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Quelle stratégie de data sharing adopter ?

Publié par Floriane Salgues le | Mis à jour le
Quelle stratégie de data sharing adopter ?

Très chères Data ! Les données sont ce que les acteurs du marketing ont de plus précieux. De là à imaginer des opérations de "share" (du partage)... il n'y a qu'un pas, que l'essor de l'e-commerce, la fin des cookies tiers et l'évolution de la technologie permettent, enfin, de franchir en 2021.

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"Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin", dit le proverbe africain. Alors que s'effacent doucement les stigmates d'une crise sanitaire, et économique, les acteurs du marketing ont, enfin, décidé de travailler, main dans la main, à l'enrichissement de leur connaissance client. Se multiplient, ces derniers mois, des partenariats de "data sharing" - du partage de données - entre marques, retailers et prestataires. Et, et c'est la nouveauté, pas seulement pour l'affaire d'un "one shot", une collaboration ponctuelle. Les secteurs de la grande distribution alimentaire et des biens électroniques portent ainsi les projets les plus aboutis. Sous le nom de "retail media", les enseignes partagent avec les marques et leurs agences des données précieuses sur leurs clients. Regroupées dans des "clean rooms" (voir encadré), ces data sont accessibles, le plus souvent, en "self-service" - de façon autonome. Pionnier, Carrefour a lancé sa plateforme "Links" en juin 2021, disponible à l'international. Le groupe Casino et Intermarché lui ont rapidement emboîté le pas, dévoilant le 1er septembre une régie publicitaire et data commune aux deux enseignes - le groupe Casino a, dès 2017, créé RelevanC et a ouvert sa plateforme retail media à l'international en juillet 2021.

Pourquoi maintenant ? L'année 2021 aura vu la conjonction de plusieurs facteurs déterminant un "nouveau" partage de données. D'une part, le bond de la vente en ligne, mode d'achat favorisé par la crise, a généré un apport croissant de données numériques, transactionnelles et de navigation, mais, aussi, un boom de la publicité digitale portée par le retail media (la monétisation des inventaires publicitaires des retailers). Résultat : un apport supplémentaire d'informations exploitables en temps réel... et partageables. Du pain béni pour les marques, d'autant que, d'autre part, la fin annoncée des cookies tiers sur tous les navigateurs d'ici 2023 a mis un coup d'arrêt aux stratégies d'enrichissement de données propriétaires avec des données tierces. Les Data Management Platforms (DMP), en vogue il y a six ans, semblent peu à peu délaissées au profit des bases de données first party des enseignes, plus volumineuses, et permettant aux marques d'identifier en temps réel les segments d'individus auxquels elles souhaitent s'adresser. Enfin, les technologies de big data évoluent et deviennent plus abordables, tant techniquement qu'économiquement. Les "clean rooms" font, notamment, leur apparition, autorisant un partage plus sécurisé et conforme aux règlementations sur les données personnelles.

Du data broking... au data sharing

Sans réseau ou boutique physique ou digitale en propre, les marques ont traditionnellement peu accès aux données liées à leurs consommateurs. La pratique du partage de données avec des "brokers" (des "courtiers" en données), des retailers ou d'autres marques, ne date donc pas d'hier. "Il y a toujours eu des volontés et les moyens de mettre en commun des données pour apprendre des autres et enrichir les connaissances sur ses clients, rappelle, en préambule, Géraldine Prudhomme, head of data de l'agence Wunderman Thompson. Nous observons des partenariats, ponctuels, notamment entre les FMCG (Fast-Moving Consumer Goods), les produits qui connaissent une forte rotation dans les linéaires de la grande distribution, et les télécoms... ou de la location de bases de données partenaires." Alexandre Marrot, senior manager du cabinet conseil Converteo poursuit dans le même sens : "La pratique du data sharing existe depuis la fin des années quatre-vingt-dix aux États-Unis et au Royaume-Uni. La monétisation des données par des régies ne sont, par exemple, pas une révolution. Ce qui change et donne de l'éclat à la pratique, c'est l'approche technologique derrière. Les outils sont plus rapides et, grâce à l'accès aux données en self-service, les marques gagnent en autonomie".

