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DossierLe coaching appliqué au marketing

Coach me if you can ! Voici un défi que les marques s'empressent de relever, avec brio. À grand renfort d'arguments "mieux-être" et face au culte de la performance individuelle, les marques deviennent de précieux partenaires au quotidien. Alors, demain, tous coachés ?

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Le coaching appliqué au marketing

Quand les marques coachent les consommateurs

" Elsa voit quelqu'un ", expliquent ses parents. Ce n'est ni un psy ni un nouveau petit ami. Elsa est en terminale et son orientation relève du casse-tête. Elle est donc coachée. Le processus APB - pour admissions post-bac - est d'une complexité telle que les familles se tournent de plus en plus vers une aide extérieure. Le groupe L'Étudiant propose ainsi unservice "Coaching orientation". Elsa fait partie des 1 500 jeunes aidés chaque année par des conseillers d'orientation et des psychologues. La marque-média existe depuis 40 ans et sa légitimité à offrir un tel service est incontestable. La Société Générale ouvre pour sa part une "Coaching room", un mode d'emploi pour comprendre les métiers de la banque et de la finance. Jusque-là, tout semble plutôt logique dans la stratégie marketing de ces deux marques, qui se diversifient vers l'offre de services connexes.

Là où l'on est en droit de s'interroger, c'est sur l'emploi du mot coaching appliqué à la consommation. Chaussures connectées (Nike+), pèse-personne qui contrôle le poids (la Web Coach Pop de Terraillon), vélo d'appartement connecté aux vendeurs coachs (prototype chez Decathlon), personal coach en lunettes (Lissac)... les exemples foisonnent ! Le succès des émissions de télécoaching a poussé le phénomène à l'extrême : de "Belle toute nue" sur M6 à "Pascal, le grand frère" sur TF1... NRJ12 lancera même, à la rentrée, un programme générique, "Coach de vie". À chaque questionnement, les marques sont là. Elles répondent, accompagnent et "challengent" leurs clients.

" Qu'il s'agisse de marques de grande consommation ou de services, certains ont choisi la posture du marketing partagé. Autrement dit, au-delà de l'achat, aller plus loin pour devenir plus performants ", décrypte Jérémie Abric, directeur de la stratégie de Dagobert et auteur d'une étude sur le sujet. Car le coaching appliqué au marketing, c'est la promesse de réussir ses objectifs... de consommateur. Quand Contrex lance "Ma Contrexpérience", la marque devient le "partenaire minceur". Elle offre des programmes d'accompagnement : menus et conseils de nutrition, mais aussi des défis minceur et des alertes anticraquage sur les réseaux sociaux pour perdre du poids. Ici, le contenu fait office d'entraîneur. C'est la posture la plus répandue, aujourd'hui. " Si les gens se font aider, c'est qu'ils en ont besoin, pondère Philippe Cahen, prospectiviste et spécialiste des signaux faibles. La société s'est considérablement complexifiée et les modes d'emploi ne suffisent plus. Un intermédiaire peut aider à décrypter, à prendre les bonnes décisions. Cette délégation vers un tiers plus savant ou plus expérimenté que soi va bon train. "

Mais c'est l'idée de performance, donc d'objectifs chiffrés à atteindre, qui est la plus novatrice. Compter pour aller mieux, plus loin et plus vite... Le sociologue Robert Ebguy déconstruit cette posture, qui consiste à " s'autoquantifier, dans une société toujours plus formatée. Le coaching se développe dans une société devenue vulnérable car précaire et insatisfaite. "

Coaching : définition

De l'anglais "coach", qui vient du français "coche", d'abord au sens de "carrosse" ou de "voiture". C'est ce qui nous sert pour nous rendre d'un point à un autre. Le mot devient ensuite en argot universitaire "répétiteur" ou "entraîneur".

Slideshare : Les marques coach

<>Les marques coach from Dagobert

Le coaching est parfois indiqué dans le domaine de la formation et de l'éducation. Mais les marques se sont emparées de ce phénomène pour l'appliquer à la consommation. Elles encouragent les consommateurs à devenirs performants.

Coaching : de la performance de l'intime

Après la chaussure Nike+, la marque lance le bracelet Fuel Band.

C'est l'entreprise et la compétition sportive qui, au départ, ont initié ces méthodes d'évaluation, lesquelles touchent aujourd'hui à l'intime. Le coaching en entreprise, réservé un temps aux seuls dirigeants, est maintenant appliqué à l'ensemble des cadres. Qu'il ait pour nom "accompagnement au changement" ou "dynamique de motivation", il s'agit peu ou prou d'un mécanisme de tutorat extérieur. Le sport, discipline où être meilleur que les autres a vraiment un sens, a révélé cette figure mi-déifiée (Philippe Lucas pour la nageuse Laure Manaudou), mi-paternaliste (Richard Williams pour ses tenniswomen de filles). Une figure un brin autoritaire, mais c'est pour leur bien, puisqu'il s'agit de gagner des médailles.

La raquette Babolat "play and connect" mesure votre jeu.

