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Comment le marketing peut-il aider à faire face aux enjeux sociétaux ?

Publié par Floriane Salgues le - mis à jour à

Remettre le marketing au coeur des enjeux sociétaux ? Tel était l'objet des discussions tenues lors des Rencontres de l'Association Française du Marketing (AFM), les 25 et 26 janvier 2023.

De la théorie à la pratique. À l'occasion des Rencontres de l'Association Française du Marketing (AFM), les 25 et 26 janvier 2023, chercheurs et enseignants ont partagé les apports de la "théorie" pour transformer les pratiques marketing en intégrant, notamment, les notions de durabilité et de sobriété. Et ont expliqué, aussi, comment les pratiques marketing "renouvelées" peuvent contribuer à faire face aux enjeux environnementaux, de santé humaine ou, encore, à la lutte contre les fractures sociales.

Redonner une fonction positive au marketing

Le point de départ ? La nécessité de changer la perception du marketing en France, alors que "le marketing se classe à l'antépénultième place des métiers analysés par une étude de l'AFM et de Kantar, en mai 2022, devant la finance et la publicité", rappelle Alain Decrop, professeur de marketing à la Faculté des sciences économiques, sociales et de gestion au sein de l'Université de Namur. Une aversion des Français - moins marquée chez les 18-34 ans - qui s'explique par l'image "aliénante" du marketing, jugé non sincère et ne respectant pas la vie privée, mais aussi par son rôle "opportuniste", très orienté business et ne servant, finalement, dans la perception qu'en ont les Français, qu'à écouler les stocks. Une incarnation du capitalisme, donc.

Si les interrogés voient tout de même des fonctions positives au marketing - "une fonction "informative", pour découvrir de nouvelles offres de produits et des informations sur la marque, et une "fonction" transformative, pour proposer des solutions pour faire face aux changements climatiques, par exemple", explique Alain Decrop -, ces dernières ne suffisent pas à redorer l'image globale de la pratique marketing. Ainsi, le nombre des "défenseurs du marketing", c'est-à-dire ceux qui estiment que le marketing a une fonction positive, permettant de s'informer et de se transformer soi-même et le monde, est faible : 25 %.

Comment convaincre plus de monde de l'intérêt du marketing ? Peut-être, en montrant, que la pratique peut avoir sa place dans tous les pans de la société... jusqu'au sein de l'hôpital public.

La fonction transformative du marketing... à l'hôpital

"Le marketing est de plus en plus présent dans le domaine de la santé, introduit Marie-Eve Laporte, Maîtresse de conférences en sciences de gestion à l'IAE Paris - Sorbonne Business School. Cette présence peut sembler contradictoire pour la population : 65 % des Français (étude Kantar/AFM, N.D.L.R.) disent ainsi que le marketing donne l'illusion du plaisir et du bien-être, sans vraiment l'apporter ; or dans la santé, apporter, vraiment, du bien-être est indispensable." Le marketing a-t-il donc vraiment sa place au sein de l'institution hospitalière ?

Pour Marie-Eve Laporte, le marketing peut avoir "une place de choix à l'hôpital public", dans un contexte de marchandisation de la santé. Auteure, avec Patrick Gilbert, de l'article de recherche "L'orientation patient à l'hôpital public : un dispositif marketing comme compromis entre deux mondes", Marie-Eve Laporte a centré son étude sur l'observation, durant 3 semaines, du service de chirurgie orthopédique d'un grand hôpital public parisien, complétée par 43 entretiens. Ce concept marketing d'"orientation patient" représenterait donc un compromis entre une "polyphonie d'approches", explique Marie-Eve Laporte, c'est-à-dire entre une logique de soins orientée à 100 % sur l'intérêt du patient - et l'égalité des soins pour tous - et une logique de "désocialisation" du système de santé. "Les mondes se rencontrent grâce à l'orientation patient qui permettrait, à la fois, de réduire les coûts - et donc de sauvegarder le système de santé - et de redonner le pouvoir à des patients qui sont aussi des consommateurs et peuvent vouloir donner leur avis et être acteurs".

