Communication locale : L'ère de l'hyperciblage et du multilocal
La digitalisation des supports traditionnels, un travail plus fin sur la data et l'arrivée de nouveaux leviers de communication ouvrent de nouvelles perspectives pour les campagnes locales et multilocales des marques. L'heure est aux mix médias géociblés, construits sur mesure par magasin et par opération.

Plébiscité par les consommateurs-citoyens, le local est aussi de plus en plus prisé dans la communication des marques. Elles y ont consacré en 2023 pas moins 31 % de leurs investissements publicitaires totaux, soit 10,5 milliards d'euros (+2,9 % sur un an), selon l'édition 2024 de l'Observatoire des investissements publicitaires locaux publié par l'association Les Relocalisateurs, qui promeut la relocalisation des achats média pour soutenir le développement économique et social des territoires et une diversité média source de démocratie. "Aujourd'hui, le local n'est plus l'apanage de l'événement local ou le levier utilisé par les annonceurs en complément d'une stratégie nationale imparfaite. Cette dimension est intégrée très en amont dans les stratégies médias et devient même un gage de performance. Une campagne qui met en avant un argument local permet de gagner en moyenne 25 % d'efficacité(1)" , avance son directeur général Alexis Goujon.
Think local, Act global
"La dimension géographique ou le territoire devient une variable d'analyse à part entière, qui structure la réflexion stratégique nationale des marques. C'est complètement nouveau et presque une inversion de l'ancien paradigme, quand les stratégies étaient pensées en national, puis déclinées en local" , abonde Xavier Guillon, directeur général de France Pub. La data est au coeur du sujet : "Grâce à l'organisation et la structuration des données médias et de consommation, les états-majors et les business units locales partagent une même vision du national et du local. Ils peuvent coconstruire une articulation cohérente entre ces deux échelons".
Les évolutions autour du prospectus ont accéléré la mutation vers une communication multilocale. "Le lancement de Oui Pub, les difficultés des acteurs de la distribution, puis la faillite de Milee (ex-Adrexo) ont poussé les retailers à réfléchir à l'après-catalogue. Le mix média est beaucoup plus varié qu'avant, mais l'enjeu reste le même : la fréquentation en magasin. Les enseignes ont transformé à marche forcée leur communication commerciale en entrant de plain-pied dans une stratégie média locale activée sur les zones de chalandise ou de vie et, idéalement, construite par magasin et par opération" , témoigne David Scalia, directeur commercial de CoSpirit Groupe.
7,9 Mds d'euros d'investissements publicitaires locaux sont issus d'acteurs locaux et régionaux et 2,6 Md€ d'acteurs nationaux qui communiquent en local ou multilocal.
La télévision connectée permet de toucher une large audience sur les plateformes digitales, de donner l'adresse d'un point de vente et même de faire de la promotion, comme l'a testé Carrefour avec CoSpirit et Armis.
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Tirer parti des aspérités locales
Pour adresser l'audience à valeur d'une marque là où elle se trouve et au bon moment, ces plans multilocaux prennent en compte les hétérogénéités et les aspérités locales dans les comportements des consommateurs, la pénétration des médias activables et l'intensité de la concurrence. Avec des conséquences bien concrètes : "Le consommateur est déjà multiple et complexe. Intégrer les aspérités locales rajoute de la complexité. Seule une solution d'intelligence artificielle est à même d'activer une masse de données aussi importante et complexe" , assure Sandrine Préfaut, directrice générale Europe de Locala, plateforme publicitaire experte en géolocalisation qui transforme des données géocomportementales complexes en insights et audiences activables.
Le groupe s'est doté de sa propre IA, l'a entraînée sur ses données et éduquée aux enjeux marketing. La puissance de l'algorithme est une aide précieuse pour les recommandations et l'optimisation des stratégies sur l'ensemble des points de vente d'une zone. "Poussés par les annonceurs, nous avons tout automatisé, poursuit-elle. Cela nous permet aujourd'hui de gérer une campagne d'une semaine sur 1 200 ou 1 500 points de vente avec une stratégie par magasin et, en fin de campagne, de sortir un bilan par magasin". Des solutions plus simples de clusters aident déjà à définir des stratégies de fidélisation ou de recrutement, selon que les magasins sont dominants, dominés ou challengés.
Grâce aux données mobiles, qui ajoutent une vision dynamique aux zones de chalandise, les campagnes peuvent adresser de nouvelles populations. "Une marque peut, par exemple, pousser une promotion, au moment de la pause déjeuner, à quelqu'un qui travaille à proximité de son point de vente" , détaille Cécile Brino, la DGA marketing, innovation et expérience client de Mediaposte, qui a intégré les données mobiles en 2024. Cette année, le groupe a lancé des travaux sur le RCS, un SMS aux fonctionnalités enrichies (images, vidéos, confirmation de lecture, boutons cliquables...). "Ce levier transforme 2,5 fois plus que le SMS classique. C'est donc un enjeu client important" , observe-t-elle.
