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Filtrage et blocage généralisé sur Internet pour protéger les droits de propriété intellectuelle : la CJUE dit non !

Publié par Véronique Dahan le

Un juge national ne peut obliger un hébergeur à mettre en place un système de filtrage et de blocage général des contenus illicites afin de prévenir une éventuelle atteinte aux droits de propriété intellectuelle sur Internet. Mais la CJUE ne semble pas exclure la mise en place d'un système de filtrage aménagé.

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Après les fournisseurs d’accès à Internet , la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue confirmer sa position, par un arrêt en date du 16 février 2012 , cette fois-ci à l’égard des hébergeurs, en considérant qu’à partir d’une interprétation des directives communautaires 2000/31/CE , 2001/29/CE et 2004/48/CE , un juge national ne peut obliger un hébergeur à mettre en place un système de filtrage et de blocage général des contenus illicites afin de prévenir une éventuelle atteinte aux droits de propriété intellectuelle sur Internet.

Pour justifier sa décision en date du 16 février 2012, la CJUE a mis l’accent sur les contrariétés qu’engendrerait l’introduction d’une obligation de filtrage généralisée.

En l’espèce, la Sabam (Société belge des auteurs compositeurs, équivalent de la SACEM en France) s’attaquait à la célèbre plateforme de réseau social en ligne dénommée Netlog NV. Selon la Sabam, la plateforme permettrait aux utilisateurs de mettre à la disposition d’autres utilisateurs des œuvres musicales et audiovisuelles du répertoire de la Sabam et ce, sans son autorisation. Le 23 juin 2009, la Sabam faisait donc citer Netlog devant le tribunal de Bruxelles afin d’obtenir la cessation, sous astreinte, de toute mise à disposition illicite des œuvres dont elle gère les droits. En défense, Netlog soutenait qu’une telle demande s’apparenterait à lui imposer une obligation générale de surveillance. C’est dans ce contexte que la CJUE, par voie préjudicielle, fut saisie du litige.

A titre liminaire, il convient de relever dans cette affaire que la CJUE, de manière assez discrète, semble suivre la tendance jurisprudentielle française sur la qualification d’hébergeur des plateformes de réseaux sociaux en ligne. En effet, dès les premières lignes, la CJUE indique qu’« il est d’abord constant qu’un exploitant d’une plateforme de réseau social en ligne, (…) stocke sur ses serveurs des informations fournies par des utilisateurs de cette plateforme, (…) et qu’il est ainsi un prestataire de service d’hébergement au sens de l'article 14 de la directive 2000/31 ». Pour mémoire, rappelons que la CJUE considère comme hébergeur, le prestataire dont l’activité revêt un « caractère purement technique, automatique et passif », ce qui implique que ledit prestataire « n’ait pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées ».

L’exclusion d’une obligation de surveillance générale à l’égard des intermédiaires techniques

Un décryptage de la technique de filtrage et de blocage permet de comprendre les raisons qui ont conduit les juges européens à écarter cette mesure.

Concrètement, la mise en place d’un système de filtrage généralisé supposerait pour l’hébergeur de procéder dans un premier temps à une identification, dans l’ensemble des fichiers qui sont stockés sur son serveur par tous les utilisateurs de son service, des fichiers susceptibles de contenir des œuvres protégées par des droits de propriété intellectuelle. Ensuite, l’hébergeur devrait déterminer au sein de ces fichiers ceux qui sont stockés et mis à la disposition du public de manière illicite. C’est seulement dans un troisième temps que l’hébergeur procéderait alors au blocage des dits fichiers.

Or, la CJUE a rappelé qu’en vertu de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE (transposée en droit interne à l’article 6-I-7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique), les intermédiaires techniques, c’est-à-dire les fournisseurs d’accès et les hébergeurs, ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance des informations qu’ils transmettent ou stockent.

Pour justifier sa décision, la CJUE a également confronté les différents droits fondamentaux qui pourraient potentiellement être atteints par la mesure sollicitée.

La nécessité de trouver un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux

L’introduction d’un système de filtrage et de blocage permettrait de protéger davantage les titulaires de droits de propriété intellectuelle qui, comme le rappelle la présente décision, sont consacrés à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux . Toutefois, selon la CJUE, cette mesure serait susceptible d’affecter d’autres droits fondamentaux appartenant à différents acteurs du Web.

En effet, cette mesure serait incompatible avec l’article 3 de la directive 2004/48/CE qui requiert des Etats membres dans l’élaboration de mesures visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle que celles-ci soient équitables, proportionnées, ne devant pas être inutilement complexes ou coûteuses.

A cet égard, la CJUE souligne que le système de filtrage obligera l’hébergeur à mettre en place un système informatique complexe, nécessairement coûteux étant précisé qu’il devra supporter seul les coûts inhérents à sa mise en place. Cette mesure représentera donc pour l’hébergeur un impact économique certain.

Par ailleurs, le filtrage visera l’ensemble des utilisateurs du site, portera sur la totalité ou la plus grande partie des informations stockées et sera illimitée dans le temps, obligeant ainsi l’hébergeur à perpétuellement mettre à jour ses outils en fonction de l’évolution technologique.

Pour la CJUE, ces éléments démontrent que cette mesure, en sus d’être incompatible avec les dispositions communautaires existantes, affecterait indiscutablement la liberté d’entreprise de l’hébergeur.

En tout état de cause, selon la CJUE, l’introduction de cette mesure risquerait également de porter atteinte aux droits fondamentaux des internautes en particulier, le droit à la protection des données à caractère personnel (article 8 de la charte précitée) et le droit de recevoir ou de communiquer des informations (article 11 de la charte).

Cette solution est en parfaite adéquation avec la position prise antérieurement par la CJUE dans une affaire similaire, où la Sabam avait tenté d’obtenir de Scarlet (fournisseur d’accès), la mise en place d’un système de filtrage généralisé pour empêcher l’envoi ou la réception non autorisé d’œuvres protégées au moyen de logiciels « peer-to-peer ».

Pour l’heure, ce qu’il faut retenir c’est que la CJUE s’oppose à la mise en place d’un système de filtrage généralisé mais ne semble pas s’opposer aux systèmes de filtrage plus ciblés. A cet égard, la décision rendue par le Tribunal de grande instance de Créteil en date du 14 décembre 2010 , qui a admis que l’INA puisse obtenir de la société Youtube, en sa qualité d’hébergeur, l’installation d’un système de filtrage portant sur des œuvres litigieuses précises, serait en ligne avec la position de la CJUE.

<p>V&eacute;ronique Dahan a rejoint August &amp; Debouzy en 2004. <br /> <br /> Elle est collaboratrice au sein du [...]...

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