Comment marketing et achats peuvent-ils bien collaborer?
Les relations entre les directions marketing et les achats ne sont pas toujours efficaces, ni même harmonieuses. Or, les deux services ont tout à gagner à collaborer. Le contraire s'avère même risqué.
Je m'abonneLes achats marketing et communication sont, d'une entreprise à l'autre, différemment stratégiques. Mais souvent, ce qu'elles ont en commun, c'est que les directions achats ont du mal à faire comprendre aux directions marketing et communication l'intérêt de les consulter. Lors d'une table ronde consacrée aux achats de prestations marketing organisée par le Club des acheteurs de prestations intellectuelles en novembre 2016, les directeurs des achats présents semblaient d'accord sur un point: même lorsqu'impliqués très en amont, il leur est difficile de jouer un réel rôle dans le choix des fournisseurs, tant la relation entre ces directions et leurs agences est de l'ordre de l'affectif. Face à ces difficultés, ils conseillaient de progresser par petites touches, sur des sujets peu stratégiques au départ, pour montrer leur valeur ajoutée et se faire accepter.
Il est en tout cas essentiel de s'intéresser à cette catégorie d'achats tant les risques de les laisser aux seules mains des opérationnels peuvent être grands, notamment en ce qui concerne la propriété intellectuelle ou le risque lié à la dépendance économique. Pour Sylvie Deschatres, cofondatrice de la société de conseil en achats marketing et communication Synesens, il existe aussi un risque d'image à mal encadrer ces achats qui ont trait à ce que renvoie l'entreprise à l'extérieur. Les achats doivent donc surveiller que la relation avec les prestataires en communication et marketing est bien gérée. Et par conséquent réussir à faire prendre conscience aux directions marketing et communication de l'utilité bien réelle qu'il existe à collaborer avec eux.
Faute de communication
Car la collaboration entre les directions achats d'un côté et marketing et communication de l'autre n'est pas toujours évidente. "Les achats en marketing et communication ne sont pas toujours faciles à aborder car nous nous trouvons face à des créatifs qui ont une vision différente de la nôtre, témoigne Jean-Christophe Alvergne, directeur des achats indirects groupe de Vivarte. Il y a beaucoup d'immatériel, de subjectif." C'est cet aspect subjectif, presque émotionnel, qui est difficile à appréhender pour les acheteurs. "La relation avec les agences est parfois très sensible et remettre en cause le partenariat avec l'une d'entre elles s'avère alors difficile, même si la situation a évolué depuis une dizaine d'années", confirme Henri Kieffer, directeur associé de la société Harpagon, spécialiste des investissements en marketing et communication.
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Autre particularité de ce type d'achats: leur technicité. "La logistique, par exemple, est essentielle. Pour les campagnes de publicité sur lieu de vente, par exemple, il ne s'agit pas seulement de trouver le bon imprimeur mais de s'assurer que la PLV sera livrée sur les points de vente en quantité suffisante et optimale", assure ainsi Jean-Christophe Alvergne. Au-delà de ces aspects logistiques, une campagne doit sortir en temps et en heure, et aucun retard ne peut être toléré. Les achats doivent donc s'adapter à ce temps-là en raccourcissant, le cas échéant, leur process.
Sécuriser les relations fournisseurs
Une collaboration réussie nécessite donc, pour les achats, à appréhender le langage, la vision et les caractéristiques des directions marketing et communication afin de s'y adapter. Mais aussi de se rendre si ce n'est indispensable, du moins utile. Car si, déjà, elle permet de mutualiser les achats et donc de mieux négocier, elle garantit la prise de risque économique, juridique, d'image ou de qualité la plus limitée possible. Sylvie Deschatres souligne par exemple l'importance de la gestion des droits. Il ne faudrait pas, en effet, qu'une création réalisée par une agence externe n'appartienne pas à l'entreprise. Les achats doivent donc veiller à ce que ce sujet de la propriété intellectuelle soit bien ficelé dans les contrats. Autre sujet juridique, la question de la dépendance économique, ainsi que la viabilité économique des prestataires. "Les achats effectuent une vérification financière des panels fournisseurs", indique Dominique Scalia, président de l'Observatoire Com Media. Une vérification qui peut également s'étendre aux aspects qualitatifs de la relation, en mettant en place des indicateurs de performance. Olivier Wajnsztok, directeur associé d'AgileBuyer, conseille par exemple de mieux cadrer les pitchs, souvent faits de manière orale et pouvant être différents d'un prestataire à l'autre. Il faut également être capable de trouver des indicateurs pertinents. "Nous avons mis en place des réunions d'évaluation deux fois par an lors desquelles nous définissons les KPI à atteindre, les plans d'action à mettre en place pour réaliser nos objectifs... Et ce en partenariat avec les agences", décrit Bertrand de Postis, responsable achats marketing et vente de Kronenbourg SAS (groupe Carlsberg), précisant que la rémunération des prestataires est fonction de ces KPI. "Cela permet notamment de faire des réunions post mortem, de faire en sorte que les différents acteurs d'un projet échangent sur ce qui a fonctionné et n'a pas fonctionné et de mettre en place un plan d'action pour les opérations suivantes. Nous souhaitons vraiment nous positionner dans une relation de partenariat avec nos prestataires", précise-t-il.