Peut-on alors parler de l'avènement d'un nouveau data sharing ? "Les marques avaient, jusqu'à il y a peu, une approche très silotée et segmentée par rapport à la data, contextualise Artus de Saint Seine, directeur général adjoint d'Isoskele (La Poste), en charge des activités data. Elles travaillaient, d'un côté, leurs données client et CRM, avec des approches empiriques et très endogènes, c'est-à-dire avec un apport ponctuel de données extérieures - en open data ou liées à des référentiels - dans une optique de connaissance client et de segmentation. Et, d'un autre côté, elles sourçaient de la donnée extérieure à des fins d'activation et de recrutement. On ne parlait alors pas de data sharing mais de data broking", explique le professionnel décrivant deux mondes qui ne dialoguaient pas. Mais, avec la disparition progressive des cookies sur les navigateurs, le mouvement vers les walled gardens (l'écosystème fermé des géants du numérique) et les lois de protection sur les données personnelles - le RGPD, notamment, et l'obligation de recueil de consentement qu'il inclut -... les brokers, qui collectent des informations des consommateurs en provenance de différentes sources dans le but de les revendre à d'autres entreprises, perdent du terrain. Adieu donc, aux bases mutualisées, et bienvenue à "l'accompagnement des annonceurs dans du sourcing data, la création de référentiels et de clean rooms", fait part le DGA d'Isoskele et vice-président du SNCD. "Nous parvenons, enfin, à un continuum technologique et marketing sur la fidélisation et le recrutement." Pour le spécialiste, l'idée est ainsi de créer des alliances entre des acteurs aux activités complémentaires - un acteur de l'énergie et un réseau d'agences immobilières par exemple. "Ces partenariats vont au-delà de la data, apportant de la valeur aux clients et des revenus additionnels pour chacun."

Retail media, LA collab' data

Pour les marques qui voudraient tenter l'aventure de la collaboration data, l'approche retail media change la donne. Particulièrement en vogue, il s'agit de l'ensemble des dispositifs de communication présents sur le parcours d'achat des consommateurs, dans les magasins "physiques" des enseignes, mais, aussi, de plus en plus, sur leurs sites e-commerce ou les plateformes sociales - c'est d'ailleurs là que la croissance des revenus retail media s'observe depuis 2020. Un inventaire publicitaire riche de données d'achat des clients encartés (et donc d'emplacements adaptés à chaque campagne) qui peut être utilisé par les marques, moyennant finance, pour plusieurs finalités : de l'insight, pour mieux comprendre le profil des consommateurs ; du ciblage pour générer plus de conversions ; et de la mesure, pour comprendre l'impact de la publicité sur les ventes du retailer. "Les retailers proposent aux annonceurs une data qui a une grande valeur. Les données d'achat en grande surface permettent de récolter une richesse d'informations sur les comportements et les attentes des consommateurs et, ainsi, d'avoir de la matière pour créer un dialogue", commente Artus de Saint-Seine.

Des audiences plus identifiées et packagées... Un Graal pour les marques. "N'ayant pas la capacité d'être en contact direct avec le consommateur final, il est parfois difficile d'identifier son besoin réel et d'évaluer sa motivation à acheter notre produit plutôt que celui de la concurrence, témoigne Ollivier Monferran, head of media and digital France, Belgique et Italie d'Essity (Lotus, Nana, Okay...), à l'occasion d'un webinaire organisé par l'agence de marketing Numberly. La donnée retail media nous permet d'analyser l'approche transactionnelle et, in fine, de mieux connaître nos clients." Un avis partagé par Stephan Caubit, directeur marketing digital et média du groupe Seb, qui complète : "L'accès à la data des distributeurs nous permet de relier les mondes du online et du offline, ce que je ne peux pas faire avec ma donnée first party lors de la vente sur mes propres sites."

Lire aussi :

* Fnac Darty officialise le lancement d'une plateforme retail media et data

La régie publicitaire du groupe Fnac Darty, Retailink, annonce officiellement, le 21 septembre, le lancement de la plateforme "MyRetailink", une solution unifiée de partage de données omnicanales et d'activation media digital pour les fournisseurs, les annonceurs et leurs agences.

* Casino et Intermarché : une offre retail media et data commune

Le groupe Casino (Casino, Monoprix, Franprix) et Intermarché ont créé Infinity Advertising, une joint-venture chargée de commercialiser une offre de retail media et de data sharing auprès de marques alimentaires et de leurs agences. La société opèrera à partir de janvier 2022.

Mais la donnée partagée par les distributeurs permet aussi au groupe Seb de mesurer l'impact de ses campagnes sur les ventes de l'enseigne. Et d'optimiser son achat média. L'industriel collecte ainsi des informations de réaction à ses différentes stratégies marketing (branding, génération de trafic, ciblage de prospects et de clients fidèles) et en nourrit sa Customer Data Platform (CDP). Puis, mesure, via un protocole mis en place avec Numberly, les ventes online et offline chez Carrefour, Amazon et Cdiscount et la part des ventes incrémentales générées par les campagnes médias. Avant de réconcilier les données média avec les données d'achat des retailers. Le groupe dévoile ainsi les résultats d'une campagne menée avec Numberly, notamment sur Facebook et Snapchat, pour promouvoir sa gamme de produits "Ingenio" chez Carrefour. Pour mesurer la valeur incrémentale, le groupe SEB et Numberly ont implanté un tracking sur toutes les activations média (données d'impression et de clics) permettant de remonter les données dans sa CDP. Puis ont poussé les segments d'exposés et de cliqueurs dans la clean room de Carrefour qui les a alimentés de ses données d'achat. Le match des deux audiences a permis de retrouver les communs entre les deux populations. Résultat : le groupe estime avoir réalisé un chiffre d'affaires incrémental de 10 % sur les produits Ingenio ; un ROI sur ces produits de 1,5 et un ROI total Tefal de 3,6.

