Une famille éclatée
Sans véritable existence en tant que famille, la presse people compte des titres qui se positionnent sur des territoires assez distincts. Faibles sur le marché publicitaire, subissant une tendance générale d'érosion de la diffusion, ces magazines ne sont pas dans un trend économique très favorable. La concurrence accrue sur le phénomène people et un lectorat plutôt âgé les handicapent aussi. De plus, ils souffrent d'une image parfois difficile auprès des annonceurs et des conseils médias.
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Sujet essentiellement réservé à la presse spécialisée jusqu'à peu, le
people semble désormais avoir franchi les limites des kiosques à journaux pour
arriver dans l'univers des médias audiovisuels. Désormais, télévisions et
radios utilisent abondamment ce ressort de vente présupposé que constitue le
phénomène people. Lesdits people ont envahi le petit écran via les Exclusif,
Sagas ou autres Y'a pas photo. Une concurrence accrue qui ne favorise pas le
développement de la presse spécifiquement people. Les stars sont partout. « Sur
toutes les radios un peu ménagères, comme sur les chaînes de télévision, il y a
des rubriques et des émissions people. La vague people dépasse la presse qui a
perdu cette spécificité. De plus, la thématique people est rentrée dans toute
la presse en général », analyse Anne-Caroline Athuil, directeur de clientèle,
responsable de l'expertise presse chez Mindshare. Trop de people tuerait la
presse people ? Si l'érosion de la diffusion de la plupart des titres ne
constitue pas une plongée vers l'abysse, ils sont loin du hall of fame. La
forte baisse de la diffusion de Voici, le leader en la matière, a bien
contribué à affaiblir l'ensemble de l'univers people. Une politique un peu
volontaire pour le titre du groupe Prisma. Préférant diminuer les coûts en
procès, Voici a quelque peu perdu son aspect corrosif et scoopesque pour
adopter une ligne de conduite plus sage. Résultat : des Unes moins accrocheuses
entraînant une diffusion en baisse. « Voici a accéléré le trend à la baisse en
devenant plus soft », constate Martine Degueurce-Haigh, directrice de la
publicité de l'hebdomadaire. La presse people semble s'être globalement
aseptisée, elle est en tout cas bien loin de la trash press d'outre-Manche.
Comptant généralement moins de 10 % d'abonnés, les titres people sont
contraints à une politique d'appel avec des Unes assez agressives, nécessaires
pour provoquer l'achat en kiosque. « La Une est prioritaire pour faire la
différence, mais les variations sont moins marquées qu'autrefois », tempère
Martine Degueurce-Haigh. De fait, la promesse des titres n'est pas forcément
tenue à l'intérieur du magazine, voire totalement trompeuse. Toutefois, le
lecteur n'est pas dupe et connaît la mécanique des magazines. Preuve en est,
tous les titres affirment posséder une forte proportion de lecteurs fidèles. «
Ces magazines ont un cœur de lectrices accros, curieuses et au courant de tout,
estime Anne-Caroline Athuil. A côté, il y a les lecteurs occasionnels qui, en
fonction de la couverture, vont acheter ou non le magazine. » Les people sont
également tributaires de l'actualité. L'absence d'événements très marquants en
1998, versus la mort de la princesse de Galles en 1997, n'est sans doute pas
sans conséquences sur les derniers résultats de diffusion plutôt moroses des
magazines. « Cette presse est composée d'un lectorat de base et connaît des
pics de diffusion selon l'actualité », note Laurent Gillot, média team manager
chez CIA-Shop. La fonction d'actualité peut entraîner des succès de diffusion
plus ou moins attendus au gré de la vie et de la mort des stars. Tous
hebdomadaires, les titres people jouent à la chasse à l'exclusivité, mais
s'appuient sur des personnages récurrents. Les Michel Sardou, Johnny Halliday
et autres Michel Drucker constituent leur fonds de commerce. D'où un aspect
parfois feuilletonesque et répétitif d'une semaine sur l'autre. D'autre part,
la presse people connaît de vraies variations de diffusion au cours de l'année.
