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USA: quand les marques militent

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Impliquées traditionnellement en politique, certaines entreprises américaines s'improvisent figures de proue des mouvements contestataires, à l'image de Starbucks et Ben & Jerry's.

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Le contraste avec la France, en pleine année électorale, est saisissant. Alors que les marques françaises se gardent bien de se mêler de politique, sauf intrusion brève et humoristique, les entreprises américaines n'hésitent pas à rentrer dans la mêlée. Fin 2011, la marque de crèmes glacées Ben & Jerry's a apporté son soutien au mouvement anti-capitaliste «Occupy Wall Street». Les facétieux fondateurs ne se sont pas contentés de l'annonce: on les a aperçus à Zuccotti Park en train de scander «We are the 99 %!» et de distribuer des pots de glace aux manifestants. Si la scène est surréaliste, c'est parce que Ben & Jerry's a été rachetée par le géant Unilever, l'une de ces entreprises cotées en bourse qui sont dans le collimateur des manifestants.

Des bracelets contre des dons dans les cafés Starbucks.

Des bracelets contre des dons dans les cafés Starbucks.

«OccuPie Wall Street»

Fondée par les deux hippies Bennett Cohen et Jerry Greenfield dans les années soixante-dix, l'entreprise a toujours porté haut les valeurs de la contre-culture. « Ben & Jerry's a la contestation dans son ADN », affirme Tom Zara, directeur d'Interbrand, spécialisé dans la citoyenneté des entreprises. On se souvient de jeux de mots sur les noms des parfums de glaces comme «Imagine Whirled Peace», un hommage à John Lennon, «Stephen Colbert's AmeriCone Dream» ou encore «Yes Pecan», pendant la campagne présidentielle américaine de 2009... Sur le même mode, les blogueurs n'ont pas tardé à imaginer un nouveau parfum: «OccuPie Wall Street» (avec un jeu de mots sur «pie», fameuse spécialité américaine) .

Le fabricant de glaces est loin d'être un cas isolé. Le charismatique p-dg de Starbucks, Howard Schultz, s'est dit déçu de « l'impuissance et de la passivité du gouvernement et de la Maison Blanche » à endiguer la crise. Du coup, le roi du caffè latte s'est improvisé agence pour l'emploi. Ainsi, depuis le 1er novembre 2011, l'entreprise a lancé une campagne pour créer des jobs aux Etats-Unis. Starbucks recrute des «baristi» et propose également des emplois dans d'autres entreprises. L'opération s'accompagne de boîtes à dons dans les cafés Starbucks, qui servent à financer des projets. En échange de leur don, les clients reçoivent un bracelet aux couleurs du drapeau américain, avec un slogan encourageant la solidarité. La marque a fait elle-même une première donation de 5 millions de dollars.

Contestation: même le luxe s'y met

L'intrusion des entreprises dans la sphère publique n'est pas nouvelle.

« La plupart des entreprises américaines se sont toujours impliquées dans le processus politique de différentes façons, rappelle Miro Copic, professeur de marketing à l'université de San Diego. Le lobbying décomplexé, la contribution financière directe à des politiques, la mobilisation de ses employés... » Mais la tendance prend une tournure plus contestataire que jamais. Kenneth Cole, marque de vêtements et d'accessoires, n'a pas froid aux yeux. L'enseigne de luxe s'est emparée d'un thème controversé dans la société américaine: le mariage gay. Son slogan? «Ceux qui s'opposent au mariage gay ne tournent pas rond.» Le timing était parfait: la campagne est sortie en août 201 1, au moment même où New York votait une loi en faveur du mariage entre personnes du même sexe. De quoi bénéficier d'une fenêtre, voire d'un boulevard médiatique... En 2012, année électorale, les opportunités de se saisir de causes ne devraient pas manquer.

D'une façon générale, la protestation est en vogue. A tel point que pour le magazine Time, la personnalité de l'année est «le manifestant». Pour John Bowen, vice-président chez Publicis USA, cette tendance est le fruit de la récession: « Les entreprises exploitent les inquiétudes des consommateurs/ citoyens. Elles font ainsi écho aux thématiques qui les préoccupent. » Simple mode de marketeurs ou redéfinition du rôle sociétal de l'entreprise? « La situation économique est si inquiétante qu'il faut que les entreprises et le gouvernement agissent de pair. Il est nécessaire de conjuguer ces deux forces de changements », note Tom Zara.

Un boycott des marques contestataires

« Le risque évident est de finir par se couper d'une partie de la clientèle », souligne Marc Burkhalter, de Publicis USA. Miro Copic met également en garde: « Les Américains votent avec leur porte-monnaie. Ils sont très forts pour boycotter les produits. » Si, au commencement, le mouvement «Occupy Wall Street» était fédérateur, souffle nouveau porté par une multitude de célébrités, le vent a tourné. Les critiques n'ont pas tardé à émerger. « «OWS» est fort pour critiquer mais ne propose rien en échange. Son message est confus », explique Miro Copic. Du coup, pour exprimer leur désaccord, les accros à la crème glacée pourraient bien décider de se mettre au régime...

Les entreprises ont trouvé la parade: elles s'approprient les codes et l'esthétique de ces mouvements contestataires. En filigrane, le soutien à la cause et la connivence avec le consommateur. Ainsi, dans sa campagne «Go Forth», Levi Strauss montre de jeunes manifestants. «Shocking» pour les Anglais!

Sortie en pleine vague de manifestations en Grande-Bretagne, la marque a été accusée de glorifier des valeurs anarchistes et contrainte de retirer sa campagne... En attendant, la pub a été diffusée en boucle dans les journaux télévisés et est devenue un phénomène viral sur Internet.

 
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LAURE GUILBAULT

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