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Diversité et inclusion : Les marques aux aguets à l'ère Trump

Si certaines marques américaines sacrifient leur politique DEI (diversité, équité, inclusion) pour se conformer aux nouvelles règles établies par Donald Trump, la culture française s'oppose fermement à cette ingérence directe. Comment les marques et les agences réagissent-elles ? État des lieux.

Publié par MARIE JULIETTE LEVIN le | mis à jour à
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Diversité et inclusion : Les marques aux aguets à l'ère Trump
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L'offensive anti-diversité de Trump inquiète outre-Atlantique. Si le sujet n'est pas nouveau aux États-Unis, la récente ingérence du président américain en Europe questionne. En 2023, la Cour suprême américaine mettait fin à la politique de discrimination positive dans les établissements d'enseignement supérieur. Puis, le sujet s'est étendu au secteur des entreprises avec l'élection de Donald Trump et son arrivée au pouvoir en janvier 2025.

Ainsi, Amazon, Meta, Accenture, Ford, entre autres, enclenchent la marche arrière sur les programmes de diversité et d'inclusion (DEI, dans l'acronyme anglais). Une nouvelle étape est franchie fin mars. Des courriers sont envoyés aux grands groupes français (secteurs du luxe, des télécoms, de l'énergie...) pour s'assurer que l'entreprise "n'opère aucun programme faisant la promotion de la diversité, de l'équité et de l'inclusion" afin de se mettre en conformité avec la législation américaine.

D'autres pays européens sont concernés. Objectif de la manoeuvre : rétablir les opportunités professionnelles basées sur le mérite. Bercy a réagi rapidement en qualifiant ces demandes "d'ingérences inacceptables". "La France et l'Europe défendront leurs entreprises, leurs consommateurs, mais aussi leurs valeurs", indiquait le communiqué du gouvernement.


70 % des Français pensent que montrer de la diversité dans la publicité est important.

Certes, les États-Unis ne sont pas la France où la liberté d'expression reste la norme. "La guerre des valeurs est clairement déclarée. Nous ne pouvons pas capituler et nous soumettre", s'est indigné Pascal Demurger, DG du groupe MAIF sur LinkedIn. Très vite, certaines entreprises ont affiché leur opposition. À l'instar de L'Oréal. "On ne change rien et on continue. C'est très simple, notre métier consiste à répondre aux besoins et aux aspirations des consommateurs du monde entier", déclarait Barbara Lavernos, DG adjointe de L'Oréal dans les Échos (06/03/2025). Les Français, eux-mêmes ont une opinion favorable vis-à-vis de ces programmes, jugés pertinents et légitimes.

Les agences attentistes

Si la France n'est pas pour l'instant directement concernée, cette actualité interroge sur les prises de parole des marques autour de sujets de diversité et d'inclusion. Dans ce contexte, les annonceurs français (notamment les marques à visée internationale) montrent-ils des signes d'inquiétude en termes de communication. Devront-elles à l'avenir adapter leurs discours ?

Dans les agences de publicité interrogées sur le sujet, l'heure est à la prudence et à la réflexion. "Il y a tout lieu de s'inquiéter de ce qui se passe là-bas. Concernant les marques, on a vu à quelle vitesse une marque pouvait faire la preuve de son opportunisme. Meta ou Nike par exemple. Mark Zuckerberg a fait volte-face sur les engagements pris par sa marque et qui parlaient à beaucoup de monde. Idem pour Nike dont la signature actuelle 'Winning is not for everyone' est à l'inverse de toutes les valeurs d'espoir et d'inclusion portées par Nike jusqu'à maintenant", souligne Rémi Babinet, président de BETC.

Les grands groupes s'attendent à un retour de bâton dans les prochains mois sans pour autant imaginer des revirements fracassants. "Si les agences implantées aux États-Unis sont inquiètes face aux enjeux en termes de business, en France nous n'avons pour l'instant eu aucune interrogation de clients en lien avec ces annonces et aucune création n'est impactée. J'ai le sentiment que la publicité a fait un énorme pas ces dernières années pour représenter le plus fidèlement possible la société française dans les récits et dans les communications des marques et elles ne vont pas revenir en arrière. En revanche, il y aura certainement des discussions dans les mois à venir pour certains clients, en fonction de leurs origines, sur des campagnes multimarchés nécessitant d'être plus attentifs, à cause de cette surreprésentation de la diversité", explique Matthieu Elkaim, coprésident et directeur de création de l'agence Ogilvy Paris.

Business first

"Quand les sujets moraux servent le business, les marques s'en emparent par opportunisme", déclare Guillaume Pommier, DG de l'agence Double2, spécialisée dans la réputation. Quelles que soient leurs motivations, les marques concernées par ces sujets DEI vont devoir se positionner et assumer leurs engagements. Une manière de trier le bon grain de l'ivraie. "Ce rétropédalage de certaines entreprises américaines en matière de DEI marque un tournant. On voit bien la pression financière que met Donald Trump sur les entreprises. J'ai l'impression que pour toutes ces marques qui reculent sur le sujet de la diversité et de l'inclusion, le risque réputationnel et surtout le maintien du business l'emportent sur les valeurs affichées. Cependant, la France est protégée par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme qui interdit toute discrimination", analyse Céline Chouéri, DG chez Altmann+Partners et membre du Collectif du Planning Stratégique (CPS).