Les achats, forces de proposition
Sur cette évaluation des fournisseurs, le mieux est que les achats interviennent le plus en amont possible. "Cela permet de négocier les points primordiaux pour la suite", souligne Chrystèle Navarro, en charge des achats marketing et communication d'Urgo. Le mieux est de pouvoir intervenir dès l'expression des besoins. "Les achats sont là pour aider les opérationnels à se poser les bonnes questions sur leurs fournisseurs, les aider à verbaliser les besoins pour s'assurer que le choix de prestataire est le bon", ajoute-t-elle.
Bertrand de Postis se voit comme le gardien du temple: "Les fournisseurs font partie d'un panel que nous constituons au fur et à mesure de nos besoins avec une volonté de s'inscrire sur du moyen terme. Je réalise une veille active et rencontre beaucoup d'agences et de prestataires afin d'anticiper d'éventuels besoins, mais également pour être en capacité d'être force de proposition dans l'innovation." La direction des achats peut en effet aider en termes de sourcing fournisseurs, même si le dernier mot reviendra évidemment aux directions marketing et communication. "Nous réalisons aussi un speed dating fournisseurs pour présenter aux opérationnels des fournisseurs avec lesquels nous travaillons peu ou pas", raconte Chrystèle Navarro.
"Souvent, les directions marketing et communication ont leurs habitudes avec quelques fournisseurs. Or, il est important de s'ouvrir à de nouveaux car ce domaine bouge beaucoup. Les acheteurs sont un moyen pour ce faire", pointe Olivier Wajnsztok.
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Apporteur de solutions
La direction des achats peut donc apporter beaucoup aux directions marketing et communication. À condition que ces dernières comprennent cette utilité et acceptent de les faire entrer dans leur relation avec leurs prestataires. Le Club des acheteurs de prestations intellectuelles avait réalisé fin 2016 une enquête sur les achats de prestations marketing et il en était ressorti que dans 62,5 % des cas, la direction des achats a seulement en charge la négociation des tarifs et que pour 18,8 % des répondants uniquement elle se chargeait de l'identification et du référencement des prestataires. Comment faire évoluer cette situation? Lors de la table ronde du Club des acheteurs consacrée à ce sujet, les participants ont expliqué éviter le passage en force et créer une relation sur de petites choses peu stratégiques afin de montrer leur valeur ajoutée. "Nous sommes partis de manière très humble en commençant par expliquer l'intérêt de la mise en place de démarches d'achats groupés", raconte Jean-Christophe Alvergne. Chrystèle Navarro dit ensuite communiquer sur ces premières réussites pour donner envie. Sylvie Deschatres conseille quant à elle de mettre en place des pilotes pour être ensuite de plus en plus intégrés en amont.
L'objectif étant bien entendu de montrer ce que les achats peuvent leur apporter. "La collaboration entre les achats et le marketing et la communication se passe bien dans la mesure où les acheteurs se positionnent comme des apporteurs de solutions qui permettent d'alléger leur travail sur des tâches fastidieuses : sourcing, qualification des fournisseurs, appels d'offres, grilles d'évaluation...", énumère Henri Kieffer. Faciliter le travail des opérationnels peut aussi consister à mettre en place des contrats-cadres avec les principaux fournisseurs.
Surtout, il ne faut pas que les directions marketing et communication croient qu'une partie de leur pouvoir de décision va être transférée aux achats. "Les achats ont un rôle de vigilance et de contrôle, ils challengent les choix des opérationnels, mais les fournisseurs sont choisis au final par les directions marketing et communication. Il faut que cela soit clair pour qu'il n'y ait pas de difficultés de compréhension ni de conflits d'intérêts", avertit Dominique Scalia. Les périmètres de chacun doivent donc être bien définis et bien expliqués.
Procédures et dialogue
Le mieux est de mettre en place un process définissant les étapes clés de la relation. "Par exemple, à partir d'un certain montant, la consultation des achats est obligatoire", décrit Sylvie Deschatres. Chez Urgo, une procédure écrite est communiquée à l'ensemble des opérationnels. "Elle décrit la façon dont on collabore, comment doivent être réalisés les appels d'offres, quand et comment nous contacter, comment homologuer un fournisseur, l'attention aux fournisseurs en situation de dépendance économique, etc.", détaille Virginie Favray, directrice des achats d'Urgo.
Cette collaboration est également facilitée par un dialogue qui se fait naturellement entre les deux directions. Une proximité géographique peut aider. Ou la présence d'un acheteur au sein des directions marketing et communication. La société Marcom Performance propose, quant à elle, une méthode pour permettre à ces directions de mieux communiquer, via des canaux de communication transversaux ou encore des groupes de travail commun. L'objectif est en fait de faire travailler le plus possible les gens ensemble afin que cela devienne une habitude.
Encore des efforts sur le digital
Reste cependant un dernier point sur lequel les acheteurs doivent faire un effort: le numérique. L'étude susmentionnée rapporte que 60 % des acheteurs pensent devoir monter en compétence sur les nouveaux usages du marketing. "LUne prise de conscience est nécessaire sur la nécessité de s'intéresser à des structures inédites, même si cela comporte un risque, note Dominique Scalia. L'implémentation de solutions innovantes est en effet un élément déterminant pour accompagner la transformation des entreprises."
Dominique Scalia pense ainsi que les achats doivent intégrer de nouveaux profils capables d'appréhender ces évolutions techniques pour mener les achats les plus efficaces possible. "Il y a cinq ans, il s'agissait avant tout d'avoir de bonnes relations avec les directions marketing et communication et de comprendre leurs enjeux. Aujourd'hui, le sujet des achats marketing et communication est devenu éminemment technique: la façon de communiquer change tout le temps et les technologies sont complexes", approuve Olivier Wajnsztok.