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Marques génériques : danger ou opportunité ?

Publié par Camille Mathy le

Voir son nom de marque devenir un nom commun n'est pas toujours une bonne nouvelle. Faut-il lutter contre ce phénomène baptisé antonomase? Explication et illustration avec 11 marques devenues cas d'école.

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Marques génériques et antonomase ne font pas (forcément) bon ménage !

Antonomase, quèsaco ? D'après le Larousse, c'est une "figure de style consistant à remplacer un nom commun par un nom propre ou inversement". Exemple : utiliser Sopalin pour papier absorbant. Aujourd'hui, de nombreuses marques déposées sont utilisées dans le langage courant par antonomase, de "passe-moi un Kleenex" à "mangeons un Esquimau" ou encore "payer par Carte Bleue" ? Autant d'expressions qui hérissent souvent ces marques, qui souhaitent protéger leur identité et les valeurs propres à leurs produits. Mais à part écrire aux utilisateurs abusifs de leur nom, elles ont du mal à contrer ce phénomène, à partir du moment où les dictionnaires les inscrivent dans leurs pages.
Côté marketing, rien ne vaut la diversification : sortir du produit unique et attacher à chaque marque une identité forte, une vraie personnalité et... communiquer sur l'ensemble de la marque et non sur un seul produit.

Escalator

Le tout premier prototype d'escalier roulant mécanique fut breveté en 1892 par Jesse W. Reno et installé en 1896 comme attraction dans le parc américain de Coney Island et les visiteurs y étaient... assis. Revu par Charles Seeberger dès 1897, il fut baptisé Escalator, par la contraction des mots "scala" (degré d'escalier) et "elevator" (ascenseur), et commercialisé sous ce nom par la société Otis Elevator Company, qui racheta ensuite le brevet de Reno en 1910.

D'abord massivement construits en bois, ces escaliers roulants mécaniques sont surtout utilisés dans les grandes entreprises, les grands magasins et les stations de métro (Londres comptait quelques anciens modèles en bois jusqu'en 2014).

Le terme Escalator est une marque déposée par Otis et devrait à ce titre prendre une majuscule... mais il est dorénavant passé dans le langage courant, notamment dans les pays anglo-saxons.

Kleenex

Détrônés, les mouchoirs en tissus ! L'arrivée sur le marché, en 1924, des mouchoirs jetables en papier, a signé petit à petit leur quasi-arrêt de mort. D'abord fabricant de produits d'hygiène féminine, un sujet tabou à l'époque, l'entreprise Kimberly-Clark Corporation dépose la marque Kleenex (de l'anglais " clean ", propre) au début des années 1920, et entame de grandes campagnes de publicités dès 1925 dans les magazines féminins américains, notamment Vogue et Cosmopolitan... Au début des années 1930, le responsable produit de la société, victime de rhume des foins, utilise les serviettes cosmétiques Kleenex à la place de ses mouchoirs en tissu... Ravi de l'expérience, plus pratique et plus hygiénique, il convainc le chef de la publicité de communiquer sur cet usage du Kleenex : pari réussi !

Aujourd'hui, et bien que les dictionnaires ne reconnaissent pas l'usage du nom de la marque comme nom commun, on utilise celui-ci couramment par antonomase pour désigner n'importe quel mouchoir en papier... et par extension tout ce qui peut être qualifié de facilement jetable (" salariés Kleenex " pour les employés précaires notamment...).

Scotch

Scotch est une des marques déposées de la société 3M, et fut créée en 1930 par l'ingénieur Richard Drew. L'idée est née dans un garage automobile, où les peintres avaient bien du mal à faire des bordures nettes pour séparer les couleurs quand ils devaient repeindre les voitures (la mode alors était aux véhicules bicolores !). Richard Drew a alors eu l'idée de fabriquer un ruban adhésif large de deux pouces (environ 5 cm), collant sur les bords mais pas au milieu.

Aujourd'hui, le scotch est devenu, par antonomase, synonyme de ruban adhésif et désigne un adhésif sur une seule face et transparent.

Velux

Fabricant danois de fenêtres de toit, la marque Velux est fondée en 1941 et déposée en 1942. Familièrement utilisé pour désigner un châssis à tabatière, une sorte de vasistas de toiture, le mot Velux vient de la contraction de " ve " pour ventilation et " lux ", lumière en latin. L'utilisation du terme velux par antonomase depuis de nombreuses années est contestée par la marque, et s'écrit toujours sans accent et avec une majuscule. Aujourd'hui, Velux est présente dans 40 pays dans le monde et compte quelque 10 000 collaborateurs, dont près de 1 200 en France.

Post-it

Un petit bloc, des petites feuilles autoadhésives qui collent, se décollent et se recollent sur tous supports (presque) à l'infini : le Post-it a été inventé en deux temps, en 1968 et 1974, par deux chimistes de l'entreprise américaine 3M. Tout est parti de la chorale de l'église presbytérienne de North Saint Paul, dans laquelle chantait Arthur Fry, chimiste de 3M, qui, agacé de voir ses marque-pages glisser sans cesse de son hymnaire, eut l'idée de les enduire de colle antidérapante, laquelle avait été fabriquée quelques années auparavant par son collègue Spencer Silver.

Il fallut cependant attendre 1980 pour que cette invention soit commercialisée, d'abord aux États-Unis, puis à partir de 1981 en Europe et au Canada. Par antonomase, le nom de la marque est devenu aujourd'hui synonyme de pense-bête. Et pour ne pas être réduite à ces petits blocs, la société mise beaucoup sur l'innovation, "seul moyen de se différencier" selon le service marketing de 3M. Post-it représente ainsi plus de 400 références, des Notes aux tableaux adhésifs en passant par les dévidoirs par exemple.