"Tous les acteurs, marques comme retailers, ont à gagner à la pratique du retail media et de l'insight sharing, la compréhension fine des dynamiques d'une catégorie et d'une marque, fait part Alexandre Marrot. Quand une marque comprend mieux ses consommateurs et sa catégorie, elle met en place les bonnes promotions, les bons prix et les bons assortiments et engrangent, ainsi, des revenus indirects." Pour le Senior Manager de Converteo, le data sharing est bénéfique à la mise à niveau des annonceurs : "Exploiter le data sharing permet de faire monter en compétences des équipes data, de structurer les données et de casser les silos."

Partager ce qui est le plus cher

L'un des enjeux de la collaboration data semble donc de simplifier au maximum l'accès aux données pour les marques. Les distributeurs ne donnent pas seulement accès aux plateformes, mais aussi aux outils de data science permettant aux annonceurs de construire leur propre modèle d'attribution. "Traiter de la data e-retail pour un industriel n'est pas facile. Il y a beaucoup de composantes qui entrent en ligne de compte : algorithmes, projection, extrapolation, achats média en programmatique... Pour être en capacité d'apprendre, il faut être accompagné par des experts pour paramétrer les campagnes", reconnaît Ollivier Monferran (Essity). D'autant qu'avec la multiplication des plateformes mises à disposition par les enseignes, "les équipes data n'ont pas le temps et les ressources humaines pour exploiter efficacement les données", regrette Alexandre Marrot.

Pourquoi, alors, vouloir se procurer encore plus de données quand, dans la plupart des cas, les marques n'exploitent pas encore tout le potentiel des données qu'elles ont déjà ? Avant de "partager", l'agence Wunderman Thompson appelle à se recentrer sur ses propres données : "Avec le RGPD et la fin des cookies, se recentrer sur ses données first party est une priorité. Toutes les données sur les clients et les prospects, et leurs centres d'intérêt, ne sont pas, ou peu, exploitées ; et quand cela est le cas, elles sont souvent mal exploitées, faute de ressources ou de connaissances", prône Géraldine Prudhomme. La head of data ne considère donc pas le fait de compléter ses données avec celles de partenaires comme le principal enjeu des marques. Un avis que partage Felipe Henao, senior manager product marketing EMEA de Talend : "Avant de valoriser la donnée grâce au partage, l'entreprise doit mettre en place tout un système de santé de la donnée pour garantir la qualité, la confiance et la gouvernance, et ce, afin de protéger ses clients. Une solution de gouvernance comme le "data cataloging" permet de savoir comment la donnée est utilisée et à quelle fin." Il ne restera, ensuite, plus qu'à laisser place au "share" de cette chère data...

Clean Room : Remue-ménage dans les datas

Les retailers font place nette sur les datas. S'ouvre de plus en plus de "clean room", nouvel environnement de travail dans lequel le distributeur dépose une partie de ses données, les crypte et les anonymise, pour les rendre disponibles aux marques... qui acceptent elles-aussi de crypter et d'intégrer leurs données client. L'enseigne détermine avec chaque marque les typologies de données qui sont partagées. Ces plateformes dopent le data sharing, rendant possible ce qui ne l'était pas : grâce à cette technologie, les marques n'ont accès qu'aux données qui leur correspondent. Le distributeur, quant à lui, ne peut plus accéder aux données une fois les informations partagées par la marque ou son prestataire au sein de leur environnement dédié. "L'utilisation de "data clean rooms" s'est de plus en plus développée, constate Felipe Henao, Senior Manager Product Marketing EMEA de Talend. Ces solutions permettent de partager les données, et notamment les données à caractère personnel, comme un numéro de téléphone ou une adresse e-mail de manière sécurisée, grâce au cryptage." Pour Thibault Munier, COO de Numberly qui travaille depuis 3 ans avec Carrefour en France : "La clean room de Carrefour, Xperiences, est une première mondiale en digital. Aucun autre distributeur ne proposait jusqu'alors une telle structure de données." Depuis le mois de septembre, Xperiences inaugure avec Numberly un nouveau canal pour cibler les segments d'individus, en plus du display, du social et de la vidéo : l'e-mail, enrichi de la base de données de 80 partenaires de Numberly.



 
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