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[Interview] Bertrand Duperrin : "Il ne faut pas laisser le marketing s'occuper seul de la transformation digitale"

Publié par Philippe Crouzillacq le
[Interview] Bertrand Duperrin : 'Il ne faut pas laisser le marketing s'occuper seul de la transformation digitale'

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C'est un mal qui touche aussi le monde de la high-tech ?

Oui. Avant de lancer l'iTunes Music Store en avril 2003, Steve Jobs, le cofondateur d'Apple, est allé voir le patron de Sony de l'époque, Nobuyuki Idei. Il lui a proposé de faire partie du projet. Sony avait tout, les baladeurs numériques, les catalogues, mais a été incapable de faire la jonction entre les deux. Elle n'a pas pris Steve Jobs au sérieux et ça a tué son business. Même exemple pour Microsoft.
Leur point commun ? Ce sont des groupes qui fonctionnent (ou qui ont longtemps fonctionné) en silos. La transformation digitale, c'est la fin de tout cela. Pour employer un mot savant, le digital, c'est la "polymathie". C'est-à-dire la capacité, pour une personne ou une entreprise, à être savante dans plusieurs domaines en même temps. Regardez à quoi ressemblent les groupes qui marchent dans la high-tech ou dans l'Internet, les Apple, les Amazon, les Uber... ils pensent tout et en même temps !

Qui sont les grands gagnants et, par extension, les perdants de la transformation digitale au sein même de l'entreprise ?

Aujourd'hui, le débat n'est pas encore clos, mais cela se joue entre le marketing et l'IT. Avec un fort penchant pour l'externe, c'est-à-dire le marketing et la relation client. Pourquoi ? La raison est simple, pour qui regarde les choses sans trop de recul, le client est un revenu et le collaborateur est un coût. Demain, tout cela pourra être rassemblé sous l'étiquette d'un chief digital officer (CDO).
En revanche, pour l'heure, une chose est sûre : les grandes perdantes sont les RH. Dans un récent rapport du cabinet Altimeter, à la question : "Qui drive la transformation digitale dans les entreprises ?" le DRH n'apparaît même pas dans les réponses ! C'est certainement regrettable mais, à l'avenir, les RH risquent de se retrouver cantonnées aux missions de recrutement, de "compliance" et de gestion de la paye. La dimension culturelle de l'entreprise sera confiée au CDO. Elle échappera totalement aux ressources humaines. Ce service rendra des comptes à la direction financière et, par extension, devrait perdre son poste au board. C'est malheureux, car le développement du capital humain doit faire partie d'une stratégie digitale.
Le digital, cela veut dire quoi ? Que l'on est tous à égalité, dans une organisation transparente, fonctionnant sur une structure plate, avec de la capacité d'initiative et où chacun est seul à assumer ce qu'il fait. Comme le disait Eliyahu M. Goldratt, le père de la théorie des contraintes : "Ne vous attendez pas à ce qu'une application fonctionne dans un environnement où ses hypothèses ne sont pas valides." Aujourd'hui, les hypothèses du digital ne sont pas valides en entreprise. Il y a encore beaucoup de travail.

Comment cela ­peut-il se traduire pour les collaborateurs ?

C'est le concept de la symétrie des attentions. Il faut garder à l'esprit que vos collaborateurs ne donneront jamais à vos clients ce qu'ils n'ont pas reçu eux-mêmes. Il n'y a pas de bonne expérience client s'il n'y a pas de bonne expérience employé. Dans bien des entreprises, le management repose encore sur le "command and control", une capacité d'initiative a minima et la croyance que l'information est le pouvoir. Être un client apparaît comme un plaisir, mais être un collaborateur est un cauchemar.
Heureusement, certains dépassent cette vision. À l'instar de Zappos aux États-Unis, un acteur important du commerce en ligne. Chez Zappos, il y a une cohérence. On travaille dur, l'entreprise est très exigeante, mais les conditions de travail sont excellentes. Les compétences des collaborateurs sont valorisées en permanence avec, à la clé, une grosse responsabilisation de l'individu, qui est invité à devenir un véritable entrepreneur au sein de l'entreprise. Pour ceux qui ont envie de faire bouger les choses, c'est un modèle très épanouissant. La marque pousse la logique assez loin. Fin 2013, Zappos a mis en place ce qu'elle appelle une "holacratie". Il s'agit d'une transformation de l'entreprise visant à la rendre plus réactive, adaptable, efficace, en se concentrant sur les missions à réaliser plus que sur les rôles et postes. L'entreprise est composée de "cercles" en fonction des différentes activités, chaque individu étant, en fonction de ses compétences et ses besoins, membre de plusieurs cercles. Finis les intitulés de poste. Finie la hiérarchie. Chez Zappos, la seule chose qui compte, c'est que le client qui appelle ait le sentiment qu'il tombe sur un collaborateur heureux.

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Philippe Crouzillacq

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