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[Tribune Libre] Facebook : comme on brûle une idole

Publié par le | Mis à jour le
Laurent Buanec
Laurent Buanec

Pas une semaine sans qu'un article ne sorte sur les difficultés, supposées ou avérées, de Facebook. Erosion, désintérêt, abandon, crash, hémorragie... les mots pleuvent comme autant de promesses angoissantes livrées à la foule par les prédicateurs. La fin est proche, lit-on entre les lignes.

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Les faits sont là, et ils sont sans appel. En février dernier Blake Ross, directeur de produit arrivé chez Facebook en 2007, publie une lettre de départ. Raison invoquée : un journaliste de chez Forbes aurait demandé au meilleur ami de son fils si Facebook était encore cool, et l'ami en question aurait répondu " Non ! ". Il aurait même ajouté que tous ses amis pensaient la même chose. Cette réaction lui aurait fait reconsidérer la viabilité à long terme de Facebook. Il s'agissait d'une simple boutade. Seulement l'anecdote est reprise partout au premier degré. Blake Ross devient malgré lui le symbole d'un Facebook jugé sur le déclin.

Au même moment Adam Ludwin lance Albumatic, une (énième) application de partage de photos. Lors de pré-tests son panel, constitué, accrochez vous, d'une vingtaine de jeunes de moins de 25 ans lui aurait signifié son désintérêt pour Facebook. La preuve est faite ( ?), la sanction tombe, les titres sans appel se multiplient sur l'air du désamour des jeunes pour Facebook.

Une raison est d'ailleurs toute trouvée : les parents, tels des épouvantails, feraient fuir les ados par chaloupes entières. Chaloupes répondant aux doux noms de Pheed, WhatsApp, Kik, Snapchat, Vine et autres Line. A se demander comment les serveurs de ces jeunes services tiennent le choc face à un tel déferlement...

"Next Big Think"

C'est de bonne guerre, nous sommes nombreux à la recherche du " next big thing ". A force de miser sur chaque nouvel entrant, ça finira bien par tomber. Mais soyons sérieux deux secondes. Ceux qui annoncent aujourd'hui que Pheed va mettre tout le monde d'accord et reléguer Facebook et consorts sur le banc de touche sont ceux là mêmes qui nous prédisaient la prise de pouvoir imminente d'un Path ou d'un Quora il y a déjà deux ans.

Ces services sont souvent bien conçus - et on ne peut que leur souhaiter de réussir - et connaissent des succès relatifs auprès de certains segments de population, mais de là à détrôner en quelques mois le géant Facebook il y a un pas que certains n'hésitent jamais à franchir. On peut, je pense, raisonnablement admettre que chacun de ces services étant de nature et de proposition différente, il est de toutes les façons difficile, pour ne pas dire maladroit de les comparer. Par ailleurs, il faut être réaliste, le système publicitaire de Facebook est bien souvent l'une des raisons d'une certaine désaffection ou de prises de distance avec le réseau. Or la majorité de ces nouveaux services gratuits n'ont aucun modèle économique. L'environnement et l'expérience ne s'en trouvent que facilité. Pour le moment... Mais pour prétendre à un rôle de véritable challenger, il leur faudrait évoluer vers cette maturité commerciale. Enquêter, relater ok. Mais gardons nous de tomber dans la précipitation et l'excès ou nous pourrions bien finir sur HoaxBuster*.

Facebook est-il vraiment sur le déclin ?

C'est le cas si l'on en croit le très respectable Guardian. Le journal Britannique a récemment pointé du doigt une chute vertigineuse du nombre d'utilisateurs uniques aux Etats-Unis et au Royaume Uni ces derniers mois (- 4% environ en Mars). Même tendance pour l'Allemagne et la France. Le Guardian s'est appuyé sur des données issues de SocialBakers, une société d'analyse de données des médias sociaux très connue. Le hic c'est que Jan Rezab, CEO de SocialBakers a apporté un démenti formel, en précisant que ces données devaient être utilisées avec précaution et avaient été mal interprétées par le journaliste du Guardian. Et de préciser que SocialBakers avait déjà, dans le passé, alerté le Guardian sur la mauvaise exploitation de ses données. Au final l'article du Guardian a été repris tel quel partout. Et le démenti de Jan Rezab, à peu près nulle part.

Début mai Facebook a publié ses propres chiffres. Ils sont en légère hausse pour atteindre 1, 11 Milliards d'utilisateurs actifs mensuels, et 665 Millions d'utilisateurs hebdomadaires au global. Selon eMarketer, au premier trimestre de cet année, 51% des internautes dans le monde consultent le réseau au moins une fois par mois. Selon la même source, ce chiffre pourrait atteindre 60% des utilisateurs d'ici la fin de l'année. Une bagatelle...

En France nous sommes plus de 25 Millions. Nous y consacrons environ 4h par mois, contre 1 heure et demi à Google, 1h à Youtube, 30 min à MSN... Facebook représente en France 18% du temps passé sur le web (Google arrive en seconde position avec 8%). Sur les 15-24 ans ce chiffre s'élève à 29%. ** C'est simplement colossal ! Et le colosse est donc encore loin d'avoir un genou à terre comme on peut parfois le lire.

Jamais entreprise n'a connu croissance aussi rapide pour atteindre une telle hégémonie. Il faut bien que cette croissance s'arrête un jour, sans quoi cela reviendrait à considérer que le réseau est destiné à conquérir presque spontanément 100% de la population. Insensé. Même si Mark Zuckerberg doit en caresser le rêve. Plutôt que d'imaginer qu'il n'y ait point de salut pour Facebook hors croissance, ne peut-on pas imaginer une phase de réajustement et de stabilisation propre à certains produits grand public ? Facebook, tel un château de cartes, serait-il condamné à connaître une déchéance à la mesure de son succès, rapide et vertigineuse ?