"C'est l'occasion pour les marques d'être courageuses. Observons celles qui arriveront à garder leurs valeurs d'inclusivité et d'attention à l'autre, ce qui est quand même un acquis pour de nombreuses marques mondiales. Je pense qu'une marque a toujours à gagner à être fidèle à ce qu'elle est", commente Rémi Babinet. De son côté, Jean-Charles Caboche, vice-président de BETC corporate, reconnaît une certaine maturité des marques sur le sujet : "Il y a une attention forte dans leurs communications à respecter l'effet miroir de la société. À l'agence, nous recommandons aux annonceurs de montrer les gens tels qu'ils sont."

Les consommateurs ne sont pas dupes

Défendre ses valeurs d'authenticité et d'engagement reste payant pour les marques aux yeux des consommateurs. Selon une étude Ipsos datant de mars, près des deux tiers des Français (63 %) disent avoir une meilleure image d'une entreprise cherchant à représenter la diversité de la société française à travers ses salariés ou sa communication, contre seulement 7 % pour qui cela renverrait une moins bonne image.

C'est tout particulièrement vrai chez les jeunes : plus des trois quarts des moins de 35 ans (76 %) affirment qu'ils auraient une meilleure image d'une entreprise qui représenterait la diversité de la société française. Selon cette même étude, les consommateurs français pénaliseraient nettement les entreprises mettant fin à leurs politiques dédiées. Un Français sur deux aurait moins envie de consommer les biens et services d'une entreprise annonçant qu'elle met fin à son programme de "diversité et inclusion" (dont 28 % "beaucoup moins").

Des campagnes pour l'exemple

Certaines marques revendiquent leur point de vue avec succès dans leurs campagnes de publicité. La marque Triumph s'est associée à un projet qui a donné vie à un documentaire, diffusé en décembre 2024, "Side to Side : 30 000 km pour changer le regard sur le handicap".

La marque a prêté une moto à ces deux jeunes cousins qui, malgré un accident de la route qui a touché l'un des deux, se lancent dans un périple avec un side-car équipé. "Ce voyage, plus qu'une simple épopée, est un message puissant : montrer la résilience, la solidarité, et changer le regard porté sur le handicap. L'image de liberté que renvoie l'usage de la moto collait avec cette aventure. Cette opération a permis de franchir un cap en termes de visibilité pour la marque avec de puissants relais sur les réseaux sociaux", détaille Éric Pecoraro, directeur marketing de Triumph France.

La Caisse d'Épargne accompagnée de son agence Altmann+Partners a également abordé la thématique de l'inclusivité très tôt à travers une campagne réalisée en 2017. La banque est engagée de longue date sur ces sujets.


Derrière son slogan "Vous être utile", la banque prend la parole sur le sujet de la tutelle mettant en scène Sarah, une jeune femme accompagnée dans son autonomie bancaire qui peut ainsi vivre au quotidien comme tout le monde. Autre client de l'agence, également impliqué sur les sujets de diversité et d'inclusion, Naturalia. "En capitalisant sur ces valeurs auxquelles elles sont fidèles et en s'inscrivant à contre-courant de toute politique restrictive, ces marques vont gagner en modernité", assure Céline Chouéri, DG de l'agence.

Bientôt à cannes ?

Dans le secteur de la mode, les exemples de marques engagées se multiplient. Levi's souhaite réaffirmer son engagement auprès de la communauté LGBTQIA+ dans une vidéo postée sur Instagram. On y voit des abonnés se confier sur leur coming out, avec des témoignages de proches. Un écho à une campagne dévoilée par la marque lors du Coming Out Day de 2021. "Nous gérons la stratégie éditoriale et le social media du retailer en France. Sur ce marché local, pas de sujet pour le moment sur une adaptation du message. Mais il y a de fortes chances que le débat se durcisse", concède Guillaume Pommier, DG de l'agence Double 2.


Verra-t-on encore Bilal Hassani en égérie dans les campagnes de Zalando en France ou ailleurs ? "Chaque scène est une grande scène", a été diffusée en TV en en février 2024. "Bilal Hassani illustre parfaitement des valeurs d'authenticité, d'inclusivité, de créativité et d'émancipation, faisant de lui un modèle pour beaucoup et le visage parfait pour cette campagne qui est plus qu'une simple question de mode ; il s'agit d'embrasser son identité et de célébrer l'expression de soi", déclarait Laura Toledano, DG France, UK & Irlande de Zalando. "Concernant les marques de luxe, je pense principalement à Chanel, il serait suicidaire de revenir sur leur politique de DEI car cela nuirait fortement à leur image, notamment auprès des jeunes, cible stratégique pour cette marque", assure Céline Chouéri.

Alors que le sujet reste encore éloigné des créations publicitaires en France, il sera intéressant de détailler le palmarès de la catégorie "Glass" au prochain Festival de la publicité à Cannes (du 16 au 20 juin 2025). The Lion for change célèbre les marques qui utilisent l'excellence créative pour impulser des changements culturels, créer des changements systémiques et établir de nouvelles normes pour un impact positif sur les communautés qu'elles servent. L'an dernier, la marque de soins Vaseline (Unilever) et l'agence Ogilvy Singapore ont remporté le Grand Prix avec la campagne "Transition body lotion", soin dédié aux femmes transgenres. À suivre lors des prochaines distinctions cannoises...

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