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Patagonia : les dessous de sa démarche environnementaliste

Publié par Lounis Khelaf le

En matière de comportements, de visions, de principes, certaines marques ne s'inscrivent pas simplement dans un mouvement, mais elles en sont à la fois les créateurs, les diffuseurs et les promoteurs. Cette extrait de "Brand Success", écrit par Marc Drillech, décrypte la réussite de Patagonia.

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Une politique qui ne date pas d'hier

Yvon Chouinard, alpiniste et entrepreneur, né de parents québécois immigrés aux États-Unis, est à l'origine la marque Patagonia. Dès 1957, il se lance dans la fabrication de matériel d'escalade le moins nuisible possible pour la nature et réutilisable. Pour ce faire, il devient forgeron, développe son entreprise et ouvre avec son associé, Tom Frost, un premier magasin en 1965, en Californie. Dans les années 1970, la société va s'imposer comme le premier fournisseur de matériel de montagne aux États-Unis avant de se lancer dans la fabrication de vêtements techniques particulièrement solides. Dès les premières années, les principes de Patagonia seront omniprésents dans tous les champs d'action: de la fabrication à la politique produit, du marketing (ou de son absence lorsqu'il s'agit de pratiques mercantiles et promotionnelles habituelles) à la relation avec les clients, les associations, les militants engagés dans les différentes luttes pour l'environnement.


Conjuguer la production de produits durables et le respect de l'environnement

En 1985, l'entreprise décide de verser 10 % de ses bénéfices, puis 1% du résultat de ses ventes, soit plus de 50 millions de dollars par an, à des associations caritatives et diverses organisations environnementales ou organisations humanitaires. Patagonia va ainsi soutenir des projets d'aménagement du territoire et des zones désurbanisées, aussi bien dans la vallée de Yosemite, en Californie, qu'au Chili dans le cadre de la création d'un nouveau parc national. Ses interventions ne se limitent pas à la promotion des grandes causes. La volonté d'authenticité de l'entreprise conduit ses membres à favoriser des actions réelles afin de concrétiser son activisme et de miser davantage sur la multiplicité que sur la médiatisation d'un seul combat. Patagonia oeuvre pour la suppression de barrages; la restauration de forêts et de rivières; la recherche de solutions au changement climatique; la protection des principaux habitats terrestres et marins; la protection des espèces végétales et animales menacées et en voie d'extinction; la promotion d'une agriculture locale, durable et biologique. En 1992, la firme va repenser la fabrication des tissus nécessaires à ses productions en étudiant systématiquement les conséquences sur l'impact écologique, rejetant le coton traditionnel, dont la fabrication est jugée trop polluante et énergivore, au profit d'un coton biologique. Afin de réaliser des produits utiles à la vie et aux loisirs des individus en utilisant des matériaux fiables et de qualité, dans le profond respect de la nature et de l'environnement, l'entreprise met au coeur de son idéologie les vertus de longévité et d'authenticité.


Une "marque à mission"

Patagonia a traversé les années sans faire de réelles concessions. Au contraire, elle a toujours été exigeante, consciente des risques permanents de dérives. Comme elle l'explique: "Pour nous, il ne s'agit pas d'être charitable ou philanthrope, mais simplement de prendre en charge le coût de notre activité. C'est comme si nous reversions une taxe à la planète." La marque se considère comme pleinement responsable de ses actes, à tous les niveaux: création, fabrication, commercialisation, recyclage, mode d'expansion, conditions de vie et de rémunération de ses collaborateurs, politique de prix transparente... Elle a élevé au rang de condition sine qua nonla notion d'intégrité. Elle a ainsi versé 89 millions de dollars pour l'écologie à travers son programme de mécénat lancé en 1985. Depuis 2002, l'organisation "1 % pour la planète", dont Yvon Chouinard est l'un des créateurs, a reversé 175 millions de dollars à des associations écologiques. Patagonia possède également un fonds de capital-risque qui investit dans des sociétés soucieuses des questions écologiques et sociales, dans lequel elle a déjà mis 75 millions de dollars. La marque a compris que la principale recette de son succès tient à la durée de ses engagements, qui renforce sa réputation et donc sa crédibilité. Ses clients deviennent des militants et des promoteurs de la marque. Le fabricant mise moins sur la mobilisation médiatique que sur l'action quotidienne qui unit ses clients et ses employés. Patagonia n'a jamais cédé aux sirènes du marketing agressif: des promotions plutôt rares, une politique de prix élevés (et justifiés), une absence remarquable sur le terrain publicitaire tout en étant hyperactive sur ses propres médias.