Elle a une saisonnalité très forte ; l'été étant sa période faste. S'il s'agit
d'une période plutôt creuse pour le marché publicitaire, cela peut jouer en sa
faveur pour séduire certains annonceurs. Certains titres connaissent des
augmentations de diffusion supérieures à 20 % durant les mois de juillet et
août.
Des positionnements variables
Bien que l'aspect
people reste le cœur des différents magazines, chacun traite les sujets à sa
manière autour de cette trame commune. Alors qu'un Point de Vue parle
essentiellement du gotha et des têtes couronnées, un Voici s'intéressera plus
aux vedettes du show-biz et un France Dimanche aux célébrités du petit écran et
de la chanson française. Des positionnements rédactionnels qui entraînent des
différences notables de positionnement publicitaire. Alors que Gala ou Point de
Vue se positionnent autour des féminins haut de gamme comme Madame Figaro ou
Elle, Voici sera, par exemple, plus complémentaire des magazines TV. Mais tous
les supports revendiquent leur appartenance à la grande famille de la presse
féminine. La structure de lectorat des titres purement people est en effet
constituée à plus de 60 % de femmes. Cependant, la famille de presse féminine
est très concurrentielle, avec notamment une offre de plus en plus abondante de
suppléments féminins dans des magazines plus mixtes à l'origine. « Les
magazines people ne constituent pas une famille de presse pour les
publicitaires, remarque Aline Moreau, directeur du département conseil presse
chez Mediapolis. C'est un segment de presse qui n'existe pas sur le marché
publicitaire. S'il n'y a pas de famille, c'est qu'il n'y a pas deux titres qui
se ressemblent. » La dichotomie entre le positionnement rédactionnel et le
positionnement publicitaire des titres est assez marquée. « La concurrence
rédactionnelle est différente de la concurrence publicitaire », souligne
Mickaële Duron-Angeletti, directrice de la publicité de Point de Vue. En fait,
il manque un véritable leader pour légitimer l'existence de la fonction people
auprès des publicitaires et provoquer un effet d'entraînement pour l'ensemble
du segment. Un rôle qu'aurait pu jouer Paris Match. « A l'origine, le référent
de cette presse est Paris Match, mais il s'est toujours positionné comme un
news picture », explique Aline Moreau. Même si ses Unes sont souvent
constituées de people, Paris Match, par son contenu rédactionnel et par son
lectorat plus haut de gamme, se rapproche davantage de la presse news. Son
véritable positionnement publicitaire. S'il n'existe pas vraiment de famille
presse people, c'est que celle-ci souffre d'un véritable problème auprès du
marché publicitaire, l'absence de cible intéressante et exclusive. Globalement,
le lectorat est plutôt féminin, plutôt âgé, plutôt CSP - et plutôt rural. Des
“tares” souvent irréversibles auprès des publicitaires, qui obligent les
magazines à trouver un positionnement plus séduisant pour convaincre le marché.
