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DossierLes retailers à la conquête de l'international

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1 - L'Inde, le "Nouveau Monde" des retailers

Avec ses 1,3 milliard d'habitants et l'émergence d'une classe moyenne, l'Inde attise les convoitises des retailers internationaux. L'industrie du commerce de détail, en phase d'expansion, offre de nombreuses opportunités aux entreprises. Un Eldorado qui se distingue des autres pays à fort potentiel.

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"Face au ralentissement mondial de l'économie, seuls les pays émergents se démarquent, souligne Samah Habib, senior manager chez Accenture en charge des secteurs fashion et luxe dans le retail. Le dynamisme économique provient clairement de l'Asie, porté notamment par l'Inde via une croissance forte et solide depuis plusieurs années." L'an dernier, l'Inde est devenue la sixième puissance économique mondiale, devant la France. "L'éléphant endormi s'est désormais mis à courir", résume le Premier ministre indien, Narendra Modi. Ce pays de 1,3 milliard d'habitants apparaît comme l'un des premiers marchés en volume de consommateurs. La distribution est un secteur économique stratégique: 795 milliards de dollars en 2018 (un quart du PIB) avec des projections de croissance autour de 1200 milliards de dollars en 2021. "Une classe moyenne au pouvoir d'achat plus important pour consommer et s'équiper commence à apparaître, souligne Jean-François Ambrósio, chef de pôle tech et services de Business France en Inde. Les dépenses de consommation enregistrent une croissance annuelle de 12%. En 2025, 40% de la population indienne résidera en zone urbaine, et comptera pour 60% de la consommation "

Le secteur du retail reste malgré tout informel et désorganisé: 90% des transactions sont réalisées par des commerçants indépendants. "À peine 10% des ventes sont effectuées par des chaînes locales ou des groupes étrangers, analyse Jean-François Ambrósio. Cependant, la part de la distribution organisée augmente, en croissance de 20% par an, tandis que celle des petits distributeurs diminue. Le potentiel de développement des formats de distribution moderne devrait presque tripler d'ici à 2020." Dans son classement 2019, la Banque mondiale désigne l'Inde comme l'économie de l'Asie du sud la plus favorable pour les affaires. Une aubaine pour les retailers étrangers.

La distribution indienne, un secteur très réglementé

Depuis une dizaine d'années, les marques de luxe et beauté comme LVMH, Christian Dior, Chanel ou Hermès se sont implantées sur le marché indien avec l'ouverture de boutiques dans les villes métropolitaines. Des enseignes internationales comme Zara, H&M, Ikea, Benetton ou Sephora ont aussi inauguré des points de vente. "Le secteur de la distribution reste néanmoins très réglementé en Inde, pointe Jean-François Ambrósio. Il est difficile pour un groupe étranger de gérer en direct son circuit de distribution à moins de se plier à une réglementation assez stricte. Les distributeurs étrangers doivent s'engager à sourcer ou acheter au moins 40% de leurs produits dans le pays lorsqu'ils décident de s'y installer. Le multimarque n'est pour le moment pas possible pour les retailers qui voudraient s'attaquer seuls au marché."

Pour contourner les restrictions légales, nombre de distributeurs se développent en franchise ou en joint-venture via un partenaire indien. Ainsi Celio, arrivé en 2010, s'est associé au conglomérat local Futur Group, lui assurant une présence dans toutes les grandes villes à travers les centres commerciaux. D'autres marques comme Spar, Go Sport, Lacoste ou Promod ont ouvert des magasins via des partenaires indiens. "Le pays est très compétitif au niveau des prix, ce qui incite de nombreux acteurs internationaux à s'approvisionner dans le pays, explique Jean-François Ambrósio. Des géants de la distribution tels que Walmart et Tesco augmentent leur sourcing en Inde."