Ce sont donc logiquement les marques de sport qui ont ouvert la voie à ce marketing de surveillance. Ainsi, Nike installe un système de tracking dans la chaussure (Nike Fuel Band), destiné à analyser la course de celui qui la porte. Les informations sont enregistrées et permettent d'analyser les performances et les progrès du coureur. Même les calories perdues sont comptabilisées. La raquette de tennis Babolat, lancée en 2012, renferme dans son manche une sorte de diode connectée pour mesurer la force d'un coup droit et établit un monitoring précis du jeu de celui qui l'a achetée... qu'il soit champion ou pas.

La fourchette Hapifork, avec diode et port USB, contrôle vos efforts pour mieux manger.

" On est ici dans une posture de dépassement de soi, poursuit Jérémie Abric. On parlera alors de marques mentor qui boostent. Elles mettent à disposition des outils digitaux que les consommateurs sont libres d'utiliser ou pas. La relation de confiance est alors un prérequis pour cette nouvelle collaboration. Si la marque est légitime, elle peut aller jusqu'à bousculer et culpabiliser. " On a donc importé le reporting du bureau (objectifs analysés par le contrôle de gestion) dans son univers intime, dans une nouvelle "quantification de soi", selon l'expression du sociologue Robert Ebguy. Dernier exemple en date : la Hapifork. Une fourchette qui vibre si le consommateur mange trop (elle pèse les aliments à chaque bouchée) ou trop vite...

La marque amie qui rassure

Mais c'est la posture de l'empathie - dite de "l'enabler" (NDLR : rendre capable de) - qui est la plus répandue aujourd'hui, selon les marketers anglo-saxons. Comme l'accompagnement de Castorama, via ses tutoriels d'aide au bricolage "C'est castoch", ou encore le système d'aide à l'éco-conduite embarquée de Fiat.

" Vendre un produit ne suffit plus, explique encore Jérémie Abric (Dagobert). Les marques doivent proposer aussi le service qui va avec. " Seb ne faisait pas autre chose, avec son livre de recettes offert en même temps que l'achat de la cocotte-minute. C'était il y a 60 ans. Dans son programme relationnel "Du côté des mamans", Blédina accompagne et déculpabilise les mères qui choisissent des menus tout faits pour leurs enfants. La marque se dit "à vos côtés pour vous faciliter la vie au quotidien et vous aider à construire le capital santé de votre bébé". Conseils, forums, tchats, assistance téléphonique et même appli (My Blédina) pour devenir une bonne mère. Autant de réponses clés en main face à des doutes ancestraux et légitimes.

Des domaines sportif et professionnel, le coaching est passé dans la sphère intime. Dès lors, les marques ne se contentent plus de vendre, mais se font aussi les coachs des consommateurs.

" Le coaching se développe sur la peur de ne pas y arriver "

Pourquoi liez-vous la prégnance actuelle du coaching à une crise d'identité ?

Le coaching fait son beurre sur la misère existentielle. Son argumentaire suit les lignes de fracture de notre société : crise de défiance dans l'Église, l'État, les élites, dans l'entreprise, les syndicats... Le coach se présente alors comme celui qui va reconnecter l'individu à la société. Un business qui se développe sur le terreau des fragilités humaines.

Robert Ebguy, sociologue

Vous faites le même constat pour les marques coachs ?

Les marques sont devenues des révélatrices d'existence. Elles offrent de l'expérience, des émotions... Par elles, on s'intègre et on s'identifie. Mais on est surtout reconnu, on devient quelqu'un facilement. On porte alors comme étendard une identité "repackagée", comme une marchandise, en somme. C'est un formatage en règle mais ça marche.

La course aux objectifs a-t-elle des répercussions sur les individus ?

Il faut observer ce qui se passe dans les entreprises qui ont adopté les premières ces techniques de management par objectifs. Pour la finance ou la vente, on peut comprendre. Mais transposer cette pression des chiffres dans la vie intime me paraît discutable. Les individus sont maintenus en permanence en compétition les uns contre les autres, sans phase de récupération. Ce qui en découle, c'est la peur de ne pas y arriver. Ce n'est pas sain.

Dans les médias, les programmes présentant des coachs à l'oeuvre sont légion. Qu'en pensez-vous ?

Les émissions de télé-coaching sont comme les publicités de lessive. Le "avant/après" la tache de gras. Le coach du petit écran accompagne le candidat de l'anonymat à la lumière. Une sorte de bonne fée. Ces programmes profitent également de la crise identitaire en provoquant un processus d'identification. "Toi aussi tu peux y arriver si tu veux ! Si tu te prends enfin en main...", disent-elles, en substance. Les médias ont largement popularisé ce mot anglais venu du management. On trouve aussi tuteurs, entraîneurs, guides, conseillers, mentors...

" Aurions-nous besoin d'un tiers pour positiver ? ", s'interroge le sociologue Robert Ebguy. Auteur de l'ouvrage polémique "Je hais le développement personnel" (éditions Eyrolles), il décrypte la montée en puissance du coaching dans nos vies.