« Si des leaders comme Paris Match ou Gala se sont positionnés sur d'autres
familles, c'est que la part du gâteau publicitaire y est plus importante »,
estime Aline Moreau. « La presse s'achète par rapport à des critères de
puissance et d'affinité sur une cible, ajoute Laurent Gillot. Des titres qui
sont sur des femmes âgées ne sont pas forcément intéressants. » Cependant,
l'amalgame entre tous les supports est là aussi difficile. Leur cible est
certes relativement proche, mais quelques différences se font jour lorsqu'on
regarde de plus près les différents titres. « En fait, il existe deux
sous-familles, remarque Laurent Gillot. Il y a des titres plus parisiens et
grandes villes et d'autres plus ruraux. »
De l'inconvénient d'être populaire
La même différenciation peut s'effectuer concernant
l'âge des lecteurs. Par exemple, Voici et Gala présentent un lectorat plutôt
équilibré entre les différentes tranches d'âge. Voici possède le lectorat le
plus jeune de tous les hebdomadaires people, et a amené un public un peu
différent sur une presse vieillissante. « Voici est le seul people à avoir un
lectorat constitué à 50 % de femmes de moins de 35 ans. Notre cœur de cible est
constitué de filles très jeunes, affirme Martine Degueurce-Haigh. Nous avons
autant de 15-24 ans que la presse spécialisée sur cette cible. » D'autres
titres ne revendiquent pas de cible spécifique, et jouent essentiellement sur
l'attachement et la fidélité du lectorat. « France Dimanche et Ici Paris sont
sans cible fixe, déclare Mireille Palastanga, directrice de la publicité des
deux titres. Ce sont les compagnons d'un public populaire auquel on tient. Il
faut arrêter de faire croire qu'on est autre chose que ce que l'on est
véritablement. » Cette popularité, cette couverture assez large du spectre de
la population française, en termes d'âge, en termes géographiques et de
catégories socio-professionnelles constituent une faiblesse pour les
hebdomadaires people. « La presse people est populaire, mais on ne fait pas de
la presse pour toucher le grand public, précise Aline Moreau. Avec la presse,
on souhaite essentiellement toucher des urbains CSP +. » Tous ces facteurs
expliquent la déconnexion entre la puissance des titres et leur faible
pagination publicitaire. Ils ne sont pas assez pointus sur des cibles précises.
Et leur positionnement peut s'avérer un peu factice face à la puissance des
magazines purement féminins. « Le marché publicitaire doit avoir envie
d'utiliser les supports, affirme Aline Moreau. Pour certains titres, on peut se
demander ce qu'ils apportent à la presse féminine qui est déjà bien développée.
» Il faut toutefois noter qu'un titre comme Voici touche plus de 4 millions de
lecteurs par semaine et que la majorité des autres supports ont plus de 2
millions de fidèles sur la même période. Mais les people ne suivent pas
obligatoirement la tendance liée à leur positionnement publicitaire. Par
exemple, Gala ne semble pas profiter pleinement de l'explosion publicitaire des
féminins haut de gamme. Le people semble donc être moins populaire auprès des
annonceurs que des lecteurs.
Des "annonceurs lecteurs"
A ces faiblesses rédhibitoires de ciblage et de puissance, s'ajoute
probablement un problème d'appréhension de la presse people par le marché
publicitaire. « Il existe un petit frein sur le people en France. Il faut
effectuer un travail de pédagogie, de réassurance et d'explication », analyse
Claire Vesine, directrice de la publicité de Oh la ! Les remous et polémiques
autour des magazines people suscités par l'affaire Diana n'ont probablement pas
contribué à valoriser cette presse. « L'affaire Diana a freiné plus
particulièrement Voici auprès des annonceurs, regrette Marine Degueurce-Haigh.
Toutefois, nous avons moins de problèmes auprès des annonceurs qu'à un certain
moment. » La guerre de l'image semble pourtant loin d'être gagnée. « Il y a un
frein des annonceurs comme il y en a eu à une époque sur les reality shows. A
un moment donné, vous pouvez être assimilé au support. Ces titres sont peu
utilisés car leur image et leur cible ne sont pas très intéressantes. »,
remarque Laurent Gillot. « Je ne suis pas sûre qu'ils aient une si mauvaise
image car ils sont efficaces publicitairement, tempère Anne-Caroline Athuil. La
réticence est plus liée à l'univers de presse, tout le monde a son idée par
rapport au rédactionnel. » « Le problème vient des annonceurs qui sont plus