La pub ? 85% des revenus de Facebook

Facebook a annoncé avoir réalisé un chiffre d'affaires de 1,46 milliard de dollars au premier trimestre 2013, en progression de 38%. Les revenus issus de la publicité eux s'élèvent à 1,25 milliard de dollars, représentant 85% du chiffre d'affaires, et en hausse de 43%. Je ne suis pas un analyste financier, mais j'ai comme le sentiment qu'en ces temps difficiles beaucoup d'entreprises aimeraient pouvoir afficher de tels résultats. Il me semble que beaucoup l'enterrent un peu vite et contribuent à alimenter une légende urbaine selon laquelle Facebook ressemblerait bientôt à une ville fantôme.

La "Social Fatigue" une réalité

Facebook, dans son rapport annuel d'activité 2012 publié début février, le reconnaît lui-même " Nous sommes conscients que nos utilisateurs, et en particulier les plus jeunes, ont un engagement moins fort sur notre site, et que cela profite à d'autres services et plateformes comme Instagram ". Cela tombe bien, ce service lui appartient désormais, et bien que les montants en jeu semblent démesurés (achat pour 1 Mds de dollars ramenés par la suite à 747 Millions), cette acquisition représente un placement stratégique pour Facebook.

Ensuite, la " social fatigue " est une réalité, et concerne en premier lieu Facebook. Trop plein d'informations, vacuité des propos, course à l'ego... certains, lassés, peuvent se désintéresser (pour un temps ?) des réseaux sociaux. Et puis il y a bien sûr le spectre de Myspace***, ancien roi déchu, acheté 580 Millions en 2005, valorisé à 6 Milliards en 2006 et bradé à 35 millions en 2011. Entre temps Facebook était passé par là, et avait aspirer une partie de son audience. Du coup certains verraient bien l'arroseur arrosé, et imaginent l'histoire se répéter, cette fois aux dépends de Facebook. Pourtant la situation est bien différente. D'un côté nous avons Myspace, une plateforme communautaire originellement centré sur la musique qui aspirait à devenir plus généraliste. De l'autre nous avons Facebook qui d'entrée est un réseau social généraliste, qui intègre des communautés et des centres d'intérêts spécifiques (musique, photographie, jeux...). En cela il est devenu un peu le réseau des réseaux. Son assise étant plus solide il devient plus difficile pour un challenger de le renverser. Et son empire ne s'arrête pas à sa seule frontière puisque grâce à son opengraph il a vocation, ou du moins l'ambition de devenir une sorte d'OS (Système d'Exploitation) Social du web.

Début mai Facebook a intégré le très prisé Fortune 500, un palmarès qui regroupe les 500 premières entreprises des Etats-Unis en termes de revenus annuels. Au passage il a battu le record de l'entrée la plus rapide dans le classement après une introduction en bourse, jusque là détenu par Google avec 16 mois. Facebook y est parvenu en moins d'un an. Qu'importe, pour beaucoup la messe est dite. Et cela vaut aussi bien pour les utilisateurs que pour les professionnels du marketing.

Trois jours avant cette fameuse introduction en Bourse, General Motors avait bien savonné la pente, en annonçant avec perte et fracas qu'ils arrêtaient d'investir chez Facebook, les publicités y étant jugées inefficaces. Panique à bord. Sauve qui peut. L'information est fortement relayée et fait le tour des directions marketing et communication. Si la plupart des annonceurs garde le cap, quelque chose dans leur perception a changé. Sauf que depuis le Directeur Marketing de GM qui avait pris cette décision a été congédié. Et que depuis GM a décidé de revenir sur Facebook pour y déployer la première campagne exclusivement mobile de son secteur.

Le réseau est devenu une institution et qui a perdu de sa fraicheur auprès des early adopters l'impact est terrible, car cette impression continue d'alimenter des propos à charge, parfois infondés, souvent injustes. Alors bien sûr Facebook donne souvent le bâton pour se faire battre, en changeant régulièrement et de façon plus ou moins impromptue son interface, ses paramètres de confidentialité, en imposant aux annonceurs une forme de taxe publicitaire pour l'exposition de leurs contenus, et aux utilisateurs des formats toujours plus intrusifs.

Chacun est bien évidemment libre de s'exprimer et faire valoir son interprétation. En cela personne n'est garant de la vérité, et les différences de point de vue comme les débats contradictoires sont utiles et constructifs. Le travail de veille, de décryptage et d'anticipation est nécessaire au progrès, et nous conduit nécessairement à prendre des risques, et à miser sur des faits ou usages encore non avérés. N'étant ni Marty McFly, ni des devins nous pouvons nous tromper.

Clamer que Facebook est mort ou sur le déclin est selon moi une erreur. Cela devient une faute lorsque l'on attaque Facebook comme l'on casse ses jouets.

* Hoaxbuster est un site Web créé dans le but de limiter la propagation des canulars informatiques (hoax) et des fausses rumeurs circulant sur Internet. Source : Wikipedia

** Données Médiamétrie NetRatings Mars 2013

*** Myspace a fait peau neuve en début d'année et se reconcentre sur la musique et la culture

(1) Le GroupM Interaction est le pôle d'expertises digitales des agences de GroupM (entité qui regroupe les agences médias de WPP: Mediacom, Mindshare, MEC et KR Media)

 
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