football. Pourquoi ceux de Pékin battent-ils déjà des records d'intérêt?

Le sport est mis en avant tous les deux ans par des événements qui prennent une place considérable dans le monde. Ces événements ont des répercussions dans tous les secteurs économiques. Les Jeux de Pékin ne font pas exception à la règle. Ils vont même plus loin, car ils cumulent une double attractivité. Ce sont des Jeux d'été - ceux qui affichent en général le plus d'audience -, et ils se déroulent à Pékin, une ville qui les rend d'autant plus fascinants. Sans compter que les JO ont presque toujours changé l'image d'un pays. Et, pour les entreprises, c'est un immense challenge dont il faut maîtriser le potentiel et les contraintes. Pour Havas Sports, dont la vocation est d'accompagner les marques dans leur utilisation du sport en tant que levier marketing et de communication, c'est bien sûr une très belle opportunité de développement.

Havas Sports a déjà d'une filiale en Chine. Quels enseignements tirez-vous de votre présence dans ce pays?

Si nous avons lancé Havas Sports China en 2006, nous sommes en réalité présents sur ce marché depuis 1990 à travers le réseau d'agences de publicité Euro RSCG, qui est implanté dans plus de 35 villes. Car la Chine va bien au-delà de sa capitale. On pourrait d'ailleurs comparer ce pays à l'Europe, tant il existe de langues, de cultures, de consommateurs différents. Sur le plan du business, la Chine est un univers particulier. On ne peut pas y imposer sa culture occidentale. Il faut savoir s'adapter à une culture locale très forte et comprendre les systèmes de décision. Des systèmes qui ne sont pas habituels, puisqu'ils sont gouvernementaux. Les relations sont également particulières.

Il faut, par exemple, intégrer la notion du temps. Un rendez-vous peut en prendre beaucoup, car il faut créer un lien social avant de sortir les calculettes et discuter affaires. Enfin, la rencontre culturelle est aussi importante que les transactions. Et les intermédiaires peuvent être indispensables pour briser la glace. Ce sont des relations informelles qui permettent de créer des relations formelles. Le lobbying est très maîtrisé par les Chinois. Cependant, tout ce qui paraîtrait logique dans un business plan, à un certain degré, ne l'est pas dans ce pays.

Par exemple?

Au regard de nos critères occidentaux, le temps consacré à la prise de décision est beaucoup plus long. Dans le cas des Jeux, au mois d'août prochain, de très nombreux projets, tels que des campagnes de communication ou des événements, ne sont pas encore lancés et ne se décideront qu'au dernier moment. Mais, quand la décision est prise, l'opérationnel va très vite. L'impossible est donc toujours possible. Quant à la main-d'oeuvre, elle n'est pas un problème. La contrainte de temps est compensée par la capacité de démultiplication des forces opérationnelles. En fait, on apprend la sérénité.

Comment aborder ce marché? Quelles en sont les contraintes?

Du fait de sa disparité, ce marché est très segmenté. Quand on réalise une campagne de publicité en Europe, le discours est différent selon les pays. Il en est de même en Chine. Par exemple, un Pékinois va regarder Beijing TV quand un Shanghaien va regarder Shanghai TV. La télévision régionale et la télévision nationale ne seront regardées qu'ensuite. Pour réaliser un plan médias, il faut donc tenir compte de ces trois strates. La situation est de fait complexe. La Chine est un continent à elle toute seule, même s'il existe une centralisation politique et une décentralisation de consommation.

Comment percevez-vous le rôle joué par le gouvernement chinois?

En fait, une fois reconnues par le gouvernement, via le comité d'organisation des JO de Pékin - le Bocog -, les agences comme la nôtre obtiennent un label; une sorte de formidable laissez-passer. Ce dernier, qui reste purement informel, est accordé à peu de gens. Il donne des priorités pour accéder au business, car personne ne peut travailler sans passer par le Bocog. Les JO sont une plateforme de communication exceptionnelle pour la Chine. Le gouvernement en est bien conscient et agit toujours dans le sens de ses intérêts.

A quelles difficultés doivent s'attendre les marques?