Le Net et ses communautés d'e-coaching

Maïa Baudelaire, Coach nutrition (My Diet Coach)


Dévoiler ses questions personnelles sur des forums de discussion n'est pas nouveau. Entre anonymat et défouloir, l'exercice s'est professionnalisé. La prégnance des réseaux sociaux a fait exploser l'e-coaching. Maïa Baudelaire, nutritionniste, (elle capitalise 25 ans de marketing santé pour Unilever ou Kellogg's, notamment) a créé une plateforme d'aide à la perte de poids baptisée My Diet Coach. " Un régime alimentaire, c'est difficile à tenir sur la durée et on a besoin d'une personne pour nous tenir la main. My Diet Coach accompagne et motive dans la bienveillance. Nos nutritionnistes diplômés deviennent comme des amis à qui on se livre pour aller mieux. " Elle assume le côté un peu confessionnel de sa méthode. Son service vient d'être reconnu par les mutuelles, lui conférant ainsi une légitimité qui va développer son business.

37,5 milliards d'euros

C'est le poids économique du marché du bien-être et du "mieux-être" en France.
(Insee, 2013)

Borey Sok, consultant en marketing reconverti en coach collaboratif spécialiste des histoires sentimentales.

Autre terreau du coaching : les relations amoureuses. Le dernier exemple en date mêle deux tendances : le collaboratif et les réseaux sociaux. Borey Sok, consultant en stratégie de marque, fonde ainsi Smoosee en mars dernier. " C'est une plateforme de coaching collaboratif pour régler ses problèmes de coeur. L'originalité, c'est que tous les membres sont eux-mêmes coachs. La simple appartenance à la communauté Smoosee leur confère ce statut. Les membres notent les conseils de telle ou telle personne. Plus le conseil est pertinent et plus la personne est active, plus sa reconnaissance comme coach sera légitime. " Borey Sok, dans une étude de marché, découvre que 30 millions de messages sont échangés depuis trois ans sur les problèmes de coeur. " Je suis fasciné par la culture américaine, où le coaching est un mot courant, affirme-t-il. En France, avoir recours à un coach signifie que l'on a un problème, alors que c'est juste un outil pour progresser ! " Mais si les membres et modérateurs de Smoosee découvrent qu'une personne va vraiment mal, elle est dirigée vers "Sophie-coach" (ou Margaux ou Fanny). Trois professionnelles diplômées de l'École psychologues praticiens (EPP), qui répondent à sa question en 48 heures, en échange d'une participation financière. " Ce qui est surprenant, c'est qu'il y a davantage de personnes qui donnent leurs avis que de personnes qui avouent leurs problèmes, révèle Borey Sok. Ce qui me conforte dans l'idée que nous sommes tous des coachs en puissance ! "

Légitime ou pas, ce n'est pas le problème, apparemment. Il subsiste tout de même en France une suspicion sur le mot " coaching ". Qu'il s'agisse d'une marque qui adopte cette terminologie ou de personnes qui l'incarnent, le doute est là. Et le coaching est souvent associé à l'emprise mentale, aux dérives sectaires, à l'amateurisme, au formatage, au culte de la performance... Autant de signaux qui devraient alerter les responsables marketing. Le recours quasi systématique aux anglicismes n'est pas toujours pertinent...

Etats-Unis : un coach pour pousser mon chariot

Aux États-Unis, en matière d'accompagnement à la consommation, on en est déjà au coup d'après : le personal shopper alimentaire. Lorsque le pourcentage d'obèses passe la barre des 35 % (contre 14 % en France), il est temps d'innover.

Ainsi, plusieurs chaînes locales ( Hy-Vee, Wegmans et Giant Eagle, notamment) recrutent des personal shoppers, spécialisés dans la maîtrise de l'apport calorique, dont le rôle est d'apprendre aux clients non pas à consommer moins - ce serait contre-productif... - mais à consommer mieux. Hy-Vee, la chaîne la plus innovante, basée dans l'Iowa, emploie 190 diététiciens dans ses 290 points de vente, et le succès est là. Outre les conseils et l'accompagnement sur le Net - menus sur mesure, thérapies nutritionnelles et autre coaching de suivi de perte de poids -, des "Shopping tours" sont organisés dans les rayons en compagnie d'un diététicien. La signature de cette enseigne, "A helpful smile in every aisle", autrement dit un sourire bienveillant dans chaque allée, donne le ton... Il ne s'agit pas d'une opération philanthropique (même si certains des services offerts sont gratuits), puisqu'il en coûte 119 dollars pour deux séances de coaching en linéaires. Mais quid des produits qu'un diététicien vraiment objectif sera forcé d'éviter alors que le directeur de magasin a stratégiquement envie de les pousser ?

A. N. avec Hugues Serraf

Les internautes confient de plus en plus leurs problèmes personnels sur les forums et les réseaux sociaux. De nouvelles plateformes de coaching voient le jour sur le Net, où les conseils légitimes des professionnels se mêlent à ceux des internautes.

Pour aller plus loin

Fondamentaux - Formation, coaching, mentorat : pour grandir, faites-vous accompagner

Qu'est-ce que le coaching de marque ?

Nivea dans la peau d'un coach

La marque, nouveau coach du quotidien

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