Cette idée de la priorité de l'utilité se retrouve dans l'une des rares expressions de la marque qui lui vaudra une couverture médiatique exceptionnelle: le 25 novembre 2011, un black friday, Patagonia avait décidé d'acheter une pleine page du New York Times. La société veut faire passer un message de retenue et de sagesse lors de cette journée de consommation effrénée, en montrant la photo d'un de ses produits avec comme titre: "N'achetez pas cette veste" (Don't buy this jacket). L'impact médiatique sera énorme pour cette annonce qui ne passera pourtant que durant une seule journée et dans un seul média. Elle sera reprise partout, comme un véritable manifeste pour une autre manière de s'habiller. "L'affirmation de Patagonia est claire : n'achetez que ce qui est nécessaire, réutilisez les produits au maximum, réparez-les quand cela est possible et recyclez-les dans le cas contraire."


Une relation client à part

Patagonia est obsédée par l'exemplarité et l'applique sur l'ensemble de sa chaîne d'activité. En quelques années, elle a réussi à mobiliser plusieurs grandes entreprises américaines, dont Levi's1 ou Gap, sur des sujets comme le recyclage, l'amélioration des conditions de travail et une nouvelle approche des collections. Patagonia est l'une des marques d'articles outdoor parmi les plus actives et militante sur les réseaux sociaux. Elle a fait du dialogue avec ses employés, ses fournisseurs, ses clients et les activistes le coeur de sa politique. Plus d'un million et demi de personnes la "like " sur Facebook. Elle compte plus de 4 millions d'abonnés sur Instagram avec plus de 2 300 publications autour de son mot d'ordre: "We're in business to save our home planet" (nous sommes en affaires pour sauver notre planète). Sur YouTube, Patagonia popularise ses combats avec des vidéos qui dépassent régulièrement le million de vues, par exemple avec son spot en faveur de la sauvegarde du saumon sauvage. Ce dialogue est au coeur du développement de la marque, qui met en avant sa volonté de "cocréation". En effet, Patagonia pousse la valorisation des idées et des propositions de ses clients. Il s'agit de concrétiser le principe d'une forme de "copropriété" de la marque qui se traduit par davantage d'information, de discussions dans les boutiques, de prise en considération des propositions ou des projets apportés par les adeptes de la marque. Le dialogue productif n'est donc pas une stratégie destinée à fidéliser les clients, mais la ligne de conduite d'une marque qui prône depuis son origine une autre forme de relation.

À retenir

1- On n'invente pas une "marque à mission". Elle existe avant dans l'esprit de ceux qui l'ont fait naître, dans les actes essentiels.

2- La démarche environnementaliste doit d'abord se prouver. Elle peut servir à la communication et elle n'est pas un levier "sans matière" d'autant que le sujet est hautement sensible

aujourd'hui. L'exemplarité est concrétisée par les actes, plus que par les discours.

3- Une raison d'être sert à inspirer la production, le marketing, la communication et le style des produits. À leur tour, ils vont nourrir le contenu de la marque, lui donnant une véracité exemplaire par les actes. C'est la relation vertueuse entre la marque et ses acteurs.


L'auteur

Marc Drillech (ci-dessus en photo) est directeur général d'Ionis Education Group, un organisme d'enseignement supérieur privé.

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Lounis Khelaf

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