Tout d'abord, il faut adapter le nom de sa marque. Le nom d'une marque européenne ne dira rien en Chine. A l'instar de Carrefour qui s'appelle Jialifu, ce qui signifie «maison du bonheur», ou de Coca-Cola qui a fait évoluer son logo avec une sorte de symbole de cerf-volant. Havas Sports a adopté un nom chinois, phonétiquement proche, qui signifie à peu près «connaissance profonde et puissante de la Chine». Les marques doivent accompagner leur logo d'une base line en idéogrammes, montrant qu'elles deviennent chinoises tout en valorisant leur expertise. Si elles ne procèdent pas ainsi, elles risquent de passer à côté d'une large communauté de consommateurs et de rester en surface. Le marketing en Chine doit avant tout comprendre la culture nationale et créer du lien avec les consommateurs.

A quelles contraintes sont soumises les marques qui souhaitent investir dans les Jeux de Pékin?

Celles qui n'ont pas signé de partenariats officiels se verront interdire toute association aux Jeux sur le plan de la communication. L'un des objectifs marketing majeurs du Comité international olympique (CIO) est de faire respecter l'exclusivité de l'usage des marques olympiques au profit des entreprises qui sont partenaires officiels du CIO ou du Bocog. Mais, outre ces règles communes à tous les JO, les marques doivent également, à Pékin, respecter des règles exceptionnelles.

Lesquelles?

Une vigilance particulière a été mise en place pour les marques de contrefaçon. Autre exemple: le gouvernement central de Pékin a imposé des règles très strictes quant à la réduction des panneaux publicitaires. Ces derniers ont subi une érosion spectaculaire. Il en est de même pour les soirées privées d'entreprise: celles qui réunissent plus de 500 personnes ne seront plus autorisées à partir du mois de mai. Tout cela dans le but de limiter les opérations événementielles qui n'auraient pas été formellement organisées par des marques directement associées aux Jeux.

Que peuvent faire les marques qui n'ont pas signé d'accord avec le CIO ou le Bocog?

Si elles n'ont pas acquis de droits en termes d'événementiel, de communication ou de publicité, ces marques peuvent, en revanche, pratiquer l'hospitalité. C'est-à-dire inviter, si elles le souhaitent, des centaines de personnes dans des programmes qu'elles auront achetés à des licenciés officiels, agréés par le Bocog ou le CIO.

Quels sports ont actuellement le vent en poupe en Chine?

Tous les sports explosent en Chine. Mais l'athlétisme est considéré comme le «sport des sports» aux Jeux olympiques. Le basket est aussi très apprécié par les Chinois, tout comme la natation, très populaire. Je pense qu'après les Jeux, de nouvelles stars vont naître et devenir des icônes. A l'image des joueurs de l'équipe chinoise de badminton qui est très admirée. Cette dernière est d'ailleurs sponsorisée par la Bank of China. Certaines autres marques s'appuient déjà sur des stars.

Comment une marque peut-elle gagner en visibilité?

La Chine est connue pour avoir une forte culture de la victoire. Une marque doit donc se rapprocher, soit d'une équipe qui peut gagner, soit de grands champions qui ont déjà fait leurs preuves. C'est pour cela que les champions chinois sont tous sollicités. A l'instar de Yao Ming (basket-ball), Liu Xiang (110 mètres haies) et Guojingjing (natation).

Cette démarche est-elle compliquée?

Elle est, en tout cas, particulière. Dans un pays de libre marché, la marque la plus offrante a de fortes chances de remporter un business. A Pékin, cela ne suffit pas. Il faut également être une marque prestigieuse et, surtout, introduite. Un petit acteur indépendant, sans connaissances politiques, a très peu de chances d'y parvenir. En Chine, le politique joue un rôle parallèle à l'économique. En fait, un contrat ne sert à rien. Il ne faut pas oublier qu'avant d'être une vedette, un sportif est dans les mains de fédérations chinoises qui sont l'émanation directe du ministère chinois du sport. Il n'y a pas un seul contrat qui ne soit pas autorisé par le gouvernement car, contrairement à notre système occidental, il n'y a pas ou peu d'agents.

Les Jeux vont-ils servir de tremplin pour les équipementiers?

