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Tribune " Le vintage fait fureur "

Publié par Denis Gancel le - mis à jour à

Première semaine de Roland Garros : les bandeaux, tee-shirt Sergio Tacchini et autres raquettes Donnay signées Björn Borg ne se sont jamais aussi bien vendus sur eBay ! De son côté, Renault relance Alpine. Quelles sont les clés de cette tendance vintage ? Une tribune de Denis Gancel, de W&Cie.

Partout en France, les vide-greniers font le plein. Le site de bonnes affaires d’occasion Leboncoin.fr affiche une santé insolente… De leur côté, les groupes mondiaux remettent en orbite des marques de leur portefeuille, des “brand cow-boys” qui ont eu leur heure de gloire. Dans l’automobile notamment, avec Mini, DS, et Renault qui vient d’annoncer la remise en route de sa mythique Alpine. Phénomène de mode ou tendance durable ? Nouvelle martingale stratégique ou pis-aller de groupe en panique marketing ?

Si on veut analyser le phénomène, il faut d’abord observer qu’il n’y a jamais eu autant de marques dans le monde : 6 000 dépôts par jour, soit l’équivalent d’un dictionnaire (100 000 mots) tous les quinze jours ! Résultat : si on inclut les dépôts internet, cela fait au total près de 20 millions de marques déposées dans le monde !
Quand on sait que chaque consommateur ne mémorise, spontanément, que deux à quatre marques par marché, on mesure le casse-tête auquel sont confrontés les groupes internationaux pour faire émerger les leurs. Rien d’étonnant que, dans un tel contexte, les marques vintage, à forte notoriété et protégées juridiquement, constituent un avantage compétitif de première importance.

La nostalgie est un ressort classique du marketing. Chacun d’entre nous aime à retrouver “sa madeleine” sous la forme des marques qui ont accompagné son enfance. Consommation a toujours rimé avec régression. Mais si le phénomène vintage constaté en 2012 connaît une telle ampleur, c’est qu’il est accentué par la crise et la perte de confiance du consommateur à l’égard des institutions. La marque vintage cumule à ses yeux deux avantages majeurs : d’une part, elle est porteuse d’une histoire – elle incarne un repère auquel on peut faire confiance (“Elle a déjà fait ses preuves”, “Avec elle, on sait à quoi s’en tenir”, entend-on dans les groupes consommateurs –, d’autre part, elle est porteuse de sens. Elle symbolise une consommation raisonnée, caractérisée par les quatre R : Réduire, Réparer, Réutiliser et Recycler. Le consommateur, en achetant vintage, milite, plus ou moins consciemment, pour cette consommation-là !

La relance d’une marque n’est pourtant jamais facile. Elle est même remplie de pièges. Talbot, Lip, Polaroid figurent parmi les flops retentissants. Le premier des pièges est sans doute de croire que la notoriété seule garantit le succès. Il ne faut jamais oublier qu’une marque est avant tout un business model. En relancer une, c’est donc d’abord réinventer le business model qui va avec. Il faut en particulier trancher entre une relance délibérément nostalgique, au risque de ne pas faire long feu, une fois passée la génération concernée, et une relance innovante, au risque de décevoir les aficionados mélancoliques…

Dans le cas d’Alpine, il semble que Renault cherche à “prendre l’aspiration” de la marque DS : jouer de la nostalgie tout en innovant. En clair, le nom vintage agit comme marqueur mémoriel pour toute une génération à fort pouvoir d’achat, et la marque est subtilement détournée de son cours naturel (le sport et les rallyes) pour incarner le haut de gamme, segment après lequel courent tous les constructeurs historiques.

Le marché automobile est, avec l’hôtellerie, un des marchés les plus segmentés. Il est devenu impossible à une seule marque de “faire l’hélicoptère” et de couvrir tous les segments, du low cost au haut de gamme. Le succès et la qualité des offres low cost (Dacia chez Renault) imposent, en effet, aux autres segments de se faire “re-marquer”. Volkswagen (la voiture du peuple) l’a compris avant tout le monde, en passant de marque généraliste à un ensemble cohérent de 12 marques multispécialistes.
Enfin, dernière clé : une marque vintage doit avoir su se faire oublier. “Traversée du désert” en politique, “jachère” en agriculture, “pot au noir” en navigation océanique… autant de périodes de pause et de silence, plus ou moins volontaires, pendant lesquelles on se refait une santé, on se régénère.
Le désir suscité par Alpine sera d’autant plus grand qu’on l’avait crue morte. Alpine a donc tout pour réussir : dès l’instant où elle avait disparu, dès l’instant où, à certains, elle rappellera Jean-Pierre Beltoise et le bon vieux temps, dès l’instant, enfin, où à d’autres, elle ne rappellera rien, mais signera un modèle… à la mode 2012 !

Biographie:
Président de W&Cie
Coauteur de “Ecce Logo”, 2011, Ed. Loco
Enseignant à Sciences Po Paris

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