Du marketing sobre au marketing de la sobriété

Sur les enjeux environnementaux, aussi, le marketing a du « pain sur la planche » pour valoriser son utilité. "Comment articule-t-on marketing et sobriété ? Le marketing doit-il se transformer pour être plus sobre ?", interroge Valérie Guillard, professeure à l'Université Paris-Dauphine, dont les recherches portent sur la psychologie du consommateur, sur les pratiques des consommateurs à l'égard des objets de seconde main et du gaspillage. Convaincue que "le marketing peut mettre en avant l'idée de la sobriété", elle a mené une étude et compilé 150 mini-récits de consommateurs autour du marketing sobre, complétés d'entretiens d'entreprises. Premier constat : un problème de sémantique, partage Valérie Guillard : "Les consommateurs répondent que le marketing ne peut pas être sobre, car le marketing manipule et pousse les gens à consommer des choses dont ils n'ont pas besoin. Or, si nous analysons plus finement les réponses, les personnes parlent davantage des techniques marketing - et de la publicité - et du produit en lui-même, avec son packaging, que du marketing." Pour la professeure à l'Université Paris Dauphine, les consommateurs seraient "favorables au marketing s'il promeut des produits sobres et les aide à distinguer les bons produits pour mieux consommer".

La simplicité est donc également de mise du côté de l'offre. Alors que de plus en plus de marques et d'agences travaillent, dès la conception des campagnes, à diminuer leur impact environnemental (limitation des déplacements, recyclage d'images, notamment), d'autres transforment leur business model - ou naissent sur ces nouveaux business models. "Nous relevons quatre caractéristiques des business models plus sobres, précise Valérie Guillard, qui détaille : moins de fioritures, à l'instar d'un Fairphone et de son offre de téléphone basée sur la simplicité ; moins de vitesse, avec notamment la sortie de moins de collections ; moins de distance, avec des offres plus locales comme celle de La Lessive de Paris, des lessives propres et livrées à vélo dans la capitale ; et moins de marchés, avec le développement des offres de do-it-yourself."

La valeur du marketing et les enjeux sociétaux

Quid, enfin, de la prise en compte des enjeux sociétaux par le marketing ? "L'importance de la valeur au sein des réflexions et des pratiques du marketing n'est plus à démontrer", explique Arnaud Rivière, professeur des Universités à l'IAE Tours Val de Loire - Vallorem - Université de Tours, qui s'interroge, pour autant, "face à l'évolution des enjeux du développement durable, sur les limites des modèles fondateurs de la valeur perçue, comme ceux de Dodds et son approche cognitive et utilitariste de la valeur, ou de Babin et d'Holbrook, dont l'approche de la valeur est plus expérientielle, affective et symbolique." Il identifie 5 "limites", dont l'absence de la valeur "altruiste" dans ces modèles - à l'exception de celui d'Holbrook - ou des externalités négatives.

Faut-il, alors, de nouveaux modèles pour combler les lacunes ? "Les recherches récentes sur la valeur offrent une prise en compte élargie des bénéficiaires de la valeur, poursuit Arnaud Rivière, notamment l'approche « actor to actor », l'approche socioculturelle de la valeur ou encore la théorie du marketing positif qui consiste à créer de la valeur pour l'entreprise, le client et la société. Les travaux menés en B2B, tels que ceux de Sweeney et Webb ou de Mencarelli et Rivière, ont également enclenché des réflexions sur la diversité des parties prenantes. Mais, ces travaux sont peu mobilisés, surtout en B2C."

Pour le professeur des Universités, il convient à présent de "mieux comprendre la nature et l'influence des sources de création et de destruction de valeur écologiques et sociétales dans les décisions d'achat, en développant des approches psychométriques pour mieux apprécier ces sources de valeur ; en examinant l'influence relative des sources de valeur écologiques et sociétales, en comparaison aux sources de valeur égocentriques, dans les décisions d'achat et les sentiments post-consommatoires et en analysant dans une perspective longitudinale et culturelle, l'impact relatif des bénéfices et coûts écologiques sur le comportement du consommateur". Qui de l'écologie, de l'inclusion ou du prix pèse finalement le plus dans l'acte d'achat ?