Oui, ils vont être un formidable accélérateur. Mais, de toutes les manières, le potentiel est énorme car la pratique du sport reste assez faible par rapport à la taille du pays. Et pourtant, la médiatisation du sport est croissante, et ce, grâce aux JO certes, mais aussi grâce aux diffusions télévisées d'autres événements internationaux concernant le basket, le tennis, le football... Que ce soit pour Nike, le leader, ou encore Adidas avec Reebok (sponsor de Yao Ming), le marché est considérable. Aujourd'hui, Adidas possède 3000 points de vente en Chine et a l'intention d'en ouvrir 5000 autres d'ici 2010. Reebok, qui dispose de 550 magasins a, quant à elle, l'ambition d'en ouvrir 2200 nouveaux pour 2010. Il y a donc de la place. D'autant que tous les sports commencent à arriver.

Quelle est la taille du marché du sport en Chine?

On l'estime aujourd'hui à 5 Md$, alors qu'il représente 200 Md$ aux Etats-Unis.

Les PME y ont-elles leur place?

La chambre de commerce française en Chine dénombre 1100 entreprises référencées. Sept cents de plus sont identifiées par les services économiques de l'ambassade de France. Les JO sont une belle opportunité pour développer du chiffre d'affaires. Et ce, quel que soit le secteur d'activité. Des entreprises qui sont sur des secteurs n'ayant rien à voir avec le sport, tels que la restauration, l'hôtellerie, la coiffure ou la boulangerie, ont toutes leurs chances. Une PME a donc sa place pour autant qu'elle respecte la marche à suivre et qu'elle soit humble. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de barrière.

Est-il possible de faire un marketing pointu dans ce pays?

Grâce aux nombreuses études réalisées, il est possible de faire une segmentation des consommateurs. L'événementiel et la communication vis-à-vis de cibles professionnelles se développent très bien. Si les événements de rue ne sont pas facilement autorisés, d'autres opérations sont possibles. Ainsi, pour Emirates Airlines, nous avons inauguré la ligne Dubai-Pékin via un événement prestigieux pour 500 VIP. Nous avons également réalisé de très belles opérations B to B pour la Société Générale.

La Chine se prête-t-elle à des opérations événementielles classiques?

Oui. Mais il est nécessaire d'être agréé et accrédité. Nous avons, par exemple, été choisis pour assurer la communication de l'«Olympic Fine Arts 2008». Les Chinois ont invité chaque comité national olympique à faire venir des artistes de leur pays afin de participer à une exposition et à un concours d'oeuvres inspirées des Jeux. Cette exposition de plus de 600 oeuvres se tiendra dans les rues de Pékin. Havas Sports China est également associée à un projet de globes géants, permettant une projection à 360° d'images animées, qui permettront à des sponsors olympiques d'animer leurs opérations sur les sites grand public.

Certains champions vont sans doute vouloir s'exprimer sur des sujets sensibles. Que leur conseillez-vous?

Chaque comité olympique et ce, quel que soit le pays, est censé faire respecter la charte du CIO aux athlètes. Ces derniers ne doivent pas faire de la publicité pour une autre marque, ni de politique pendant les Jeux. Celle-ci est proscrite par le CIO depuis l'origine des Jeux modernes, en 1896! Si les athlètes viennent à Pékin, ils doivent respecter ces obligations. Car, selon moi, il faut être en conformité avec l'esprit des JO.

Pour les sportifs et les marques partenaires, organisez-vous des formations sur le marché et le contexte chinois?

Nous avons préparé un certain nombre de services d'accompagnement et de produits d'hospitalité. Mais nous souhaitons surtout aider les entreprises à mieux comprendre ce pays. Nous considérons les Jeux comme un point de départ sur ce marché et non comme une ^h opportunité ponctuelle.

Lucien Boyer, Havas Sports

@ Marc Bertrand

Lucien Boyer, Havas Sports

Parcours

Marié, 43 ans, trois enfants Diplômé de l'Essec.
1987 démarre sa carrière chez Saatchi & Saatchi en tant que chef de publicité.
1990 prend la direction du sponsoring de l'écurie de Formule 1Larousse.
1991lance LMG I (Lifestyle Marketing Group), au sein de Saatchi. & Saatchi.
Depuis 1998 président d'Havas Sport.

«Tout ce qui paraîtrait logique dans un business plan, à un certain degré, ne l'est pas en Chine.»

«Il n'y a pas un seul contrat qui ne soit pas autorisé par le gouvernement»

 
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