C'est le cas également de Decathlon, présent depuis une vingtaine d'années sur le territoire, et l'un des rares distributeurs français à s'être développé en direct. En 2009, l'équipementier sportif inaugure son premier point de vente en B to B, sous le modèle de "cash and carry". "Leur projet était d'ouvrir dans les deux années qui suivent des magasins à destination des particuliers, mais cela a mis plus de temps que prévu, indique Jean-François Ambrósio. En Inde, vous devez être patient mais persévérant. L'enseigne a dû attendre 2014 afin d'adapter son modèle et supprimer le multimarque en ne vendant que sa marque propre. Elle a aussi augmenté la part de produits indiens dans son réseau." Aujourd'hui, Decathlon possède plus de 70 magasins et est devenue numéro un dans l'équipement et le matériel de sport en Inde, devant Nike, Adidas ou Puma. "Les Indiens demeurent très attachés à leur culture, précise Samah Habib. Il est indispensable de comprendre les spécificités du marché local, notamment pour choisir le bon partenaire, et adapter sa stratégie avant de se lancer."

L'e-commerce indien, une bataille mondiale

795 milliards de dollars réalisés par le secteur du retail en 2018

La pénétration toujours plus importante d'Internet dans la société indienne, dans un pays où la moitié de la population a moins de 25 ans, entraîne de nouveaux usages à travers la démocratisation des smartphones. Le pays compte plus de 560 millions d'internautes avec un taux de pénétration de 37%. Si l'Inde s'est lancée tardivement dans le commerce en ligne par rapport à la Chine, le secteur génère déjà un chiffre d'affaires de 38,5 milliards de dollars et progresse à un taux record de 51% par an.

"L'Inde pourrait devenir en 2025 l'un des cinq premiers acteurs mondiaux du secteur, voire l'un des trois premiers avec un chiffre d'affaires de plus de 200 milliards de dollars", avance Jean-François Ambrósio. Son poids dans l'économie indienne ne cesse de grandir via le m-commerce, et représente actuellement 4% du chiffre d'affaires global dans le retail. "Les facteurs d'explosion du e-commerce sont multiples: une bancarisation en progression et une acceptation croissante des moyens de paiement en ligne et sur mobile, la praticité de ce mode de consommation au regard des contraintes de déplacements dans les villes indiennes et la progression de l'utilisation du numérique en Inde".

Actuellement, 75% des transactions sont encore réalisées en espèces (paiement à la réception). L'augmentation du panier moyen, principalement des achats de produits électroniques et de prêt-à-porter, passerait également de 110 à 160 dollars sur les cinq prochaines années. Les géants du commerce en ligne l'ont bien compris, l'Inde constitue le dernier marché majeur du e-commerce. Amazon, installé depuis 2013 dans le pays, vient d'inaugurer un nouveau siège social, le plus important au monde après celui de Seattle, à la mesure de ses ambitions.

Le géant américain est engagé dans une compétition féroce avec son concurrent Flipkart, la licorne indienne rachetée l'année dernière par Walmart pour 16 milliards de dollars, pour la domination de ce marché à coups de milliards de dollars. Et en novembre dernier, le conglomérat de Reliance Industries Limited a lancé une plateforme de commerce en ligne en investissant 24 milliards de dollars pour constituer une nouvelle holding, Reliance Jio Infocomm. Si le secteur est très prometteur, Amazon perd néanmoins un milliard de dollars par an (plus de cinq milliards de dollars investis) et vient de réinjecter 500 millions supplémentaires. "Pour chaque dollar gagné, ces sociétés dépensent aujourd'hui deux fois plus pour consolider et fidéliser leur base client", note Jean François Ambrósio.

Amazon et Flipkart ont également subi les foudres des petits commerçants indiens, affirmant qu'elles offrent des rabais trop importants et les poussent à la faillite. En février dernier, pour répondre à la fronde des détaillants indiens, le gouvernement a durci les règles de la vente en ligne en interdisant aux grandes marketplaces opérant dans le pays de vendre des produits de sociétés dans lesquelles elles ont des participations. Les places de marché ne peuvent également plus imposer des contrats d'exclusivité aux commerçants pour vendre leurs produits uniquement sur leurs plateformes. "Aujourd'hui, le ticket d'entrée est très élevé dans l'e-commerce, le niveau d'investissement en tant que plateforme sera gigantesque, pointe Jean-François Ambrósio. Par contre, les solutions technologiques permettant aux acteurs de se différencier sont très prisées." Même si les difficultés restent importantes et les risques réels, le marché indien devient incontournable.


Dalila Bouaziz

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