Idée.zip n°2 : "Mieux prédire l'irrationalité du consommateur"
Dans le cadre de la nouvelle rubrique Idée.zip by BVA, en partenariat avec "Marketing Magazine", Richard Bordenave donne son point de vue sur les idées fortes du best-seller de Dan Ariely, "Predictably irrational" (sorti en français chez Flammarion sous le titre "C'est vraiment moi qui décide ?").
Je m'abonne"Predictably irrational" de Dan Ariely bat en brèche le mythe du consommateur porté par l’économie néoclassique. Non, le consommateur n’est pas cet agent rationnel et calculateur qui maximiserait son propre intérêt en évaluant toute l’information disponible. Dans la vraie vie, sous le poids des contraintes, nous agissons plus comme Homer Simpson que comme un super-calculateur. La preuve : nous sommes toujours prompts à craquer sur des articles chers et pas si indispensables, et nous remettons à demain les choix sur l'épargne ou la retraite par exemple. Dans nos achats quotidiens, nos émotions et nos raccourcis décisionnels nous éloignent dans la plupart des cas de l’optimum mathématique, sans pour autant que nous ne sachions toujours exactement pourquoi ni comment.
Grâce à de multiples expériences ludiques, et non moins scientifiques, Dan Ariely nous dévoile le pourquoi et le comment de cette fameuse irrationalité : les circonstances de la décision comptent autant que la décision elle-même. Et nos biais de jugement sont tellement systématiques qu'ils en deviennent prédictibles : le biais est en fait la norme !
Par exemple :
- nous fuyons plus le risque que nous ne courons après le gain : ce qui nous pousse à accepter plus facilement une opération chirurgicale à 95% de chance de succès plutôt qu'une autre avec 5% de risque d'échec.
- nous inférons inconsciemment le prix sur la qualité : ce qui rend étonnement plus «efficace» un médicament payé plus cher...
- nous sur-valorisons le plaisir de l'instant plutôt que celui de demain : ce qui nous pousse à manger cette tablette de chocolat maintenant et à repousser le régime à plus tard.
- l’humeur que crée la situation modifie nos jugements : et nous sommes moins prudents dans l'excitation d'un moment agréable (en matière de contraception ou de boisson par exemple).
- et plus étonnant nos évaluations sont par exemple largement influençables par le dernier chiffre manipulé lors d'un exercice antérieur (biais d'ancrage), ou bien par nos souvenirs les plus frais (biais de disponibilité) ...
Au-delà de ces mécanismes individuels (déjà bien explorés par Kahneman, voir idée zip n°1), Dan Ariely va plus loin en montrant que des mécanismes sociaux, comme l’altruisme ou le mimétisme, peuvent aussi se révéler de puissants moteurs de nos comportements. Ils influencent notre consommation sans jamais la réduire à l'intérêt individuel de l’impossible homo economicus...Ainsi le premier qui donne son choix au restaurant influence-t-il le choix de tous les autres!
Conséquence pour le marketing : s'intéresser d'abord aux circonstances de la décision
Tout ce que nous dit le consommateur n'est pas à prendre pour argent comptant, car l'être humain est un champion de la post-rationalisation, même de bonne foi. La connaissance du mode de formation implicite de nos jugements est ainsi au cœur de notre savoir-faire historique : chez BVA nous analysons conjointement observation des comportements et mesure des opinions. Cette double lecture permet d’éviter les biais classiques (effets de groupes, ou les effets d'ordre par exemple). Mais paradoxalement : ce savoir-faire est beaucoup plus précieux dans l'art et la manière de reproduire en test ce qui fait la norme du jugement du consommateur dans la vraie vie : en recréant le contexte ou la mission qui vont conditionner les écarts à la rationalité. Nos programmes de recherche ont montré qu'un consommateur n'est souvent pas capable de donner une réponse prédictive de son comportement futur à moins d'être immergé dans les circonstances de test adéquates. Cela n'est ni du mensonge ni de la sur-déclaration, il lui manque souvent deux éléments clefs pour former son jugement habituel : le contexte et le cadre mental. Pour révéler les leviers marketing qui comptent dans la décision du shopper en rayon, BVA vient de lancer un programme de recherche en magasin expérimental avec Dan Ariely et son équipe : les résultats seront partagés avec l'ensemble de la communauté scientifique.
Bien qu’identique dans les deux cas, la taille du rond rouge semble différente en fonction du contexte
Vers une nouvelle approche des leviers de fidélisation ? Les idées d'Ariely prennent un écho particulier en matière d'analyse de la relation client. Il nous alerte sur le fait qu'en matière de comportements, les deux moteurs que sont les lois du marché et les normes sociales sont en fait assez peu compatibles. Imaginez que quelqu’un vous demande de l’aide pour pousser sa voiture qui ne démarre pas : vous accepterez peut-être par sympathie. Mais s’il vous propose de vous donner deux euros pour le faire ? La relation devient transactionnelle et cela modifie complètement votre perception. Peut-être allez-vous même refuser de l’aider pour si peu ! Ce constat est essentiel en matière d’évaluation de la relation à la marque : comprendre l’articulation entre les programmes relationnels (e-mailings, communautés, réseau sociaux) et transactionnels (site de vente, offres promo), donne les clefs de construction du lien à la marque. L’analyse des points de contacts, virtuels ou réels, permet de comprendre les dynamiques à l'œuvre dans la relation : fidélisation ou fragilisation ?
Un mot sur l’auteur : Enseignant chercheur en psychologie cognitive au MIT de 1998 à 2008, il est aujourd’hui professeur d’économie comportementale à la Duke University. Le succès de ses livres et sa personnalité hors-norme ont donné une visibilité mondiale à ses travaux (The New York Times, Wall Street Journal, Washington Post, Scientific American, Science, CNN…) et accéléré l’essor de sa discipline. Découvrez son blog et son dernier livre « the truth about dishonesty » en images (et en anglais). Et ses conférences sur TED avec des illustrations de ses expériences.