lecteurs qu'utilisateurs », ajoute Martine Degueurce-Haigh. Une certaine
prudence des annonceurs peut également se joindre à cette problématique
d'image. La guerre ouverte entre Allo et Oh la ! (voir encadré p. 98) a
contribué à la difficulté d'implantation du deuxième titre sur le marché et a
peut-être amputé un peu la crédibilité des titres people. « La
pré-commercialisation d'Oh la ! a été massacrée. La confusion s'est avérée
totale entre les deux titres, avoue Paul Elkaim, directeur de régies chez
Médias et Régies Europe qui commercialise le titre. Les grands annonceurs ont
gelé la publicité pour attendre ce qui allait sortir de cet embrouillamini. Ce
type de titre a besoin de temps pour s'installer. » Présent en Espagne (¡ Hola
!), en Angleterre (Hello !), Oh la ! tente une première approche de publicité
européenne, comptant en particulier sur l'importance des secteurs mode et
beauté en France. « Nous avons joué sur la marque ombrelle, présente en France,
en Angleterre et en Espagne. Les annonceurs sont intéressés par cette
problématique internationale. » Reste que les people sont un peu oubliés des
plans médias, ou loin d'en être une composante essentielle, voire hors-jeu pour
Ici Paris et France Dimanche. « Ces deux titres sont hors des marchés
traditionnels du point de vue éditorial et du point de vue publicitaire,
précise Mireille Palastanga. Notre cible est grande consommatrice de
télévision. Nous n'avons pas de lecteurs exclusifs. Sur le hors marketing
direct, les annonceurs vont trouver les contacts en télévision. » Si le
marketing direct conserve sa prédominance sur les deux titres précédents, ce
n'est plus le cas sur d'autres qui ont cherché à rehausser leur image de marque
pour conquérir de nouveaux annonceurs. « Il y a encore trois ans et demi, le
premier secteur annonceur de Point de Vue était la VPC, souligne Mickaële
Duron-Angeletti. Le marketing direct remonte de moins en moins, nous nous
orientons de plus en plus vers une communication d'image. » La thématique
people, si elle demeure le cœur des magazines, est désormais largement
accompagnée par des pages mode ou beauté. Un moyen utilisé pour conquérir des
secteurs économiquement attractifs. Ce sont sur ces secteurs que le
développement publicitaire peut s'effectuer. La toilette-beauté constitue
d'ailleurs le secteur le plus utilisateur de supports people, et sa part de
marché tend à s'accroître. Cependant, la presse people ne compte pas vraiment
de secteurs captifs et ne peut jouer sur une rente de situation. Il lui faut
surtout picorer les miettes laissées par la presse féminine, en misant sur une
différenciation éditoriale. « Nous pouvons accueillir toute sorte de publicité,
il s'agit d'une autre approche de la presse féminine », déclare Paul Elkaim.
L'absence d'une véritable famille people rend difficile la promotion des titres
auprès du marché publicitaire. Des titres contraints de rester pour la plupart
dans le sillage de la presse féminine et qui doivent donc espérer une
confirmation du développement de celle-ci. Reste ensuite aux annonceurs à
séparer le bon grain de l'ivraie dans une famille multifacette.
Allo ne répond plus
En 1998, la presse people a occupé une partie de l'actualité des médias. Si l'affaire Allo - Oh la ! a fait moins de bruit que l'affaire Clinton - Lewinsky, elle n'a pas laissé indifférent le landernau médiatique. Décidé à s'implanter en France, le groupe espagnol Hola comptait lancer une version hexagonale de son magazine en octobre ou novembre 1998. Ce projet a visiblement inquiété le groupe Prisma, qui a enclenché rapidement la contre-offensive. Alors que le groupe espagnol devait lancer Allo, le groupe Prisma lui a subtilisé le nom. Du coup, le Allo initial est devenu Oh la ! et a été lancé plus tôt que prévu, en septembre 98. Avec des unes et des noms très proches, la confusion s'est avérée totale entre les deux titres qui se sont neutralisés aussi bien au niveau de la diffusion (autour de 120 000 exemplaires), que de la publicité. Finalement, devant cette confrontation stérile, Prisma a retiré Allo du circuit fin juin 1999. Chez Oh la !, on affirme que cet arrêt a boosté la diffusion du titre qui atteindrait aujourd'hui environ 170 000 exemplaires en moyenne. Mais l'image du titre a probablement été écornée par cette guerre de trop. Toutefois, les Espagnols ont annoncé être présents en France pour au moins trois ans. Hasta la vista Allo !