Le catalogue n'a pas dit son dernier mot
En 2024, 41,9 % des Français estimaient utile de recevoir des prospectus à domicile, selon une étude CSA Géostratégie. Dans un environnement périurbain, ils restent précieux pour choisir un point de vente qui se situe à 15 ou 20 minutes de voiture... Le catalogue reste un levier stratégique, et pas seulement dans sa version digitalisée ! Pour un soldeur qui devait reprendre de la part de marché sans pouvoir investir davantage, CSA Géostratégie a analysé par bassin de vie le poids de sa cible prioritaire, le parcours média des clients et leur appétence pour le catalogue. "Des foyers qui n'étaient pas dans la cible prioritaire ont été exclus de la distribution au profit d'autres, un peu plus éloignés du magasin, mais plus affinitaires. 30 % des boîtes aux lettres ont été changées à iso budget et une surpression digitale mise en place sur ces zones. Ce nouveau schéma a généré une hausse de 20 % des tickets de caisse dès la première semaine", détaille Virginie Sablé, directrice développement de CSA Géostratégie. Une nouvelle phase a ensuite été engagée avec l'enseigne pour permettre d'obtenir les mêmes résultats en dépensant moins. JeVeuxChoisir.fr, lancée par Médiaposte sur les zones Oui Pub, propose aux consommateurs de s'inscrire sur la plateforme pour recevoir en boîte aux lettres des communications d'enseignes de distribution choisies selon leurs préférences et moments de vie. 500 000 profils qualifiés ayant été recrutés, une première campagne a été lancée à l'automne 2024. "En 2025, l'offre est testée hors zones Oui Pub, où le taux de pénétration de 25 % permet aussi d'envisager de premières campagnes", précise Cécile Brino, DGA marketing, innovation et expérience client de la filiale du Groupe La Poste. La plateforme de marque sera aussi animée afin de créer une communauté autour des bons plans et des promos.
La révolution de la TV connectée
Ces dernières années, les inventaires offline et online se sont diversifiés. Des leviers initialement nationaux, par exemple le social, sont désormais activables en local, voire à la carte à l'image du DOOH dont certains réseaux peuvent s'acheter écran par écran. "La précision dans les mix médias évite les déperditions et va dans le sens des engagements des marques pour une communication responsable" , note Alexis Goujon. Pour David Scalia, "la vraie révolution de 2024 dans les plans locaux, c'est la télé !" À côté de la télévision segmentée, diffusée sur le flux linéaire avec encore d'importantes contraintes réglementaires, la télévision connectée permet de diffuser les campagnes sur les plateformes digitales des diffuseurs traditionnels (TF1+, M6+, RMC BFM Play, MyCanal...) ou chez les acteurs de la SVOD.
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Une aubaine pour les enseignes qui réduisent les prospectus, mais n'arrêtent pas les promos ! "La télévision connectée permet aujourd'hui de toucher une audience conséquente et d'informer le public sur les bonnes affaires. Sur ce support digital, les campagnes peuvent donner l'adresse du point de vente et faire de la promotion, donc activer les premiers leviers du drive to store" , souligne David Baranes, cofondateur et co-CEO d'Armis. La start-up française a créé une plateforme qui automatise la production des spots de campagnes multilocales, leur diffusion et l'optimisation géociblée autour des magasins.
Additi Média vend le print au CPM !
Pour défendre le média presse et mieux commercialiser son offre bimédia, Additi Média, régie du groupe Ouest-France, a révolutionné son offre commerciale locale. Depuis 2020, les tarifs ont été reconstruits sur des "bassins de vie rédactionnels" , correspondant à la somme de plusieurs communes d'une édition du quotidien. "Ce bassin de vie devient l'audience utile de l'annonceur, facturée au coût pour mille (CPM) comme pour le Web, la même publicité est visible sur l'ensemble de l'édition", précise Virginie Flach, responsable du pôle marketing stratégique. Par ailleurs, plus l'annonceur s'engage sur un nombre de parutions et en multisupport, plus sa remise est intéressante, mais limitée à 35 %. Puis les données ShoWhere ont été intégrées pour moduler les tarifs de manière fine, mais statistiquement fiable. "Nous sommes en train de voir comment pousser le modèle plus loin pour mesurer la couverture incrémentale apportée quand on active le print et le Web" , ajoute-t-elle.
Vers une communication locale plus performante
Après des tests avec Carrefour sur les inventaires TF1+ à partir d'un mix réalisé par CoSpirit, d'autres enseignes alimentaires et non alimentaires ont utilisé cette solution de TV connectée avec "un gain moyen de 14 % sur l'image de l'enseigne et de 17 % sur l'attractivité des promotions" , se félicite le dirigeant. Si beaucoup de marques ont déjà fait évoluer leur communication locale, toutes n'ont pas encore la maturité nécessaire pour embrasser les opportunités ouvertes par le géomarketing.
Dans les mois et années à venir, l'enjeu consistera donc à simplifier l'accès aux solutions, à gagner en productivité grâce à l'IA et l'automatisation, raccourcir le délai des réponses, affiner les bilans de campagne... Si l'adaptation de l'offre à la réalité des marchés locaux se voit déjà dans la communication commerciale, elle devrait à l'avenir toucher des budgets bien plus conséquents, estime Xavier Guillon : "Les acteurs politiques comme économiques vont dans cette direction pour optimiser leurs stratégies d'implantation ou redimensionner leurs infrastructures. Le mouvement sera extrêmement fort dans la prochaine décennie".
(*1. Résultats obtenus à partir de plus de 100 posts tests des membres des Relocalisateurs.)
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