Sandrine L'Herminier, fondatrice de Positive Impact "Il faut cracker le code source de l'entreprise"
Ex-journaliste et expert des enjeux RSE, Sandrine L'Herminier conseille les entreprises dans la transformation de leurs modèles économiques vers une croissance plus vertueuse. DG, CMO, marques... chacun doit apporter sa pierre à l'édifice. Son dernier livre regorge d'exemples inspirants.

Le sujet de la RSE avance-t-il concrètement dans les entreprises françaises ? Y a-t-il des raisons de se réjouir ?
Sandrine L'Herminier : Oui, la RSE est entrée dans les entreprises grâce, notamment, aux réglementations successives qui sont de plus en plus exigeantes et qui s'adressent à un panel d'entreprises de plus en plus large. Le sujet est bel et bien pris en compte dans les organisations sous la pression réglementaire, mais aussi des politiques, des clients et de la société civile. En revanche, nous ne sommes pas encore dans la transformation en profondeur de leurs activités et métiers au sens où je l'entends dans mon livre1, c'est-à-dire comment rendre son modèle d'affaires compatible avec les limites planétaires. Aller au-delà de la RSE : ne pas faire moins, mais faire différemment afin que les produits ou services donnés soient véritablement porteurs d'impacts pour la société, dans toutes ses dimensions.
Comme prérequis pour changer de modèle, vous évoquez la nécessité de "cracker le code source de l'entreprise". Pouvez-vous nous expliquer ?
S. L. : Cette transformation appelle à une véritable révolution stratégique et managériale. Car nous sommes face à de nouvelles formes de raretés que nous devons apprendre à gérer collectivement. L'entreprise ne peut plus se contenter d'ajuster son activité à la marge. Elle doit sortir du "business as usual" et placer la résilience planétaire au-delà des mécanismes d'échanges et de marché. Pour opérer ce virage, elle doit changer son modèle mental : revisiter ses modes de production, ses processus, sa culture et les croyances collectives sur lesquelles elle s'est construite depuis des années. Comment puis-je acheter, produire et vendre autrement ? L'enjeu pour les dirigeants est de déconstruire ou challenger leur modèle pour mieux le reconstruire. Le point de départ pourrait être : partir des modèles existants, les exposer, les tester et les ajuster s'ils ne sont plus pertinents pour mieux coller au contexte actuel et à la nouvelle réalité. C'est un vrai challenge pour l'entreprise et aussi un grand saut dans l'inconnu !
Pour accompagner cette transition, vous plaidez pour la définition d'une raison d'être dont le projet est plus impactant sur la société. C'est parfois une notion compliquée qui a du mal à accoucher en interne...
S. L. : Je ne dirais pas que c'est une notion difficile à appréhender, je dirais plutôt qu'elle est mal utilisée dans les organisations. Elle relève encore de l'artifice marketing, car, pour finir, elle n'impacte pas réellement les activités ni le business de l'entreprise. Pour être crédible et efficace, il faut aller au bout de cette promesse. Il faut utiliser cette "boussole" pour rationaliser son portefeuille d'offres ou de clients. En se posant les questions suivantes : est-ce que je fabrique des produits ou services qui répondent aux besoins essentiels de la population ? Si les externalités négatives d'une activité ne peuvent être supprimées ni réduites, dois-je conserver cette activité ? En d'autres termes, quels renoncements, ajustements, nouvelles opportunités dois-je mettre en oeuvre, pour être en cohérence avec ma raison d'être ? Enfin, cette mission, cette ambition n'est pas suffisamment incarnée sur le terrain et dans la conduite opérationnelle des opérations. Elle devrait orienter la stratégie et les processus de décision de l'organisation.
Vous insistez également sur le besoin d'un nouveau narratif pour embarquer l'entreprise. Quels nouveaux récits faut-il inventer ?
S. L. : Le discours des entreprises n'a pas beaucoup évolué. Il est toujours très orienté sur la croissance et le profit. D'ailleurs, toutes les présentations « corporate » sont identiques ! L'enjeu aujourd'hui est de passer d'un discours axé sur le volume à un discours axé sur la valeur. Faire passer de nouveaux messages qui racontent la transition avec de vraies histoires, du concret, qui donnent du sens à la stratégie, qui valorisent l'utilité sociétale de l'entreprise. Si je prends l'exemple du climat, les entreprises s'appuient sur un discours scientifique et technique souvent alarmiste qui ne fait pas franchement rêver et que ne crée pas l'adhésion. Pour que la transformation infuse en interne, mais aussi auprès de toutes les parties prenantes, il faut revoir le narratif. Ces nouveaux récits ne doivent plus se focaliser plus sur le risque, l'anxiété, le pénalisant, ils doivent générer du désir et de la confiance. Il faut arrêter de se faire peur et changer notre lexique pour apporter du désir autour de ce futur à inventer collectivement. Remplacer ce qui pollue par ce qui protège, le gaspillage par l'efficience, la notion de performance et de croissance par la notion de prospérité.
Quel est le rôle des marques dans cette transition écologique, économique et culturelle ?
S. L. : Il est essentiel. Car notre manière de consommer n'est plus en phase avec les défis sociétaux et environnementaux. Or, la plupart des marques jouent encore avec les codes de consommation traditionnels : "je consomme, donc je suis". Les directions communication et marketing pourraient s'emparer de ces sujets sans tomber dans le greenwashing, faire évoluer les codes et les stéréotypes pour faire changer les comportements d'achat. En changeant les discours, on peut faire évoluer la société. On commence à voir quelques exemples, comme la campagne de marque Fnac Darty C'est parti pour durer qui fait la promotion de l'allongement de la durée de vie des produits. Cette signature s'accompagne de services en lien avec la promesse marketing tels que l'abonnement Darty Max qui propose aux clients un service d'entretien ou de réparation en illimité ou les "Avis longue durée" qui recueille les avis des consommateurs un an après l'achat de leur produit, plaçant ainsi l'usage et la durabilité au coeur de l'expérience client.
La fonction marketing a-t-elle évolué dans ce contexte et face aux nouveaux enjeux ?
S. L. : Il y a encore beaucoup de leviers de progrès ! Il faudrait que la notion de limites planétaires et de durabilité au sens large du terme drive davantage la fiche de poste des fonctions marketing. Cela permettrait de revisiter les fondamentaux et le cahier des charges de la profession. Le marketing durable est encore utilisé de manière ponctuelle et morcelée dans les organisations et ne relève pas d'une véritable intention stratégique. Il s'agit aujourd'hui de le déployer à plus large échelle et de manière systémique.
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