Jacuzzi

Aujourd'hui image de luxe, calme et volupté, le bain tourbillon, aussi appelé bain à remous, a été inventé en 1956 par l'Italien Candido Jacuzzi. À l'époque directeur d'une usine de fabrication d'hélices d'avion et de pompes hydrauliques, il signore Jacuzzi avait eu besoin d'un dispositif tel que celui-là pour son fils Kenneth, qui souffrait d'arthrite rhumatoïde et que seule l'hydrothérapie soulageait. Les premières baignoires à remous furent commercialisées en 1968, le nom Jacuzzi ayant été déposé comme marque commerciale peu avant.

En France, la marque est utilisée comme nom générique pour les baignoires équipées d'un système d'injection d'air puisé et d'eau sous pression, afin de procurer un effet massant et relaxant aux (chanceux) utilisateurs.

Kärcher

Entreprise fondée en 1935, l'Alfred Kärcher GmbH & co. a donné son nom aux nettoyeurs à eau à haute pression, quelle que soit dorénavant la marque. Ce phénomène d'autonomase ne plaît pas particulièrement à la marque qui n'hésite pas à mettre en garde les " contrevenants " d'une " utilisation abusive " du nom de la marque, notamment à des fins politiques (en 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, avait évoqué le fait " de nettoyer la Cité des 4000 au kärcher "), réaffirmant par là les vraies valeurs de l'entreprise, " façonnées par 70 ans d'histoire ".

Après un nouvel incident en 2010 (une phrase malheureuse de Fadela Amara cette fois), la société Kärcher a sévi refuse dorénavant de sponsoriser les Journées européennes du patrimoine et de prendre en charge une opération de nettoyage de la façade du palais de Chaillot à Paris, prévue pourtant à ses frais à hauteur de deux millions et demi d'euros.

Pédalo

Si les premiers prototypes de bateau à pédales datent du XIXe siècle, c'est en 1934 qu'un charpentier de marine de Juan-les-Pins, Jean-Eugène Canton, dépose la marque Pédalo pour son " engin de navigation perfectionné " : un bateau à pédales donc, équipé d'un siège et de deux flotteurs parallèles. Manoeuvré grâce à un gouvernail, ces bateaux utilisés comme engin de loisir sur les plans d'eau peuvent accueillir entre deux et six personnes.

Entre 1986 et 2008, le propriétaire de la marque, Bernard Borelly, s'opposait systématiquement à toute utilisation générique du nom " Pédalo " et plusieurs arrêts ont été rendus dans les années 1980, en premières instances puis en cours d'appel. Les procédures, aujourd'hui toutes éteintes, ont été closes par la cour d'appel de Grenoble le 13 mai 2008 en ces termes : " [...] Il n'est pas contesté que le nom pédalo [...] est un nom déposé. Pour autant, il est difficile de ne pas reconnaître que le terme " pédalo " est entré dans le langage courant [...]. Il en résulte que la marque, qui n'avait qu'une valeur limitée lors de son acquisition, a perdu toute valeur du fait de la vulgarisation progressive et l'emploi courant du terme [...] par l'ensemble des utilisateurs de l'engin " (CA Grenoble, 1re ch., 13 mai 2008).

Fooding

Le fooding cherche à regrouper des tendances diverses de la restauration en mettant l'accent sur la nouveauté, la qualité et, entre autres, " le refus de l'ennui ". Au départ, Fooding est cependant une marque déposée, née en 2000 en France et créée par Emmanuel Rubin et Alexandre Cammas. Il s'agit en fait d'un guide annuel recensant des restaurants et des événements gastronomiques partout dans le monde et disponible aux formats papier, électronique et sous forme d'appli. Formé des mots anglais " food " pour nourriture et " feeling " pour le sentiment, le fooding veut défendre une " gastronomie moins intimidante " selon les mots de Frédéric Mitterrand. Véritable phénomène de société, l'art du bien manger dans une ambiance festive fait dire à l'écrivain américain Adam Gopnick qu'il est " à la cuisine ce que la Nouvelle vague a été au cinéma ". Voilà bien un exemple d'antonomase qui ravit ses créateurs...

Thermos

C'est en 1881 qu'Adolf Ferdinand Weinhold décrit l'invention d'une bouteille à vide d'air pour une utilisation en laboratoire. Idée reprise à la fin du XIXe siècle par sir James Dewar qui créa un contenant isolant avec deux parois en verre séparées par du vide et qui portait le nom de vase de Dewar. À son tour, en 1903, le souffleur de verre berlinois Reinhold Burger de Pankow fit sienne cette idée et déposa un brevet pour ses flacons à double parois, commercialisés sous la marque déposée Thermos GmbH. Dans les années 1920, cette bouteille a notamment été vendue équipée d'une tétine à tube plongeur sous forme de biberon.

En 1963, la marque déposée Thermos, présente dans plus de 115 pays, tombe dans le domaine public aux États-Unis et désigne par antonomase tout type de bouteilles et récipients isothermes.

Durit

Un tube en caoutchouc renforcé de toile, puis de nappes textiles ou métalliques de plus en plus complexes avec l'évolution des techniques : voilà ce qui caractérise la Durit, marque déposée désormais et depuis longtemps tombée dans le domaine public. Avec les avancées des matériaux et les évolutions mécaniques, la marque a elle aussi... muté, et le caoutchouc d'origine est maintenant remplacé par du butyle, divers polymères ou d'autres mélanges complexes. En français, la marque a été francisée et l'on parle de " durite ", l'usage commun ayant oublié l'origine du produit et /ou le nom de l'inventeur...

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